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MARTYRE

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entièrement purifié : il n’a plus besoin de prières : nous verrons, dans l’un des chapitres suivants, que dès les premiers siècles de l’Eglise il était interdit de prier pour lui. La doctrine catholique nous enseiirne que son âme est entrée tout de suite dans l’éternelle béatitude. Au contraire, le soldat qui s’est volontairement et consciemment immolé pour sa patrie peut cependant avoir encore des fautes à expierdans l’autre vie : son sacrilice, même accompagné du sincère regret de ses péchés, condition nécessaire du salut, n’a pas suffi à effacer toutes les peines qui lui sont dues. Aussi, suivant l’exemple donné par Judas Macchabée, l’Eglise continue-t elle à prier pour lui. On lira utilement sur ce sujet une conférence faite, le 15 mai 191 5, par le R. P. dk La Brièrb. reproduite dans VEcho de la Ligue patriotique des Françaises, 15 juin 1915, et en appendice dans le volume intitulé : Luttes de l’Eglise et luttes de la Patrie (Paris, Beauchesne, 1916), et dont voici les conclusions :

« Il serait inexact d’attribuer à la mort du

soldat sur le champ de bataille la même valeur et la même récompense qu’à la mort du martyr. Mais il est certainement légitime de considérer la mort du soldat sur le champ de bataille, dans une fidélité généreuse au devoir militaire, comme autorisant une espérance très spéciale de salut éternel. >>

En résumé, si, dans sa grandeur morale, la mort subie et acceptée par le défenseur d’une cause juste n’est pas sans analogie avec celle du martyr, cependant, au sens strict du mot, à son sens tliéologique et historique, il n’y a de vrais martyrs que de la religion.

b) L’Eglise ajoute : et delà vraie re//^/on. C’est l’enseignement unanime des Pères du second, du troisième, du quatrième siècle, a Seuls, dit saint Irénéb, souffrent vraiment persécution pour la justice ceux qui s’appuient sur la véritable Eglise, v (//aères., IV, xxxm, 9) Ceux qui sont séparés d’elle par le schisme ou par l’hérésie, « même s’ils sont tués en confessant le nom du Christ, ne lavent point leur tache dans le sang, dit saint Cvprikn, La faute inexpiable de leur discorde ne peut être effacée même par leur souffrance. On ne peut être martyr quand on n’est pas dans l’Eglise », martir esse non potest qui in Ecclesia non est (De Ecclesiæ unitate. xiv ; cf. Ep. xxxvi). Saint Augustin commente cette parole de saint Cyprien dans une lettre où il fait allusion, d’autre part, à l’erreur de l’évêque de Carthage dans la controverse baptismale. » Cyprien a été une branche féconde, et s’il va eu dans cette branche quelque chose à retrancher, le fer glorieux du martyre y a passé : non point parce qu’il est mort pour le nom du Christ, mais parce qu’il est mort pour le nom du Christ dans le sein de l’unité : car il a écrit lui-même et il a rigoureusement affirmé que ceux qui meurent hors de l’unité, lors même qu’ils périssent pour le nom du Christ, ne peuvent pas compter au rang des martyrs : tant l’amour ou la violation de l’unité sont puissants pour effacer nos fautes ou nous retenir sous leur poids. » (£p. ce., 4 ; cf. Sermo ccLxxv ; ccLxxxv, 2 ; cccxxvii, i ; cccxxxi, 2 ; Ep. Lxxxix ; cvni, 5 ; cciv, 4) Et quelle parole plus nette, plus dure en apparence, que celle-ci, du même saint Augustin, écrivant en 4 16 à un prêtre donatiste :

« Etabli en dehors de l’Eglise, séparé de l’unité et

du bien de la charité, vous seriez puni de l’éternel supplice, lors même que vous seriez brûlé vif pour le nom du Christ ! » Paris ah Ecclesia constilutus et separatus a compagine unitatis et vinculo caritatis, aeterno supnlicio punieris etiamsi pro Clirisfi nominè vivus incenderis. » (Ep. clxxiii, 6) Mais, comme on l’a remarqué, Augustin souligne ici discrètement » le côte volontaire, coupable, de l’état ainsi réprouvé ».

Ainsi, ceux qui périssent, même « pour le nom du Christ », mais en étant eux-mêmes’i horsdel’Eglise », comme il arriva plus d’une fois à des marcionites ou à des montanistes pendant les persécutions des premiers siècles, n’ont pas droit au titre de martyrs. C’est la doctrine des Pères de l’Eglise, et ils furent probablement d’autant plus pressés de la formuler, que, dans les hérésies de leur temps, l’idée du martyre dilTérait notablement de ce qu’elle était dans l’Eglise catholique. Celle-ci, en toutes choses ennemie de l’orgueil et de la présomption, défend la recherche volontaire du martyre : en principe, elle interdit à ses lidèles de se dénoncer eux-mêmes aux persécuteurs (sur les exceptions à cette règle, voir saint Thcmas, Summa Tlieol., Il" II"’, q. 124, art. 3, et Benoit XIV, De ser^’orum Dei beatificatione et beatoriini canonizatione, III. xvi) : elle va jusqu’à refuser le titre de martyr à ceux qui ont attiré sur eux la colère des païens en insultant à leur religion ou en détruisant inutilement leurs idoles (concile d’IUiberis, canon 60 ; Origène Contra Celsum, VIII, xxxviii), comme elle le refuse, d’une manière générale, à ceux qui ont gardé dans leur cœur un sentiment contraire à la charité, et meurent sans pardonner à leurs ennemis (saint Cyprien, De bono patientiae, xiv). Nous voyons, au contraire, chez les marcionites et chez les montanistes. la recherche du martyre recommandée, le blâme publiquement jeté sur les chrétiens qui, déliants d’eux-mêmes et obéissant aux conseils du Sauveur, essayaient de se dérober par la fuite aux persécuteurs. Ces hérétiques, ou ceux-là du moins qui étaient volontairement et sciemment imbus de l’esprit de leur secte, s’éloignaient de parti pris, sur la question du martyre, de la doctrine et de la pratique de l’Eglise catholique, et des exemples donnés par les lidèles dociles à ses directions. (Sur les martyrs marcionites, ErsÈDR. flist. eccl., III. xii ; IV, xv ; V, xvi ; De mart. l’ai., x ; Trhtcllien, Ad^-. Marcionem, I, xxvii ; Martrrium Pionii, xxi ; sur les martyrs montanistes, Tertcllibn, De fuga in persecutione ; Eusèbe, Hist.

eccl., V, XVI, 12, 20, 22 ; xviii. 5, 6,

Cf. P. DR La briollb, La crise montaniste, Paris, I913, p. 183 ; Les sources de l’histoire du montanisme, igiS, p. ^3-^6, et mes Dix leçons sur le martyre, 5’éd.. p. 322-329). La discipline de l’Eglise primitive est conforme à sa doctrine. Les lidèles emprisonnés pour la foi s’abstiennent, même dans les cachots, de communiquer avec les hérétiques captifs pour le même motif (Ecsèbb, Hist. eccl., V, xvi. 22). Il est, au quatrième siècle, interdit aux lidèles, sous peine d’excommunication, de prier ou d’offrir le saint sacrifice sur les tombeaux des hérétiques honorés comme martyrs par leur secte : le concile de Laodicée, vers 380, qui édicté dans son canon 9 cette interdiction, donne même (canon 34) à ces hérétiques immolés par les païens le nom de ir^ôîuKiT^îa ; , tiOt iVriv aipm/.’yy :.

c) Est-ce àdirequ’il faille refuser la sympathie ou l’admiration à tous ceux qui sont morts our la foi du Christ, mais séparés de l’Eglise par le schisme ou l’hérésie ? Evidemment, ils n’ont droit à recevoir officiellement ni le titre de martyrs, ni le culte rendu aux martyrs. Mais n’en eurent-ils pas devant Dieu le mérite, si, retenus par une ignorance invincible, avec une parfaite bonne foi. dans une secte séparée de l’Eglise, ilsontétémis à mort par haine du Christ, elpourleur refus de le renier, c’est-à-dire en confessant, eux aussi, la vérité ?

Je n’ai pas qualité pour répondre à cette question ; mais, comme elle peut concerner également des victimes des persécuteurs anciens et modernes, je citerai les réponses que des missionnaires me paraissent lui avoir faites, au moins implicitement.