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MARTYRE


un mouvfiment d’opinion commence à se dessiner dans le sens de plus d’humanité el de justice. Sous Georges III, en 1798, le Inll de Guillaume III et Marie fut ra[>porté, et les catlK)lii]ues rentrèrent dans l’exercice de leurs droits civils. Mais les efforts tentés devant le Parlement en 1801, 1809, 181 1 pour leur rendre l’égalité des droits politiques échouèrent contre la résistance du roi. II leur fallut attendre jusqu’en 18 : 29 leur complète émancipation, « après deux siècles de tyrannie et cinquante ans de réclamations inutiles », selon l’expression de Villkmain (Cours de littérature française, Paris, t. X, 1829, p. 280). Un seul vestige subsiste encore de l’immense édifice légal élevé contre eux : c’est la loi de Guillaume III déclarant un catholique ou l’époux d’une catholique incapable de régner sur l’Angleterre.

b) La persécution fut telle qu’on pouvait l’attendre des mœurs restées longtemps barbares en Angleterre.

Le régime des prisons était horrible. Le Bienheureux Thomas Sherwood, en iSô^, habite dans la’four de Londres, au-dessous du niveau de la Tamise,

« le cacliot parmi les rats », selon l’expression

d’une pièce ollicielle (R. » E GoURSoN, Quatre portraits tie femmes, épisodes des persécutions d’Angleterre, Paris, iSq.S, p. 24-26). On emploie vis-à-vis des prisonniers divers modes de torture, dont la description fait frémir (Lingard, t. II, p. 6’19 ; H. dk Gouhson, p. 29-31). En 1535, avant d’être exécutés comme l’avaient été quatre de leurs confrères, deux Chartreux de Londres restèrent pendant quinze jours et quinze nuits attachés debout par des cercles de fer contre une colonne de la prison de In Marshalsea, sans en être détachés un seul inslanl (Martyruni Carthusianorum Passio minor, xvi. dans Analecta liolluiidianu, t. XXII, 1908, p. 66). Un missionnaire du temps d’Elisabeth, qui subit plusieurs fois, à la Tour de Londres, la torture du chevalet, a laissé une description émouvante de ses souffrances et des sentiments que la grâce de Dieu mit alors dans son cœur (Mémoires du P. Gerarb, S. J., trad. par le H. FoRBRS, Paris, 1872, p. 124-127, 180-182), L’oilicier qui préside à la torture du Jésuite Bryant, compagnon d’Edmond Gampion, se vante de l’avoir, par le chevalet, rendu un pied plus long que Dieu ne l’avait fait. Dans un premier interrogatoire, on lui avait enfoncé des aiguilles sous les ongles des mains et des pieds. A Glascow, pendant neuf jours et neuf nuits, on prive de sommeil le niarljT Jean Ogilvie en le piquant avec des stylets et des aiguilles. Beaucoup moururent en prison, comme à Newgate neuf Chartreux, en 1587, a miseria et foetore carceris suffocati ». (Analecta Bullandiann, 1. c., p. 69) On trouvera sur les prisons des catholiques anglais d’horribles détails dans Galloni, De sanctorum martyrum cruciatibus, p. 104-121. Parlant du cardinal Pôle, si prématurément enlevé à l’Eglise d’Angleterre, l’historien protestant Froudk ne peut s’empêcher de dire : « La miséricorde de Dieu le rappela pour lui épargner la mort vivante de la Tour, »

c) Les supplices étaient d’une extrême férocité. A l’exception de grands personnages, comme le cardinal Fisher, l’ancien chancelier Thomas More, la descendante des Plantagenets Margaret Pôle, qui furent décapités, on appliquait à la plupart des catholiques, coupables seulement d’avoir méconnu la suprématie du roi en matière religieuse, de dire la messe ou d’y assister, les peines réservées au crime de haute trahison. La sentence les condamnait à être traînés sur une claie, à travers les rues, jusqu’au lieu du supplice, et à être pendus ; mais le bourreau devait couper la corde avant que la strangulation fût survenue, étendre la victime sur un

!)illot, lui ouvrir le ventre, lui découper les entrailles, lentement, de manière à jjrolonger l’agonie, puis lui arracher le cœur ; le corps était ensuite dépecé, et en cet état exposé au public. Quelquefois, par humanité, on attendit <|ue la mort eût fait son œ^uvre ; mais le plus souvent on exécuta la sentence à la lettre, et c’est vivants qu’on découpa les martyrs. Lors de l’exécution des Chartreux, en 1585, pendant que s’accomplissait cette boucherie, les survivants, en attendant letir tour, prêchaient le peuple, et exhortaient les assistants à obéir au roi en tout ce qui n’était pas contraire à la loi de Dieu et de l’Eglise (J. Tresal, Les Origines du schisme anglican, Paris, 1908, p. 180-182).

d) Parmi les nombreux martyrs du règne d’Henri VIII, on doit mettre en première ligne le cardinal Fisher, évêque de Rochester, et le chancelier Thomas More, « les deux plus grands hommes de l’Angleterre en savoir et en piété, et les deux plus illustres victimes de la suprématie ecclésiastique », dit Bossuet (Histoire des variations des Eglises protestantes, ll, xtv, édit. 1688, t. I, p. 298).

Fisher, qui était presque octogénaire, fut enfermé pendant un an à la Tour de Londres. On le condamna pour avoirdit, dans une conversation privée, que le roi n’était pas le chef suprême du l’Eglise d’Angleterre.Henri lui accorda comme une gràced’ètre seulement décaiiité. Le matin du sui)plice, 22 juin 1535, il lit faire avec grand soin sa toilette : et comme son domestique s’en étonnait : « Ne vois-tu pas, lui dit-il, que c’est mon jour de noces ? » Au moment de partir pour le supplice, il récita quelques vers d’Horace ; puis il ouvrit son Nouveau Testament, et médita sur deux versets de saint Jean. Malgré son âge et sa faiblesse, il monta sans aide les degrés de l’échafaud. Quand il fut arrive sur la plate-forme, un rayon de soleil frappa tout à coup son visage : il se mit alors à réciter ce verset du psaume xxiii : Accedite ad eum et illuminamini, et faciès vestræ non confiindentur. Suivant un vieil usage catholique (blâmé par Luther dans ses Propos de table, IV, 169), le bourreau s’agenouilla alors devant lui, et lui demanda pardon : « Je vous pardonne de tout cœur, répondit le cardinal, et j’espère que bientôt vous me verrez sortir victorieux de ce monde. » Puis, se tournant vers la foule : « Chrétiens, mes frères, dit-il, je vais mourir pour ma foi et mon attachement à l’Eglise catholique. Par la grâce de Dieu, jusqu’à présent je me suis maintenu dans le calme et je n’ai ressenti aucune horreur ni aucune crainte de la mort, mais je vous prie, vous tous qui m’écoutez, de m’aider maintenant par vos prières, afin qu’au dernier moment je reste ferme dans la foi catholique et que je sois sans faiblesse. Quant à moi, je supplierai le Dieu immortel, par son infinie bonté et sa clémence, de garder sains et saufs le roi et le royaume et d’inspirer à Sa Majesté de salutaires conseils en toutes choses. » Il se mit ensuite à genoux, récita le Te Deum, le psaume In te. Domine, speravi, et posa sa tête sur le billot. La tête du martyr, bouillie, fut exposée ensviite sur le pont de Londres ; son corps demeura tout un jour sur l’échafaud, dépouillé de ses vêtements, puis des soldats creusèrent dans un cimetière voisin un trou avec leurs hallebardes et l’enfouirent. La Vie du Bienheureux Fisher a été publiée parle P. Van Ortroy, dans les Analecta Bollandiana, t. X, 18gi, p. 121-165. On en trouvera des extraits dans Leclbrcq, Les Martyrs, l. Vil, p. 43-70.

Le 4 mai l’ISS, Thomas More, enfermé aussi depuis un an à la Tour, aperçut de sa fenêtre les premiers martyrs condamnés par Henri VIII, des Chartreux et des prêtres, que l’on menait au supplice. « Ne vois-tu