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MARTYRE

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de ces privilégiés quand il dit aux Juifs d’Antioche de Pisidie : « Ceux qui sont montés avec lui de Galilée à Jérusalem sont aussi ses témoins devant le peuple. » (Acl. Apost., xiii, 21)

Tout de suite, selon la prédiction de Jésus, ce témoignage est scellé par la souffrance et par le sang : Etienæ lapidé, Jacques, frère de Jean, décapité, Pierre plusieurs fois emprisonné, battu de verges, avant d’aller à Rome pour y être crucifié, Paul aussi battu, lapidé, longtemps captif, puis mourant à Rome sous le glaive, Jean exilé, Siméon crucifié, .lacques, cousin du Seigneur, lapidé et assommé, les fidèles de Jérusalem exilés, dispersés. Avant la fin du premier siècle, une nuée de semblables témoins s’est élevée de partout, a J’ai vu sous l’autel, écrit saint Jean, les âmes de ceux qui ont été tués à cause de la parole de Dieu et du témoignage qu’ils ont rendu… J’ai vu les âmes de ceux qui ont été décapités pour le témoignage de Jésus et pour la parole de Dieu, 5tà Tf, v }j.v.pTupiu.v’Iv^ffcû xkè àiy. TÔl* /r/ov roO &SOÛ, » (^Apocalypse, vi, 9 ; xx, 4 ; cf. 11, 13)

Le motif de leur condamnation avait été indiqué par le Christ lui-même, dans plusieurs des textes cités plus haut. C’est à cause de son nom, Stù tô ivofix HOU, propler nomen meiim, qu’ils sont maltraités ou mis à mort. La prédiction s’accomplit sans tarder. Quand, dès l’an 1 12, des chrétiens en grand nombre sont traduits devant le tribunal de Pline, gouverneur de la Bithynie, celui-ci consulte l’empereur Trajan : faut-il punir en eux « le nom, même s’il est pur de tout crime », nomen ipsum etiamsi flagitiis carea<.^ Et Trajan répond par l’allirmative (Pline, Ep., X, xcvi, xcvii) : réponse qui, malgré l’injustice de condamnations prononcées propter nomen, en haine du nom du Christ et du nom de chrétien, fera loi jusqu’à la fin des persécutions antiques, ou plutôt jusqu’à la fin des persécutions dont l’Eglise sera assaillie dans tous les siècles.

Les martyrs sont donc ceux qui ont confessé et attesté, par leur mort ou au moins par les souffrances volontairement acceptées et subies, la personne de Jésus-Christ, son nom, sa doctrine.

2. Le témoignage des martyrs. — Ce témoignage peut être considéré sous deux aspects.

a) Il y a d’abord l’aspect historique : les martyrs attestent la réalité des faits évangéliques.

A ce point de vue, le témoignage rendu par les martyrs de la première génération chrétienne tient une place à part. Ils ont vécu au temps de Jésus. Les uns l’ont connu, ont vu ses miracles, ont entendu ses paroles ; les autres ont assisté aux débuts de l’Eglise. Quand ces contemporains du Sauveur souffrent les plus cruels supplices plutôt que de renoncer à sa religion, leur martyre est une preuve des faits sur lesquels elle est fondée, et dont leur mémoire est encore pleine. Non seulement ils croient, mais ils savent, et c’est parce qu’ils connaissent les merveilles opérées par le Christ qu’ils acceptent de mourir pour lui.

Le témoignage rendu par les martyrs de la seconde génération chrétienne a presque autant de force. Ignace, évêque d’Antioche (-j- 107), Polycarpb, évêque de Smyrne ()- 155), n’ont pas vu le Christ, mais ils ont connu les apôtres Pierre, PauT7 Tean (saint Irknke,.4(fr ; ~ //aères., III, iii, 4 ! Lettre à Florinus, dans EusKBH, Hist. eccL, V, xx). Ce second anneau de la tradition, tout imprégné d’histoire directe et vécue, nous mène jusqu’au milieu du second siècle.

Même les chrétiens de la génération suivante ont pu recueillir l’écho de la prédication apostolique. Nous le voyons par saint Irknéb, contemporain de

la persécution de Marc Aurèle en 177 et mort sous Septime Sévère, au commencement du troisième siècle. Polycarpe, dont il suivit les leçons dans sa jeunesse, lui a raconté ses entretiens « avec Jean et les autres qui avaient vu le Seigneur », avec « les témoins oculaires du Verbe de vie ». (Lettre à Florinus, dans Eusèbe, l. c.) Les martyrs de cette période se rattachent encore à la précédente par un lien solide, et ont pu connaître non seulement par les documents écrits, mais même par la tradition orale, les faits qui servent de garants à la doctrine chrétienne (voir pour plus de détails mes Dix leçons sur le martyre, 5^ éd., igiS, p. 3 12-820).

Sans doute, ces martyrs des premiers âges chrétiens n’ont pas argumenté avec leurs juges pour établir les fondements historiques de leur religion. Ce n’est pas de cela qu’il était question, mais de l’obéissance ou de la désobéissance aux ordres des empereurs. Leur mort n’en atteste pas moins ces faits initiaux, car s’ils n’avaient pas eu de bonnes raisons d’y croire, ils n’auraient pas sacrifié leur vie en refusant d’abjurer. Quand un disciple des apôtres, tel qu’IoNACE d’Antioche, après avoir écrit que Pierre et ceux qui étaient avec lui reconnurent et touchèrent Jésus ressuscité, ajoute : « A cause de cela, Six tgûto, ils. méprisèrent la mort, ou plutôt ils furent supérieurs à la mort » (Ad Smyrn., 111), il indique clairement qu’ils furent soutenus dans leur martyre par la certitude du Christ ressuscité, et que par ce martyre ils rendirent témoignage à ce qu’ils avaient vu.

Cette phrase d’un écrivain du commencement du second siècle, martyr lui-même, trouve son commentaire dans la parole célèbre de Pascal : " Je crois volontiers les histoires dont les témoins se font égorger. » (Pensées, xxvni ; éd. 171a, p. 179) Depuis Pascal, lepointde vue auquel il s’est placéestdevenu celui de la plupart des apologistes. Ils ont reconnu dans le témoignage des martyrs une preuve des faits évangéliques. Cet argument a été développé au xviii" siècle par Bergier (Traité de la vraie Religion, m* partie, ch. v ; Dictionnaire de théologie, art. Martyrs), au xix’par Frayssinous (Conférences : Questions surie mar()Te), PERRONE(/Je l’era Èeligione, I, iv), MoNSABRÉ (Introduction au dogme catholique, xxxvin’conférence), Hurter (Theologiæ dogmaticae compendium), Brugérb (De vera Beligione, 1878, p. 14a-153), de nos jours par T.NQUERBY(.STno/)sis theologica, 1901, p. 225-233), Sortais (Valeur apologétique du martyre, 1906, p. 525), Allari>(/Jjx leçons sur le martyre, 5" éd., p. 809-321).

b) Mais l’argument tiré du témoignage historique des martyrs ne doit pas être poussé au delà de ses justes limites. Ce témoignage n’a toute sa valeur, comme attestation de « choses vues », que s’il a été rendu par des témoins assez rapprochés des origines pour avoir de celles-ci une connaissance directe. A mesure qu’on s’est éloigné d’elles, l’affirmation de la doctrine, la foi de « ceux qui n’ont pas vii, mais qui ont cru », et que le Sauveur proclame j bienheureux » (.S. Jean, xx, 29), l’ont emporté, dans le témoignage des martyrs, sur l’affirmation des faits. Ces martyrs des temps moins anciens meurent pour attester la divinité du Christ, la divinité de l’Eglise, la divinité de la religion ; ils sont, selon l’expression de saint Thomas d’Aquin, les témoins de la foi chrétienne, testes fidei christianæ (Summa Theologica, 11^ Il^ie, q. ia4. art. 4), et leur témoignage, à ce point de vue, garde toute sa t-ateur morale : mais il n’a plus le caractère en quelque sorte documentaire de celui qu’avaient rendu les martyrs des premières générations chrétiennes, contemporains des apôtres ou des disciples des apôtres.