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MARTYRE

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Lactancb insiste à son lour sur la fécondité du témoignage des martyrs : « Plusieurs sont séduits par le courage et la foi des cbréliens. L’un se prend à soupçonner que ce n’est pas sans motif que le culte des dieux est jugé mauvais par un si grand nombre d’hommes, puisqu’ils aiment mieux mourir ([ue de faire ce que les autres font pour vivre. L’autre désire savoir quel est ce l)ieu pour lequel on combat ainsi jusqu'à la mort, qui est préféré à tout ce qu’il y a d’admirable et de cher en cette vie, dont ni la perte des biens ou de la lumière, ni la douleur corporelle ouïes tourments qui brisent nos membres, ne nous peuvent détacher. Ces raisons sont très ellicaces ; mais en voici d’autres qui ont toujours fait beaucoup pour augmenter notre nombre. La foule des assistants entend les chrétiens dire au milieu des supplices : « Nous ne sacrifions pas à ces pierres taillées

« par la main de l’homme, mais au Dieu vivant qui est
« dans le ciel. » Beaucoup comprennent que c’est la

vérité, et ils l’admettent du fond du cœur. Ensuite, comme il arrive toujours dansles choses incertaines, ils se demandent entre eux quelle peut être la cause de cette persévérance : ils apprennent ainsi, dans le public où elles sont répandues et colportées, bien des choses relatives à notre religion, qui ne peuvent que leur plaire parce qu’elles sont bonnes… Toutes ces causes réunies ensemble donnent à Dieu, d’une manière admirable, un grand nombre de lidèles. v (2^jV. Iiist., V, xxiii)

Cette page d’un écrivain des premières années du IV » siècle est vraie pour tous les temps : un mission naire du xix' ou du xx' siècle la signerait.

/i. Le catholicisme deu rcartyra. — a) Il n’y a de martyrs, au sens propre du mol, que delà, foi catholique. Quod inorlyres veros non fuciat poena, sed causa, « c’est la cause, non la peine, qui fait les martyrs », écrit saint Augustin (lip. lxxxix). Les acceptions vulgaires du mot « martyr » données dans la langue courante aux personnes qui soulfrent beaucoup, quelle que soit la cause de leurs souffrances, doivent donc être écartées. Le martyr est un témoin de la vraie religion, et il n’y "a de martyrs, au sens jiropre du mot, que ceux qui soulfrent pour elle et l’attestent par leurs souffrances.

» On ne peut être appelé martyr pour avoir rendu témoignage à une véritéquelconque, écrit saint TuoMAS, mais seulement pour avoir rendu témoignage à la vérité divine : autrement, si quelqu’un mourait pour avoir confessé une vérité concernant la géométrie ou toute autre théorie spéculative, il devrait être considéré comme martjr, ce qui paraît ridicule. » {Summa Tlieol., l^ l^^, (. I24, art. 5) La philosophie elle-même est exclue par cette définition ; et, de fait,

« personne, écrit au second siècle saint Justin, ne

crut Socrate jusqu'à mourir pour ce qu’il enseignait ». (Il Apol., vu) On vit sans doute dans l’Empire romain des philosophes exilés et même mis à mort par la haine des tyrans : ce furent des victimes, parfois très nobles, de la jalousie ou de la politique : mais on ne prendra pas pour des martyrs Sénèque s’ouvrant les veines par ordre de Néron ou l’illustre stoïcien Thraséos. Même les causes les plus belles et les plus pures, en dehors de la religion, n’ont point produit de martyrs, au sens propre de ce mot : bien que l’immolation volontairement acceptée puisse avoir, dans certains cas, un très grand mérite devant Dieu. De terribles événements ont attiré l’attention sur ce sujet : il est traité avec une précision magistrale par le Cardinal Mercier.

« Un ollicier d'état-major — tcrit-il dans sa lettre

célèbre sur le Patriotisme et l’Endurance — me de mandait naguère si le soldat qui tomI)e au service

d’une cause juste — et la nôtre l’est à l'évidence — est un martyr. Dans l’acception rigoureuse et théologique du mot, non, le soldat n’est pas un martyr, car il meurt les armes à la main, tandis que le martyr se livre, sans défense, à la violence de ses bourreaux. Mais si vous me demandez ce que je pense du salut éternel d’un brave qui donne consciemment sa vie pour défendre l’honneur de sa patrie cl venger la justice violée, je n’hésite i)as à répondre que sans aucun doute le Christ couronne la vaillance militaire et que la mort, chrétiennement acceptée, assure au soldat le salut de son àme. Nous n’avons pas, dit Notre-Seigneur, de meilleur moyen de pratiquer la charité que donner notre vie pour ceux que nous aimons, Majorent liac dileciionem nemo haiet, ut animant suant ponat quis pro amicis suis. Le soldat qui meurt pour sauver ses frères, pour protéger les foyers et les autels de la patrie, accomplit celle forme supérieure de la charité. Il n’aura pas toujours, je le veux, soumis à une analyse minutieuse la valeur morale de son sacrifice, mais est-il nécessaire de croire que Dieu demande au brave entraîné au feu du combat la précision méthodique du moraliste et du théologien'.' Nous admirons l’héroïsme du soldat : se pourrait-il que Dieu ne l’accueillit pas avec amour ?… Car telle est la valeur d’un acte de charité parfaite, qu'à lui seul il efface une vie entière de péché. D’un coupable, sur l’heure, il fait un saint. »

Il peut donc y avoir, dans le sacrifice volontaire de sa vie à une cause juste ou — ajoute plus loin le cardinal — à une cause que l’on croit juste, un mérite tel qu’il ait devant Dieu, pour le salut de l'àme, une efiicacilé comparaljle dans une certaine mesure à celle du martyre. Mais l’analogie n’est pas complète, comme le montre à son tour S. E. le cardinal Billot, dans un discours prononcé à Rome le 25 mars ig15. Non seulement la mort du soldat sur le champ de bataille est glorieuse devant les hommes, mais

« n’est-on pas, dit-il, fondé à espérerqu’elleait aussi

quelque privilège au regard de la vie éternelle » ?II attend de la miséricorde divine, pour ceux qui sont ainsi tombés en défendant leur patrie, « des éclairs de grâce qui traversent leurs âmes et les incitent à faire les actes de foi, d’espérance, de charité, de contrition qui, suppléant au défaut du sacrement de pénitence, les disposent à la grâce de la récompense et de pardon ». Car « il semble bien que s’il y a toujours une place possible à la visite de Dieu dans le moment qui précède immédiatement la mort, même pour les pécheurs qui n’auraient donné jusque-là aucun signe de résipiscence, il y en aura une bien plus large encore dans les circonstances particulièrement propres à émouvoir la divine miséricorde, de la mort sur le champ de bataille ». L'éminent théologien rapporte ici l’exemple de Judas Macchabée faisant offrir un sacrifice pour l'àme de ses soldats tombés sur le champ de bataille dOdoilam, et espérant quod cum pietale dormitionent accepcrani, bien qu’un peu auparavant ils se fussent rendus coupables d’un acte idolâtrique défendu par la loi divine (II Macch., xir, 39-46). Le héros juif « a la confiance (]ue, malgré tout, Dieu n’aura pas refusé à ces braves, qui s'étaient volontairement offerts pour le combat, la grâce suprême de la pénitence et du repentir ». (la France catholique à Rome, Paris et Rome, igiS, p. 2/1-26)

Le rappel de ce fait historique achève de mettre en lumière une différence essentielle entre la raortdu soldat, même dans les meilleures dispositions et pour la plus juste des causes, et la mort du martyr. Celui <iui a rendu témoignage à la vérité ou à la vertu chrétienne par le baptême sanglant du martyre, est