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MARTYRE

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résolument le supplice. Un autre trait bien personnel est le suivant. Parmi les condamnés était xm religieux de dix-liuit ans, qui s'était montré ferme jusque-là. Au dernier moment, il céda aux instances et aux promesses d’un ministre calviniste, et accepta la liberté en échange de sa foi. Le vicaire des Franciscains, Jcrùme, quigravissait les degrés de l'échelle, voit ce reniement. « A ce moment, le ministre lui adresse la ijarole et lui dit de ne pas invoquer les saints, ma19' ; de se recommander à Dieu. En voyant devant lui l’assassin de l'âme de son frère, le Père Jérôme ne sait pas se contenir : a La mort ne me fait pas peur, répond-il, mais je suis navré de l’abus que vous faites de la faiblesse de notre novice. Arrière, misérable, arrière, suppôt de Satan ! » Ces paroles sont accompagnées d’un violent coup de pied, que de l'échelle il lance au séducteur. Le coup porte si bien, que le ministre tombe à la renverse et roule par terre. » (Meuffbls, p. lô^-iôS) Certes, ce n’est pas la patience ordinaire des martyrs ; mais s’il y eut un peu trop d’indignation humaine dans son geste, le Père Jérôme sut l’expier en supportant avec une constance héroïque le surcroit de cruauté que les bourreaux apportèrent à son supplice.

Les martyrs de Gorcum, béatiliés en 1676 par Clément X, ont été canonisés par Pie IX en 1867. Leur historien, Esxins, raconte la mort, pour la foi catholique, d’autres religieux immolés par les Gueux (Leclercq, t. VII, p. 217, 356-36g). L’un de ces martyrs, Musius, recteur du monastère de Sainte-Agathe, à Delft, était connu et aimé du chef de la rébellion des Pays-Bas, le prince d’Orange. Celui-ci demanda au commandant des Gueux de mer, Guillaume de la Mark, compte de tant de meurtres, et en particulier de celui des dix-neuf martyrs. La Marck, dans sa réponse, cherche à se disculper : Si la justice, dit-il, a suivi son cours, c’est que les prisonniers « avaient persisté dans leur fausse religion papiste ». Ce ne sont pas des victimes des troubles civils, mais des victimes delà haine calviniste. <i En ces quelques mots, le persécuteur livrait le fond de son àme. Il donnait le vrai motif de la mort de ses victimes, celui qui, à nos yeux, en fait des martyrs. » (Meuffels, p. 1^3)

b) En France comme aux Pays-Bas, le calvinisme est, selon l’expression d’un historien, la religion des insurgés ». (Mignet, Etudes historiques, Paris. 1877, p. 348) Les catholiques mis à mort par ces

« insurgés », en dehors des combats réguliers des

guerres de religion, sont innombrables. Lord Acton fait remarquer qu’ils n’agirent pas ainsi pour venger leurs propres injures, mais « en conséquence de leur principe ». (The Histor)- ofFreedom, etc., p. 166) En effet, bien longtemps avant le crime politique de la Saint-Barthélémy, avant même l'échauffourée de Vassy, les massacres de catholiques par les protestants se produisirent sur tous les points du territoire, en Normandie commedans l’Orléanais, dans le Maine, en Dauphiné.en Languedoc, en Provence. Ces massacres étaient prémédités : dès le 5 mars 1560, l'électeur palatin Frédéric III, l’uji des rares princes allemands qui aient adopté les doctrines de Calvin, écrit : « Un grand coup sera bientôt frappé. D’ici au dimanche de Beminiscere, tous les prêtres de France seront massacrés », et il ajoute : u Je suis engagé dans l’affaire. » (Kluckhorn, Briefe Friedrichs des Frommen, t. 1, Brunswick, 1868, p. 1 26 ; cité par Jansskn, t. IV, p. 260) Quand, en mai 1662, les huguenots de Lyon, aidés par le terrible baron des Adrets, ont mis à sac les églises de leur ville, et chassé les moines et les prêtres, le même Frédéric déplore qu’on leur ait fait grâce de la vie (Kluckhorn, p. 297 ; Janssbn, p. 205).Iln’en fut pas partout ainsi.

« Trois mille religieux français », dit le cardinal de

Lorraine au concile de Trente, « ont subi le martyre jjour n’avoir pas voulu traliir le siège apostolique. » (Cité par Janssen, t. IV, p. 261) On trouve dans un écrit presque contemporain, le Theutrum crudelitaiis hæreticorum, publié à Anvers en 1687, 1604 (traductions françaises en 1588, 1607 ; réimpression en : 883chez Desclée, avec suppression de nombreux passages où est peinte trop crûment l’obscénité des bourreaux), d’horribles détails sur les mutilations honteuses qu’on leur (il souvent subir (cf. Brantôme, t. I, p. 353-354), et sur les souffrances qu’on leur infligea avant de les tuer : huile bouillante versée sur le corps ou dans la bouche, yeux crevés, oreilles, narines ou langue coupées, entrailles arrachées et déroulées sur des bâtons ; on cite un prêtre à qui le ventre fut ouvert, et rempli d’avoine que mangèrent des chevaux ; d’autres furent attachés à la queue des chevaux, et écartelés vivants ; un prêtre, qui disait la messe, fut suspendu à une croix, et tué à coups d’escopette ; d’autres sont enterrés vivants, noyés, précipités du haut des murailles, attachés à des poutres enduites de soufre auxquelles on met le feu. Le même document mentionne l’immolation de nombreux laïques, hommes, femmes, et même enfants. Il cite, dans le seul diocèse d’Angoulème, en moins de deux ans, plus de cent vingt personnes de tout état martyrisées ob professionem fidei catliolicæ (éd. 1687, p. 42) : parmi ceux qui furent fusillés, par l’ordre du capitaine huguenot Pile, il nomme un chirurgien, Philippe Dumont, et un marchand de draps, Nicolas Guineau, qui, « attachés à des arbres, confessèrent avec une grande constance Notre-Seigneur Jésus-Christ, suivantla doctrine qu’ils avaient reçue de l’Eglise catholique », constantissime Dominum nostrum Jesum Christum confessi juxta doctrinani sanclnm quant ab Ecclesia catholica receperant (ibid.). Combien d’autres, parmi ces victimes du fanatisme protestant, eurent également droitautitredemartyrs : comme ce moine de la chartreuse deBonnefoy, enVivarais, mis à mort en 1569 par une bande de huguenots pour avoir refusé de transgresser sa règle en mangeant de la viande (Vianey, Saint François Régis, Paris, 191 4, p. 62) ; comme ce prêtre de Chateauneuf du Faou, en Bretagne, qui fut percé d’un coup d'épée parce que, lors du sac de l'église par les calvinistes, ayant aperçu une hostie jetée à terre, il se mit à genoux et la consomma pour la soustraire aux profanations (Leclercq, f.es Martyrs, t. VIU, 1908, p. 243) ; comme ces deux Jésuites martyrs de l’Eucharistie, mis à mort pour en avoir défendu le dogme contre un ministre qui l’attaquait, le P. Jacques Salez et le F. Guillaume Saultemouche, dont s’instruit le procès de béatification. (J. Blanc, Les martyrs d’Aubenas, Valence, 1906 ; F. TouRNiBR, Rapport présenté au Congri^s eucharistique de Rome le 5 juin îyO.'i, dans le » Etudes, t. CIII, 1906, p. 779-794) Et, à une époque plus rapprochée de nous, combien encore méritèrent le titre de martyrs, parmi les innombrables catholiques des Cévennes immolés au commencement du xviii" siècle par les Camisards en haine de leur foi, et dont beaucoup moururent avec une piété, une fermeté et une résignation admirables ! (Voir les relations contemporaines publiées par Dom Leclercq, J.es Martyrs, t. X, 1910, p. 1-07)

Mais le calvinisme n’est pas seulement une religion d’insurgés : il inspira aussi à des autorités régulières la persécution systématique, et l’on peut juger, par l’histoire d’un petit pays où pendant quelques années il devint maître, du sort qu’il eût fait aux catholiques français si le mouvement de la Ligue n'était venu à temps briser ses efforts. Quand