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MARTYRE

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Celui-ci paraît supposé par les décisions des empereurs du second siècle. En 1 12, Pline est saisi de dénonciations contre les clirétiens de BitUynie : il demande à Trajan quelle conduite tenir. Trajan répond : ne pas les poursuivre d’oûice ; s’ils sont accusés rég ; ulièrement, les mettre en demeure de renoncer à leur religion ; s’ils persistent, les condamner à mort. Celte réponse s’expliquerait dillicilerænt si le délit de christianisme n’était pas déjà établi. Elle prouve en même temps que les chrétiens sont poursuivis pour ce seul délit, et non pour des inculpations de droit commun, — lèse-majesté ou autre, — car, d’une part, Pline avait écrit à l’empereur qu’une enquête venait de montrer l’innocence de leurs mœurs, et, d’autre part, l’empereur ordonne que, s’ils renoncent à leur foi, ils soient renvoyés absous, ce qui indique bien qu’ils n’ont à répondre que de la seule qualité de chrétien (Pline, Ep., X, xcvi, xcvii).

La jurisprudence ainsi réglée dure pendant tout le second siècle. Hadrien (saint Justin, I Apol., lxviii), puis Antonin le Pieux (EusÈBE, //(s/.ecc/., IV, xxvi, io) la confirment. La même règle est rappelée, en x")", par Marc Aurèle répondant au légat de la Lyonnaise (EusÈBE, Hist. eccl., V, i, 4^) ; mais, en même temps que, comme ses prédécesseurs, il fait dépendre du libre choix des chrétiens la condamnation ou l’acquittement, il n’interdit plus de les rechercher et de les poursuivre d’ollice : nous savons par un mot de CiîLSE (Ohigéne, Contra Celsum, VIII, lxix) que sous son règne on commence à les traquer partout.

h) Cela devient la règle au troisième siècle. Les princes de cette époque ne subordonnent plus à une accusation régulière, se référant à une loi générale et permanente, la validité des procès des chrétiens : ils fixent par des édits nouveaux, variables, les cas où ces procès devront être intentés, et chargent les magistrats, préfets à Rome et gouverneurs dans les provinces, de poursuivre les délinquants.

Septiiue Sévère, en 20a, entre dans cette voie : il prohibe par un édit la propagande chrétienne : ceux qui y ont été mêlés, c’est-à-dire les convertisseurs et les convertis, doivent être arrêtés et jugés (Spartikn, Vita Sc-eri, xvii) : des procès célèbres, comme celui de Perpétue, de Félicité et de leurs compagnons, font comprendre la manière dont cet édit fut appliqué.

Suit un édit de 235, par lequel Maximin « ordonne de mettre à mort seulement les chefs des Eglises, comme responsables de l’enseignement de l’Evangile », c’est-à-dire les évêques etprobablementaussi les docteurs (Eusèbk, Hist. eccl., VI, xxviii). En a50, par un édit d’une portée plus générale, Dèce commande à tous les habitants de l’Empire, depuis Rome jusqu’aux provinces les plus reculées, défaire acte de paganisme en participant à un sacrifice : l’obéissance doit être constatée par écrit, et le refus est puni de mort (saint Cyprien, De lapsis, 11, iii, viii, IX, X, XV, XXIV ; Ep. xLin, lu ; saint Dbnys d’Alexandrie, dans Eusèbe, Hist. eccl., VI, xlii, 1. Sur les papyrus découverts en Egypte, datés de ce règne et contenant des certificats de sacrifice, voir Dom Leclercq, dans Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, janvier, avril, juillet I9t4).

En 25^, un édit de Valérien oblige les évêques et les prêtres à renoncer au christianisme, sous peine d’exil, et interdit à tous les chrétiens les réunions religieuses et la fréquentation de leurs cimetières, sous peine de mort. En 208, un second édit du même prince frappediversesclasses de la population chrétienne : les évêques, prêtres et diacres, qui devront être exécutés sur le champ ; les nobles, mis en demeure de sacrifier sous peine de décapitation ;

les matrones, qui pour refus de sacrifice seront passibles de la confiscation et de l’exil ; la classe riche et puissante des esclaves du fisc, les Césariens, qui, s’ils persistent dans la foi chrétienne, seront réduits au dernier état de l’esclavage, et condamnés à la servitude de la glèbe. Les deux procès de saint Gyprien, évcque de Carthage, le montrent successivement condamné en vertu de l’un et l’autre édit : en 207, à l’exil, en 268, à la mort (Acta S. Cypriani, I, II, 111, IV ; saint Cypkien, Ep. lxxx).

En 2’j4, un nouvel édit est promulgué par Aurélien ; nous n’en savons pas la teneur, mais Lactancb le qualifie de « sanglant » (De mort, pers., vi). Enfin des édits répétés de Dioclétien, de Galère, de Maximin Daia, en 303, 304, 306, 308, commandent à tous les chrétiens de renoncer à leur religion sous peine de mort, et mettent tous les magistrats en mouvement pour rechercher et punir les désobéissants (EusiiBE, Hist. eccl., VIII, II, VI ; De mart. Palæst., i, iii, iv, ix). Voir dans mon livre sur le Christianisme et l’Empire romain, 7’éd., Paris, 1908, appendice, p. 303-306, les six édits de cette persécution.

On voit comment le système, inauguré au m* siècle, de la persécution par édits diffère de celui qui avait été suivi au siècle précédent. L’exigence d’une accusation portée contre les chrétiens selon les formes légales, c’est-à-dire par un accusateur qui prend à sa charge la responsabilité du procès, n’existe plus : le refus d’obéir aux édits, d’accomplir lesactes prescrits par eux, sulUt par rendre les réfractaires justiciables des tribunaux, et les poursuites doivent être intentées d’oflice par les magistrats compétents. La différence est très grande entre les deux procédures, dont la première est conforme aux règles générales du droit romain, et dont la seconde est la procédure exceptionnelle applicable aux seuls ennemis publics, comme sont désormais considérés les chrétiens. Mais au lieu de la menace que, au i" et au II » siècle, la loi initiale interdisant le christianisme faisait peser perpétuellement sur la tête des fidèles, toujours à la merci d’un accusateur, la persécution par édits n’a le plus souvent d’effet que tant que l’édit reste en vigueur. A la mort de l’empereur qui l’avait porté, l’édit de persécution tombait ordinairement de lui-même : c’est ce que l’on voit après la mort de Dèce ; c’est ce qu’on voit encore après celle d’Aurélien, survenue presque au lendemain de son édit, lequel eut à peine un commencenientd’exécution. Quelquefois aussi, l’édit est abrogé formellement par le successeur du prince qui l’avait porté : ainsi Gallien, successeur de Valérien, rend par des lettres impériales la paix aux chrétiens et la jouissance de leurs propriétés aux Eglises. Ou bien, c’est l’auteur même de l’édit qui le révoque, comme en 3Il fît Galère mourant. Les chrétiens jouissent ainsi de paix temporaires, quelquefois d’assez longue durée.

Ce qui n’a pas changé, c’est l’option laissée aux chrétiens. Dans la période de Vinstitutum A’eronia-Hi /m, réglementé parles rescrits de Trajan et de ses successeurs, et dans la période de la persécution par édits successifs, ils sont poursuivis o pour le nom seul », comme l’avait prescrit Jésus-Christ, et non pour des fautes relevant du droit pénal : par conséquent, s’ils renoncent à ce » nom », c’est-à-dire à la religion chrétienne, même à la dernière heure, même devant le tribunal, même devant le bourreau, ils échappent à toute peine, et prononcent eux-mêmes leur acquittement. Les martyrs le savent, et ne le font pas. C’est ce qui donne à leur mort le caractère de témoignage volontaire, et à ce témoignage une force et une noblesse sans égales. Ad hoc