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MARTYRE


moins grande mesure, ce que Bossuet appelle « l’entèlement de parti », accordons-leur largement notre pitié et notre respect. Un écrivain catholique de leur temps, Florimond ok Rkmond, a rendu hommage à leur intrépidité, à la pieuse allégresse avec laquelle ils marchèrent au supplice, et dit l’émotion profonde produite par ce spectacle (^Histoire de la naissance, progrès et décadence de l’hérésie en ce siècle, 1605, t. VII, c. vi). Un semblable téuioignage leur est accordé par un des adversaires les plus déclarés de la Réforme, Gaspard ne Saulx-Tavannks, qui attribue à l’exemple donné par eux de nombreuses conversions à leurs croj’ances (Mémoires, collection Petitot, t. XXIV, p. 251). Je ne saurais mieux faire que de reproduire à leur sujet les paroles du cardinal Pkrraud : o Si l’on ne peut dire qu’ils furent des martyrs, puisque, selon la remarquetrès justede saint Augustin, c’est la cause et non la souffrance qui fait le martyr(cai<42, non poena, martyreiii facit), il était au moins incontestable qu’ils avaient souffert, souffert avec une invincible constance, souffert des supplices semblables à ceux que le paganisme expirant avait fait souffrir aux disciples du Crucilié. Il y avait là un élément de séduction bien propre à troubler les conscicncesles plus généreuses. « (Leçons du P. Perraud à la Sorbonne, Le Protestantisme sous Charles LS’, dans Kevue des cours littéraires, 1870)

Mais la justice due à la mémoire de ceux qui souffrirent ainsi ne doit pas faire oublier que contre le protestantisme la société catholique était, au xvi’siècle, en état de légitime défense : s’il y eut trop souvent des excès regrettables dans les mesures défensives, conformes aux rudes mœurs de ce temps, et si, confondus avec de dangereux agitateurs, elles frappèrent aussi des égarés ou des innocents, on doit blâmer les excès, plaindre, peut-être même quelquefois admirer les victimes, mais non condamner la défense elle-même, que les attaques des novateurs avaient rendue nécessaire.

Les chefs de la Réforme ne réclamaient pas pour eux-mêmes et n’admettaient pas pour leurs adversaires la liberté de conscience. Ils la considéraient au contraire comme une invention diabolique : libertas conscientiarum diabolicum dogma, Ai.’Thkodorb DB BÉzB. Aussi avaient-ils déclaré la guerre non seulement aux doctrines et à la discipline de l’Eglise, mais encore à ses membres. Ils ne se proposaient pas seulement de les asservir : en cas de résistance, ils les vouaient à la destruction. Telle fut, dés le début du mouvement réformateur, la pensée de Luther, « ce cerveau puissant, mais néfaste, qui a brisé l’unité chrétienne et déchaîné sur l’Europe la plus épouvantable des guerres civiles », comme l’a défini M. Imbart de la Tour (Revue des Deux Mondes, i"’déc. 1915, p. 499). « Avec les hérétiques, dit LuTHKH, on ne doit pas disputer : il faut les condamner sans les entendre, et, pendant qu’ils périssent par le feu, les fidèles devraient poursuivre le mal jusque dans sa source, en baignant leurs mains dans le sang des évêques catholiques, et du Pape, qui est le diable déguisé. » (Propos de table, III, i^S) Ces paroles ne sont pas d’un convive un peu échauffé : Luther parle de même dans ses lettres. « Si la folie des Romanistes continue, le seul remède me paraît être que l’empereur, les rois, les princes, attaquent par les armes ces pestes de la terre, et terminent la chose non plus avec des paroles, mais avec le fer… Nous repoussons les voleurs à coups de fourches, nous punissons les brigands par le glaive, et les hérétiques par le feu : pourquoi n’employons-nous pas toutes nos armes à chasser ces maîtres de perdition, ces cardinaux, ces papes, toute cette boue de la Sodome romaine, qui corrompt sans tin l’Eglise

de Dieu, et ne lavons-nous pas nos mains dans leur sang ? » (De Wuttk, l.iither’s Briefe, 1. 1, Berlin, 1826, p. 10 ; ^) En termes plus modérés, comme il convenait à son caractère, Mélancuton exprime le même avis : « Il est très sévèrement commandé par l’Ecriture aux magistrats politiques de détruire en tous lieux, à main armée, les statues qui sont l’objet de jièlerinages et d’invocations, et de punir par des supplices corporels les inguérissables (insanabiles) qui conservent avec obstination le culte des idoles. » (Melanchtonis Opéra, éd. Bretschneider, t. IX, p. I 77.) MuNziiR prêche, en 1521j, « l’extermination nécessaire » (cité par Janssen, L’Allemagne et la Béforme, t. II, Paris, 1889, p. SgS). Calvin, sous Edouard VI, recommande au protecteur Somerset de

« réprimer par le glaive les gens obstinés aux

superstitions de l’Antéchrist » (Lettres de Calvin, éd. Bonnet, t. II, p. 267 ; voir aussi Hbnry, Leben Cahins, t. ii, appendice 30). Le désir de reforme, qui séduisit tant d’âmes sincères, passe vite au second plan : détruire le catholicisme, exterminer, s’il le faut, les catholiques, telle se formule ouvertement la théorie des chefs, mise docilement en pratique par leurs disciples. La Réformation, dit un historien protestant,

« s’ouvrit par une pensée homicide… Luther

exprimait le désir de voir enfin le jeu finir et les luthériens tomber sur les maudits, non plus avec des l)aroles, mais avec des armes ». (Hôflbr, Papst Adrian VI, Vienne, 1880, p. 82)

On voit combien est fondée cette parole de Bossuet :

« Ceux qui nous vantent leur patience et leurs

martyrs sont en effet les agresseurs, et de la manière la plus sanguinaire. « (Cinquième avertissement sur les lettres de M. Jurieu) Lord Acton, que nul ne soupçonnera d’apologétique complaisante, a écrit, sur la Protestant theory of persécution, des pages très fortes, dans lesquelles il montre que l’intolérance catholique fut purement défensive, tandis que les protestants avaient adopté « le principe de l’intolérance agressive, nouveau à cette époque dans le monde chrétien, et favorable tout ensemble au despotisme et à la révolution ». (The Ilistory of Freedom and other Essays, Londres, 1907, p. 168, 170, 181, 255, etc.)

Ce que nous avons à raconter mettra cette observation en pleine lumière.

a. Le luthéranisme. — Malgré les propos Il homicides » que nous avons cités de Luther, ses sectateurs furent, de tous les réformés, ceux qui mirent à mort le moins de catholiques.

a) Dans toutes les contrées allemandes oùle luthéranisme devint dominant, la docilité avec laquelle les peuples imitèrent la défection intéressée de leurs princes explique cette modération relative. La haine sectaire s’y manifesta par les outrages et les profanations, par le sac des églises, la destruction des monastères, le brisement des images, la confiscation des propriétés ecclésiastiques, l’exil imposé aux prêtres et même aux laïques demeurés fidèles au catholicisme ; mais il y eut peu de sang versé. La plupart des catholiques mis à mort en haine de leur foi l’ont été à la suite d’émeutes populaires, d’atten tats individuels, non de sentences judiciaires (voir les exemples cités par Janssen, t. III, 1892, p. 643 ; t. IV, 1895, p. II 5).

Là cependant où les luthériens rencontraient de la résistance, ou se trouvaient en pays ennemi, leur fanatisme devint sanguinaire. Beaucoup des profanations et des cruautés qui souillèrent le sac de Rome en 1627 doivent être attribuées aux troupes « affriandées de la religion luthérienne. Aussi elles le firent bien paroistre envers les prebstres et gens d’église.