Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/174

Cette page n’a pas encore été corrigée

335

MARTYRE

336

C’est là le second aspect du témoignage des martyrs, aspect plus général, et applicable à tous les temps.

Il s’élargit encore quand on remarque que beaucoup d’eux ont attesté par leur sang non seulement la fidélité aux doctrines de l’Eglise, mais encore la fidélité à ses commandements et au devoir chrétien sous toutes ses formes. Il y eut des martyrs de la chasteté comme il y eut des martyrs de la loi : pro jide et castitate occisa est, disent les Actes d’une martyre, et les exemples de témoignages rendus ainsi, soit à cette vertu, soit à d autres devoirs dictés par la loi religieuse, peuvent être cités en grand nombre dans tous les temps. Après avoir dit que non seulement la foi, mais toutes les vertus dans leur rapport avec Dieu, peuvent être la cause du martyre », saint Thomas d’A^uin ajoute : a L’Eglise célèbre le martyre de saint Jean-Baptiste, qui souffrit la mort non pas pour refus de renier la foi, mais pour son courage à réprimer l’adultère », unde et beati Joannis Baptistæ martyrium in Ecclesia celebratur, qui non pro neganda fide, sed pi o reprehensione aduUerii mortem siistiniiil (Summa Theologica, Uallas, q. 124, art. 5).

3. Les eSets du témoignage des martyrs : sur les chrétiens ; sur les païens. — a) « Quand le peuple, écrit Lactance, voit des hommes, décliirés par toute espèce de supplices, garder au milieu des bourreaux fatigués une invincible patience, il pense, ce qui est la vérité, que ni la volonté unanime d’un si grand nombre, ni la persévérance de ceux qui meurent, ne sont des choses vaines, et que la patience humaine, sans le secours de Dieu, ne pourrait supporter d’aussi grands tourments. Des brigands, des hommes au corps robuste, n’ont pas la force d’endurer de pareilles souffrances : on les entend crier et gémir. Ils sont vaincus par la douleur, parce que leur manque la patience inspirée (inspirata patientia). Chez nous, non seulement des hommes, mais des enfants et de faibles femmes ont vaincu en silence leurs bourreaux ; le feu même ne peut tirer d’eux un gémissement. Que les Romains se vantent de Mucius Scævola ou de Régulus… Voici le sexe faible, l’âge fragile, qui se laissent déchirer et brûler tout le corps, non par nécessité, puisqu’ils peuvent, s’ils le veulent, éviter le supplice, et qui l’acceptent de leur pleine volonté, parce qu’ils ont confiance en Dieu… » Cet héroïsme n’est pas le fait d’un petit nombre, mais « de milliers d’hommes répandus dans le monde entier », à une époque où « partout, de l’Orient à l’Occident, la loi divine a été reçue, où tout sexe, tout âge, tout pays servent Dieud’unmême cœur, ont la même patience, le même mépris de la mort. Aussi doit-on comprendre qu’il y a là quelque réalité, que ce n’est pas sans une juste cause que l’on meurt ainsi, et qu’elle est fondée et solide, cette religion que les injustices et les persécutions ne détruisent pas, mais au contraire font croître et rendent chaque jour p ! us forte » (£ »  ». Inst., V, xai).

Ce sont là les grandes lignes de l’apologétique du martyre, dessinées par un contemporain des martyrs, à une heure où la persécution sévit encore, mais où le passé déjà long de l’Eglise permet de jeter un regard en arrière et de faire la synthèse de sa douloureuse et glorieuse histoire. Lactance trace ici la voie aux apologistes modernes, qui, avec l’expérience des siècles qui ont suivi, considèrent le martyre comme étant « dans l’ordre moral et social un phénomène admirable et vraiment unique… un fait extraordinaire qui postule une explication divine, … un miracle moral j (J. Rivièbk, dans Revue pratique d’apologétique, 15 août 1907, p. 629, 6/12 ; A. DE PouLriyuET, même revue, ! " avril 1909,

p. !  ; G. Sortais, Valeur apologétique du martyre, p. 29), n’ayant son pareil dans les annales d’aucune religion et d’aucun peuple, et qui prouve à lui seul, selon l’expression de l’abbé de Broglie, « la transcendance du christianisme ».

b) Les piemiers chrétiens le comprenaient. Dans sa lettre de 155, l’Eglise de Smyrue montre plusieurs fidèles dans l’amphithéâtre de cette ville,

« tellement déchirés par le fouet, que leurs veines, 

leurs artères, tout le dedans de leur corps étaient à nu, et cependant si fermes que les assistants s’attendrissaient et pleuraient, pendant qu’eux-mêmes ne faisaient entendre ni un murmure ni une plainte ». La lettre ajoute : Il est visible qu’à cette heure où on les tourmentait, les témoins du Christ étaient hors de leur chair, ou plutôt que le Christ était près d’eux et leur parlait. » (Martyrium Polycarpi, 11) La lettre écrite vingt-deux ans plus tard au nom des chrétiens de Lyon et de Vienne montre de même leurs martyrs insensibles aux tourments « grâce à l’espérance, à l’attachement aux biens de la foi et à la conversation avec le Christ », et « le Christ lui-même souffrant dans la personne du martyr *, » û nr/.7yuj X/iicTTo ; (dans Euskbe, Hist. eccl., V, i, 21, 51, 56). On trouve une expression analogue dans la Passion des saintes Perpétue et Félicité (xv). Tertullien fait écho à ces paroles, quand il écrit : « Christus in martyre est » (De pudicitia, xxu).

c) Les païens eux-mêmes en eurent quelquefois le sentiment. La lettre déjà citée de l’Eglise de Smyrne dit que, après le martyre de Polycarpe, « la foule s’étonnait qu’il y eût une si grande différence entre les infidèles et les élus ii, éay//ar « ( TTocvraràv oy’j’iv £( T17at^Tï : Tt ; ^tr/.’jopù fiirvXh ziiv t£ àTTfTTwv xai tôiv ïx/extùj {^Murt. Polycarpi, xvi). La vue de la constance des martyrs parut, à saint Justin encore païen, la plus sûre réfutation des calomnies alors répandues contre les chrétiens (saint Justin, 11 ^Ipo/., xii). Un écrivain chrétien a noté l’impression produite sur les spectateurs païens par cette constance inexplicable : « Un jour que des mains cruelles déchiraient le corps d’un chrétien, et que le bourreau traçait de sanglants sillons sur ses membres lacérés, j’entendais les conversations des assistants. Les uns disaient : a 11 y a quelque chose, je ne sais quoi, de grand à ne point céder à la douleur, à supporter les angoisses. » D’autres ajoutaient : « Je pense qu’il a des enfants, une épouse est assise à son foyer. Et cependant ni l’amour paternel, ni l’amour conjugal n’ébranle sa volonté. Il y a là quelque chose à étudier, un courage qu’il faut scruter jusqu’au fond. On doit faire cas d’une croyance pour laquelle un homme soutire et accepte de mourir. » (/ve laude martyrum, v)

Ces réilexions des gens de bonne foi furent cause de nombreuses conversions. Le sang des chrétiens, selon le mot si souvent cité de Tehtdllikn, devenait ainsi une semence, « semen est sanguis cliristianorum » (Apologeticus adversus génies, l). Rapi)elant les exhortations de Cicéron, de Sénèque, de Diogène, de Pyrrhon, de Callinique, sur le mépris de la douleur et de la mort, il ajoute : « Ces paroles ont fait moins de disciples que l’exemple des chrétiens. Ce que vous appelez notre obstination est un enseignement. Qui, en les voyant, n’est pas énm, et me recherche pas ce qu’il y a de réel là dedans (quid intus in re sil)"} et qui, après l’avoir découvert, ne s’en approche pas ? qui, après s’en être approché, ne souhaite pas aussi de souffrir ? » (Ibid.) Il répète brièvement, en s’adressant au cruel proconsul Scapula :

« Quiconque est témoin de notre constance en

reçoit un choc (ut aliquo scrupulo percussus), s’informe, recherche la cause, et, quand il a connu la vérité, il la suit. » (^Ad Scapulam, v)