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LOI ECCLÉSIASTIQUE

une doctrine morale ([ue ne soupçonnaient pas les anciens. L’Eglise n’a copié leurs procédés que pour les faire servir à ses fins à Elle, cl pour réaliser un idéal nouveau.

Montons encore d’un degré. Les Ordres religieux Il représentent, dit Léon XIU (Lettre à S. Eni. le cardinal archevêque de Paris, Au milieu des consolations, 23 déc. 1900, Jeta S. S., t. XXXIII, p. 36o), la pratique publique de la perfection chrétienne j. Leurs membres se vouent, selon les conseils de l’Evangile, à l’abnégation totale d’eux-mêmes par la pauvreté, la chasteté, l’obéissance. Il leur arrivera de se laisser aller à des défaillances ; mais l’état de vie dans lequel ils sont engagés les oblige à tendre vers les sommets ; l’essence de ce status, c’est de mortifier constamment l’inclination naturelle de l’homme vers les biens créés pour établir en son cœur le règne de l’amour divin : conception grandiose et austère, qui semble dépasser les forces moyennes de l’humanité et échapper par là même à l’emprise du législateur. Eh bien ! l’Eglise a osé en faire l’objet d’une réglementation positive ; la vie religieuse existe chez elle à titre d’institution normale, olficiellement reconnue et pratiquement organisée. Plusieurs titres du Corpus, complétés par d’innombrables documents du Saint-Siège, en réglant le fonctionnement des Ordres et des Congrégations, constituent un véritable code de perfection. Il y a là une législation compliquée, loutTue, mais qui réussit à formuler et à coordonner en système juridique les principes d’un renoncement absolu. En vérité, les civilistes ne nous avaient pas habitués à trouver dans les manuels de droit des méthodes de sacrifice, et il faut avouer qu’en passant de leurs ouvrages aux traités canoniques de Hogularibus, on change d’atmosphère. Les canonistes, comme tous les juristes, aiment les brocards qui condensent en peu de mots une théorie entière. Parmi ces aphorismes qui voyagent de décrétale en décrétale et de glose en glose, beaucoup expriment une vérité de bon sens ou une sentence d’équité ; généralement de provenance romaine (voir, par exemple, le commentaire de Reiffenstuel, De liegulis juris), ils sont marqués au coin de la sagesse quiritaire, et servent utilement à résoudre les dillicultés courantes en affaires. Quelques-uns, toutefois, rendent un bien autre son : i< Tout ce qu’acquiert un moine appartient à son monastère > (Quicquid monachus acquirit, monasterio acquiril. Cf. tous les canonistes passim, V. g. VERMEERscu, de iî’e//^ ; osiA-, t.I, n. 242) ; « Le religieux n’a de volonté ni pour le oui ni pour le non » (Religiosus velle vel noUe non liabet. Cf. in Vl", 1, 6, c. 27 ; iii, 1 1, c. 2 ; III, 12, c. 5). En ces deux phrases, sont résumés les principes du détachement le plus radical : abdication de toute propriété individuelle, immolation de toute volonté propre. Voilà certes des maximes que ni les Sabiniens ni les Proculiens n’avaient mises en circulation ; c’est l’enseignement d’une autre école qui se fait entendre ici. L’Eglise a glissé parmi les Hègles de droit des Pandectes les préceptes ou les conseils del’Evangile ; en recueillant l’héritage juridique de l’Empire, elle a mêlé aux monnaies d’airain qui portent 1 image des Césars quelques pièces d’or frappées à l’efligie du Dieu crucifié.

Ainsi le droit canon reflète à sa manière la sainteté de la société qu’il régit. Quelques esprits, toutefois, hésitent à en convenir ; sans nier absolument la beauté de nos institutions, ils sont plus attentifs au levers de la médaille. Ne lit-on pas souvent, dans les canons de conciles ou les constitutions du Saint-Siège, l’aveu d’abus lamentables qui n’auraient jamais dû se glisser, semble-t-il, au sein du peuple fidèle ? Que de pontifes, au moyen âge, ont gémi sur l’incontinence des clercs (Cf. C. xxxii, per totum ; X.

III, 3 et /(, etc.) et sur la simonie ! (Cf. D. i, qu. 1-7, passim ; X. v, 3, etc.) Us prennent des mesures pour remédier au mal, on ne leur obéit pas ; leurs successeurs se voient dans la nécessité d’innover les mêmes lois, de les munir de sanctions pénales, et ce n’est qu’après une véritable lutte contre l’inertie ou la malice des sujets que l’autorité finit par faire respecter sa volonté. Un tel spectacle n’est-il pas simplement scandaleux ?

Je ne le crois pas. Ceux qui s’étonnent de ces déficits ne paraissent pas se rendre compte des sacrifices que suppose l’observation intégrale des lois ecclésiastiques. Ont-ils réfléchi à la dose de vertu qu’exige des prêtres le célibat, et des moniales la clôture perpétuelle ? Or, une partie notable des canons occidentaux est consacrée à urger l’accomplissement de ces grands devoirs. Il est entendu que tout chrétien a le droit de se marier, que toute chrétienne est libre de rester dans le monde ; mais, si un jeune homme reçoit le sous-diaconat, il s’engage pour toujours à la chasteté parfaite ; si une jeune fille fait profession dans un Ordre cloîtré, elle s’astreint à passer toute sa vie au fond de son couvent, sans en sortir et sans yrecevoir personne. Ce sontdeslourdes obligations ; il favit, pour y rester constamment fidèle, un véritable héroïsme. Et cependant l’Eglise ne craint pas de les sanctionner juridiquement. Ce qui doit nous surprendre, ce n’est pas qu’une pareille discipline se soit heurtée à des résistances plus ou moins passives, c’est qu’elle ait pu néanmoins s’établir et se maintenir pendant des siècles. Uappelons-nous en effet que Notre-Seigneur n’a pas rétabli la nature déchue dans l’intégrité delà justice originelle ; les blessures que lui infligeala faute d’Adam ne sont pas encore cicatrisées, et la concupiscence continue de la porter au péché. La Grâce ne détruit pas en nous les tendances mauvaises, mais elle les combat et les dompte. L’Eglise seconde la Grâce ; elle prêteà ses opérations invisibles le secours d’une action visible, et le droit canon est précisément l’arsenal des armes qu’elle a forgées pour cette guerre. Or, quelles que soient les péripéties de la lutte, elle ne capitule jamais, et c’est cette fermeté qui est admirable. Que de fois n’a-t-on pas tenté, par exemple, d’olilenir du Saint-Siège la suppression du célibat ecclésiastique ! Rome s’est constamment refusée à la moindre concession de ce côté, et les adversaires de la chasteté cléricale n’ont réussi qu’à provoquer de la part des pasteurs un redoublement de vigilance. (Cf. v. g. Conc. Trid, Sess. xxiv, De Sacram. Matrim., can. l, 9 ; Encycl. Mirari vos, 15 Aug. 1882, § Hic autem vestram ; Syllabus, prop. 7^, N.B. ; ^ncyc. Pascendi, 7 sept. 1907, ^ Pauca demum superant. ) Sur ce point comme sur bien d’autres, l’histoire de l’Eglise est celle d’une reforme perpétuelle ; je ne sais rien de pluscontraireàla marcheordinaire des choses humaines. En général, les sociétésquiont commencé à déchoir ne se relèvent plus ; l’Eglise, au contraire, sort toujours à son honneur des crises qui l’éprouvent.

Beaucoup d’abus invétérés, enracinés dans les mœurs, ont fini par disparaître, sous l’action de la hiérarchie, favorisée par des circonstances providentielles. La simonie fut la plaie du moyen àge(X. v, 3, c. 39 ; Innocentius III, in Conc. Lat., W", a. I215. Cf. C. I, qu. I, c. 7, 28 ; qu. 3, c. I, 9, 13 ; X. v, 3, c. 13, 30, 40, 42 ; Extrav.comm., v, i, c. i, etc.) ; quelles traces enreste-t-il de nos jours et dans nos régions ? La vie privée des prêtres, à certaines époques, était loin d’être irréprochable ; actuellement, notre clergé donne l’exemple d’une correction qui laisse peu de prise à la médisance ; jamais, je pense, la pureté des mœurs sacerdotales ne mérita mieux qu’aujourd’hui