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MARTYRE

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cependant Analecta BoUandiana, t. XXXIII, 1914, p. 370).

4. Martyres de renégats repentants. — La prise de Constanlinople parles Turcs, en 1403, exaltant l’orgueil des musulmans, leur rendit l’espoir d’une domination universelle, et l’islamisme, dont l’oCfensive avait été brisée par les croisades, se crut en état de la recommencer. Les conquêtes d’Alger et de ïlemeen par Barberousse, en lô’.ô et iSi^, l’autonomie acquise par les quatre Etals barbaresques, devenus autant de foyers de superstition et de brigandage, l’installation dansées contrées des Maures expulsés d’Espagne et prêts à saisir toutes les occasions de vengeance, aggravèrent le sort des chrétiens. Dès lors la tolérance religieuse, établie au commencement, ne parut plus en beaucoup de lieux qu’un vain mot, et désormais le caprice des princes, des magistrats ou de la populace, imposera souvent aux chrétiens l’alternative d’apostasier ou de mourir. C’est l’époque où les villes musulmanes se remplissent d’esclaves chrétiens, faits prisonniers pendant les guerres ou capturés par les pirates (voir, danse Dictionnaire, l’article Esclavagk, ch. vi ; t. I, col. 150j-1512). Beaucoup, par peur ou parambition, abandonnèrent leur religion et embrassèrent celle de leurs maîtres : les renégats, s’endurcissant dans l’apostasie, devenaient souvent les musulmans les I)lus fanatiques et les plus cruels. Mais d’autres, regrettant sincèrement leur faute, retournèrent à leur ancienne foi. C’était s’exposer au martyre et l’accepter d’avance. « La loi du Coran ne laisse pas au nouveau musulman la liberté de revenir en arrière : l’abjuration de la foi musulmane entraînerait la mort. » (Carra de Vaux, L’islamisme, dans Bricout, Où en est l’histoire des religions" ! t. l, 1912, p. 440 L’obstination du chrétien à préférer ainsi la profession sincère de la foi adoptée ou reconquise par lui à la vie même, paraissait aux musulmans d’autant plus coupable, et par conséquent d’autant plus digne de châtiment, que leur loi ne leur commandait à eux-mêmes rien de semblable, et les dispensait d’un pareil héroïsme. « Il ne faut pas nous imaginer que le martyre signiQait pour un musulman comme pour nous la mort soufferte en témoignage de sa foi. Placé dans des circonstances qui demandent ce témoignage suprême, le musulman peut croire seulement de coeur, et renier ouvertement sa foi. » Ce revirement extérieur est autorisé par le Coran et la tradition (E. Powëh, dans Christtts, p. 563).

Un très curieux exemple de renégat converti et martyrisé est l’histoire du Bienheureux Antoine de Uivoli, dont on possède deux relations contemporaines, l’une écrite par un religieux hiéronymite, CoysTA.NCE{Bibliotlieca hagios^raphica latina, p. 606), l’autre contenue dans une lettre d’un religieux dominicain, Pierre RANZANO.au pape Pie II (Analecta BoUandiana, t. XXIV, 1906, p. 357-874). Antoine était un Dominicain ; pris par des pirates en 1458, il est conduit à Tunis, jeté en prison, puis, l’année suivante, obtient sa liberté, apostasie, épouse une musulmane, et traduit en italien le Coran. Mais bientôt, se repentant, il va confesser son crime à un Frère mineur, en résidence à Tunis, reçoit l’absolution, et se soumet à une rigoureuse pénitence. Il reprend alors l’habit dominicain. Dès qu’il eut appris, en 1460, le retour à Tunis du souverain musulman, il se présenta hardiment devant lui, et déclara abjurer la religion de Mahomet. Ni les promesses ni les menaces du prince, ni les exhortations du eadi, ne purent le détourner de sa résolution. Il fut alors condamnée être promené dans la ville, sous le fouet des bourreaux, puis à être lapidé.

Tome III,

Dans un autre Etat barbaresque, à Alger, on connaît aussi par des relations contemporaines les martyres de renégats pénitents. Le livre écrit en 161 a par le moine espagnol Diego de Hædo, Topografia de Argel, les raconte dans sa troisième partie, comprenant deux dialogues sur la Captivité et sur le Martyre. Ces deux dialogues ont été traduits sous le titre : Delà captivité à Alger, par M. Moliner-Violle, Alger, igii.

Le premier dont il parle, le Génois Nicolin, n’appartient pas à Alger : c’est dans la capitale d’une autre régence barbaresque, Tripoli, qu’il mourut lapidé, en 1561, après être revenu à la foi chrétienne et avoir refusé de retourner à l’islamisme (Moliner-ViOLLB, p. 241). Eu 1555, un jeune homme de vingt ans, Morato, qui était captif à Alger, et avait eu le malheur d’abjurer le christianisme, essaie de s’enfuir. Arrêté, il reconnaît qu’il avait eu l’intention de s’évader. « Tu es donc chrétien’? » lui demandet-on.

« Je le suis, répond-il, et c’est contre ma volonté

qu’on m’a fait musulman. Je désire vivre et mourir dans la religion de mes pères. » On le perce de flèches et on l’achève à coups de pierres (ibid., p. 203). En 1566, un jeune renégat italien, âgé de vingt-deux ans, s’enfuit d’Alger vers Oran, alors au pouvoir des chrétiens. Il est arrêté, et ramené à Alger.

« Es-tu chrétien, ou renégat, ou turc ? » lui demande

le vice-roi musulman. — « Je ne suis ni turc ni renégat, je suis chrétien. — Puisque tu es chrétien, pourquoi portes-tu ce costume ? — Parce que c’est contraint et forcé que j’ai dû le prendre. — Où allais-tu donc ? — A Oran. — Pourquoi ? qu’allais-tu faire à Oran ? — J’allais me faire chrétien.

— Tu es donc chrétien ? — Sultan, il est vrai, je suis chrétien et je veux rester chrétien. » On le condamna au supplice du ganche : attaché à une poulie, qui pend à une potence, le condamné est précipité sur une pointe aiguë, par laquelle son corps est transpercé (ibid., p. 284)

L’un de ces récits de martyre est d’autant plus intéressant, qu’une récente découverte l’a confirmé. Un enfant maure, capturé par les Espagnols, avait été conduit à Oran. Instruit dans la foi chrétienne, on l’avait baptisé sous le nom de Geronimo. Repris et rendu à ses parents, il revint à leur religion. Mais, en 1559, il retourna volontairement à Oran, avec la résolution d’y vivre en chrétien. Dans une expédition guerrière, il fut fait prisonnier par les Maures. Son origine fut reconnue : on le somma de redevenir musulman. Il refusa. Le pacha commanda de réserver dans la muraille d’un fort en construction une cavité, dans laquelle on l’enterrerait vivant, s’il persistait dans son refus. Averti par le maçon, qui était prisonnier comme lui, Geronimo se prépara à la mort, se confessa et reçut le viatique d’un prêtre enfermé dans le même bagne. On le reconduisit au pacha. « Bré, Juppé (holà ! chien I), dit celui-ci, pourquoi ne veux tu pas être musulman ? — Je ne le serai pour rien au monde. Je suis chrétien, je veux demeurer chrétien. — Si tu n’abjures pas, je vais te faire murer là. — Fais comme tu l’entendras ; je suis préparé à tout, et cela ne me fera pas abandonner la foi de mon Seigneur Jésus-Christ. » Geronimo fut mis dans la cavité, et plusieurs renégats bouchèrent celle-ci avec de la terre, emmurant le martyr. Une note du traducteur (p. 2g5) nous apprend que le fort, dit le fort des Vingt-quatre heures, fut déclassé et démoli en 1853. On découvrit dans l’épaisseur d’un mur, le 27 décembre, une excavation formée par le corps d’un homme ; une partie du squelette existait encore. Ces restes furent portés en grande pompe à la cathédrale ; un tombeau I fut élevé à Geronimo : le moulage de son corps,

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