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MARIE — IMMACULEE CONCEPTION

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imprimées à Quaræchi, reconnaissent son opposition à la pieuse croyance, et que, dans la préface de l’édition des Quæstiones disputatæ deGvivi.A.iJuii Ware et autres, faite également à Quaræchi, on trouve cet aveu : « Parmi nos théologiens de Pans au XIII » siècle, nous n’en avons pas encore, jusqu’ici, rencontré un seul qui ait accepté et défendu la doctrine de l’Immaculée Conception. » Les efforts tentés spécialement en faveur du Docteur angélique n’ont pas eu, de l’aveu général, un meilleur résultat ; on en peut juger par les conclusions auxquelles sont arrivés ceux qui, de nos jours, ont examiné les textes d’une façon plus complète et plus objective.

b. Portée réelle de l’opposition. — Il s’en faut de beaucoup que l’opposition dont nous venons de parler ait l’importance que les adversaires du dogme déiini par Pie 1 prétendent lui attribuer. Et d’abord, elle ne se fît pas sur le terrain de la foi proprement dite ; autrement, saint Bonaventure ne se serait pas contenté de présenter son opinion comme plus probable et mieux fondée en raison. Si Albert le Grand prononce le gros mot d’hérésie, c’est uniquement dans son premier article, en parlant d’une sanctification de Marie qui aurait eu lieu aidant l’animation. Comment reconnaître des témoins de l’ancienne Tradition dans des docteurs assurément très vénérables, mais qui, dans la question présente, raisonnèrent à l’aide de quelques textes généraux ou de suppositions plus physiologiques que dogmatiques, ignorant d’ailleurs à peu près complètement les riches monuments de l’Eglise orientale ?

L’opposition ne fut pas générale, mais particulière. Tous ces grands scolastiques et leursdisciples immédiats appartiennent à un même milieu littéraire, l’université de Paris. Quand le Docteur séraphique afQrme n’avoir jamais entendu de ses oreilles quelqu’un qui soutint l’immaculée conception de Marie, il parle manifestement du même milieu et pour un laps de temps assez restreint. Ailleurs, la pieuse croyance avait des défenseurs. Elle en avait en France, oii la fêle de la Conception, entendue par le plus grand nombre dans le sens immacutiste, continuait à se répandre, réapparaissant même à Paris. Elle en avait en Italie ; témoin le B Ogeu, abbé cistercien de Locedio, au diocèse de Verceil ({ I214, et non pas 1 149), Serm. xiii, n°i, P. /-., CLXXXlV, cj41 :

« Non est in filiis hominum… qui non in peccalis

fuerit conceptus, præter 3Iatrem Jmmaculati… de qua, cum de peccatis agilur, nullam prorsus volo habere quæstionem. > Elle en avait en Espagne, comme on le verra bientôt par l’exemple du B" Raymo.nd Lull. Elle eu avait surtout en Angleterre, oùle Tractatus de Conceptiont sanctæ Mariae exerçait une influence d’autant jjIu s grande que déjà on l’attribuait à saint Anselme.

Enfin l’opposition des grands scolastiques, loin de ruiner la pieuse croyance, ne lit f[U’en préparer le triomphe. On a prétendu qu’ils n’attaquèrent pas le privilège mariai, tel qu’il a été défini par Pie IX, mais seulement tel qu’il était alors présenté, c’est-à-dire d’une manière défectueuse ou excessive qu’ils jugeaient préjudiciable à, l’universelle rédemption du genre humain. Il semble bien qu’en fait ils allèrent plus loin ; mais il est vrai qu’ils attaquèrent directement l’Immaculée Conception telle que nous l’avons vue exposée et défendue en France par les écrits des trois Pierre, Abélard, Comestor et Canlor. En éliminant les éléments parasitiques, ils déblayèrent le terrain ; en formulant vigoureusement leur objection théologique contre l’hypothèse d’une sanctification de l’àmc au moment même de l’animation, ils obligèrent les autres à envisager et à défendre le problème en son point vital, et ils préparèrent

ainsi le triomphe de la pieuse croyance. Le Docteur angélique contribua particulièrement à ce résultat en adoptant et en perfectionnant les vues de saint Anselme. Le péché originel proprement dit ne consiste pas dans la concupiscence, mais dans la privation de la justice originelle, considérée dans ce qui est pour nous l’élément constitutif de l’état de justification, c’est-à-dire la grâce habituelle ou sanctifiante. La concupiscence habituelle est un défaut d’équilibre ou de subordination entre nos facultés supérieures et les inférieures. La concupiscence actuelle, Z17 « rfo /norrfi’nafa, n’est pas nécessaire pour qu’il y ait transmission de la faute héréditaire. Suntma th^ol., 1^ II » =, q. rxxxii, a. i-/J ; Quæsi. disput. , de Malo, q. iv, a. 2. "Cette rectification de positions généralement admises ou supposées par les adversaires du pri^^lège mariai aux xir et xiii » siècles allait permettre à un théologien de génie de changer la situation.

BiBUoCRAPiiiE. —.S. Bonaventuræ Opéra omnia, Quaræchi, 1883 sq., t.lll.p. 69. Scholion ; Fr. Guilelmi Guarrae…. Quæstiones disputatæde Immaculata Conceptione beatæ Muriac Virginis. Quaræchi 1904, Préface, c. i ; Prosper de Martigné, La scolasli(iue et les Traditions franciscaines, Paris, 1888, c. V, p. 362-87 ; F- Cavallera, S.J., L’fnimacalée Conception (Positions franciscaines et dominicaines avant Duns Scol), dans Revue Dans Scol, Paris-Havre, 1911, p. 101.

W.’rôl)be, JJie Stellungdes hl. Thomas von Aquin zu dvr unbeflechten Empfangnis der Gottesmutter, Miinster, 1892 ; Ch. Pesch, S. i., De TJeo creanteet élevante, a. 3a3-45 ; D. Laurent Janssens, O. S. B., Tractatus de Deo-Ilomine, P. II, p. 130-151 ; X. Le Bachelet, Sa(n< Thomas d’Aquin, Huns Scot et l’Immaculée Conception, dans Recherches de Science religieuse, Paris, 1910, p. 692-609. — En faveur des grands scolastiques : Joseph a Lconissa, cap^ Dogma im/iiaculalæ Conceptionis et Doctorum Angelici et Seruphici doclrina ; Medii aevi doctores de Immaculata Conceptione B. V. Mariae, dans Divus Thomas, Rome, 1904, l905, sér. H, t. V, p. 63a ; t. VI, p. 650 ; N. del Prado, O. P., SaïUo Tomds y la Inniaculada, Vergara, 1909.

6. La réaction scotiste : la dernière étape. —Déjà dans le dernier quart du xiii= siècle, deux fils de saint François se présentent en champions résolus de la pieuse croyance. C’est d’abord, en Espagne, le B Ra-ïmond Lull (f 1315), qui séjourna quelques années en France, à Paris et à Montpellier, vers 1287-1291. A s’en tenir aux écrits certainement authentiques et à ce qui, dans ces écrits, peut être considéré conmie primitif, on trouve que, dès 1 183, dans le Liber amici et amati ou Itlaquernae anachoretæ interrogationes etresponsiones, il affirme incidemment le glorieux privilège en disant de Marie, n. 276 : a In qua qui cogitât maculam, in solecogitat tenebram. » Il expose directement et pleinement sa pensée dans un autre ouvrage, paru à Paris en 1298, Disputatio Eremitæ et Baymundi super aliquibu.^ dubiis quæstionibus Sententiarum Magistri Pétri Lombardi, q. xcvi. Utrum beata Virgo contraxeril peccatum originale. Dans sa conclusion il ne niepas seulement que la bienheureuse Vierge ait contracte le péché originel, il affirme même qu’elle fut sanctifiée au moment de la première conception : « Imo fuerit sanctificata, scisso semine, de quo fuit, a suis parentibus. »

L’autre champion est Gotllaume Ware (Guarra,

Varro, etc.), franciscain d’Oxford, où il semble avoir

eru Duns Scot pour disciple. Son Quæritur utrum

beata Virgo concepta fuerit in originali peccaio,