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MARIE — IMMACULEK CONCEPTION


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brièvement le fait qu’on objecte, avant d’en apprécier la portée réelle.

a. L’opposition des grands scolastiques. — Nous nous arrêterons aux chefs de ûle : pour l’école franciscaine, Alexandre de Halès {— 1240) et saint BoNAVBNTunK (122r-12’j4) ; pour l’école dominicaine, Albert le Grand (iigS-iaSo) et saint Thomas d’Aquin

(1325-1274) Alexandre de Halès traite la question, Summa, III, q. IX, iii, 2, en quatre articles dont voici les conclusions : 1° La bienheureuse Vierge n’a pas été sanctifiée ufantsa conception, quelle qu’ait été la sainteté personnelle de ses parents, car la génération se fait en vertu de la nature^ qui est corrompue ; de ce chef, le sujet engendré contracte le péché. 2" Elle n’a pu être sanctifiée au moment de la conception, pour la même raison : les parents qui engendrent peuvent agir d’une façon méritoire, mais l’acte générateur n’en est pas modifié dans sa nature et ses conditions. 3" Elle n’a pu être sanctifiée après sa conception, mais avant l’infusion de l’unie ; dans cette période, la chair vit encore d’une vie purement animale, elle n’est pas suscepliljle d’une sanctification ordonnée à la gloire et supposant, par conséquent, la grâce dont l ame seule est le sujet. 4" Heste qu’elle ail été sanctifiée dans le sein maternel, après l’union de l’âme au corps. Un privilège de ce genre ayant été accordée Jean-Baptiste et à Jérémie, on ne peut le refuser à la Mère de Dieu.

Saint BoNAVENTURK propose les mêmes conclusions. Sent., iii, dist. iii, a. r, q. 2, avec cette dilfèrence que les questions sont réduites à trois et énoncées plus nettement : La chair de la Vierge a-t-elle été sanctifiée avant l’animation ? Son à me a-t-elle été sanctifiée avant de contracter le péché originel ? La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance ? Le sens de la seconde question, la principale des trois, est, d’après le contexte : La grâce sanctifiante a-t-elle prévenu dans l’âme de Marie la tache du péché originel ? Le Docteur séraphique se rallie à l’opinion négative, comme « plus commune, mieux fondée en raison et plus sûre ». S’il n’était pas impossible à Dieu de préserver la Vierge de tout péché, il convenait cependant que le privilège d’être sans péché fût réservé à Celui-là seul qui est la source du salut. Des motifs déjà connus sont invoqués : 1 universalité de la loi du péché, d’après l’Ecriture et la Tradition ; la présence en Marie des peines attachées à la faute héréditaire ; la connexion qui existe entre l’union de l’àme avec une chair de péché et la souillure de l’àme elle-même. Une raison s’ajoute, qui n’avait pas été donnée par saint Bernard, mais avec laquelle il faudra désormais compter : la qualité de Rédempteur qui convient à Jésus-Christ par rapport à sa mère, et qui ne s’explique pas si celle-ci a été exempte du péché originel.

Albert le Grand se demande, Sent., lU, dist. iii, q. I, a. 3-5, si la Vierge a été sancliliée dans le sein de sa mère, ou en dehors ? si sa chair a été sanctiliée avant l’animation ou seuleuient après ? si, sanctifiée après l’animation, elle l’a été avant de sortir du sein maternel ? Enoncés équivalents à ceux de saint Bonaventure, mais moins précis ; mêmes conclusions. -Vvant l’animation, la chair de Marie n’était pas susceptible de recevoir la grâce sanctifiante ; par ailleurs, Marie n’a pu être sanctifiée qu’après l’animation : autrement, elle n’aurait pas eu besoin de rédenqilion en son àme, et elle serait soustraite à l’universelle sentence : Morte morieris, qui s’entend de la double mort, celle du corps et celle de l’âme.

Saint Thomas d’Aquin réduit la question principale â un seul article, Summa theol., III, q. xxvii, a. 2 : la bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée

avant l’animation ? Non, répond-ii ; car la sanctification dont il s’agit consiste à être purifié du péché originel, et l’on n’est purifié du péché que par lu grâce, dont la créature raisonnable est seule susceptible. De même, le terme de la conception, proies concepta, n’est pas susceptible de péché proprement dit avant l’infusion de l’âme raisonnable. Et si, d’une façon quelconque, la bicnheiu-euse Vierge avait été sanctifiée avant l’animation, elle n’aurait jamais ejicouru la souillure du péché originel ; elle n’aurait donc pas eu besoin de la rédemption et du salut qui nous vient de Jésus-Christ ; ce qui est inadmissible, puisque Jésus-Christ est le Sauveur de tous les hommes. Reste donc que la sanctification delà bienheureuse Vierge ait eu lieu après l’animation, alors que tout son être, corps et àme, était complet.

Cette doctrine se retrouve en substance dans les autres passages où l’Ange de l’Ecole traite ex professa le même sujet : Compend. theol., c. ccxxiv (al. ccxxxti) et surtout Sent., III, dist. iir, q. 1, a. 1, sol. a, où l’auteur rejette expressément une sanctification qui se ferait au moment même de l’animalion : i’Sed nec etiam in ipso instant ! infusionis, ut scilicet per gratiam tune sibi infusam conservaretur ne culpamoriginalemincurreret. » Jésus-Christ seul possède le privilège de n’avoir pas besoin de rédemption, et ce privilège disparaîtrait a s’il y avait une autre àme qui n’eût jamais été infectée de la tache originelle ». On voit par là quelle importance le Docteur angélique attachait à la difficulté tirée de la rédemption de Marie ; c’est la seule qu’il oppose fermement au privilège mariai dégagé des théories défectueuses ou arbitraires que nous avons rencontrées : sanctification indirecte dans les parents ou sanctification directe dans la chair, avant l’animation ; théories qui expliquent la manière dont les grands scolastiques ont traité le problème.

Saint Thomas et saint Bonaventure n’ignoraient pas l’existence de la fête de la Conception ; ils y trouvent une objection contre leur thèse. La réponse qu’ils font confirme leur opposition à la pieuse croyance. Le premier veut qu’en célébrant la fête on ait en vue non pas la conception elle-même, mais la sanctification de la Vierge qu’on vénère alors, dans l’ignorance où l’on est du moment précis où elle s’est opérée. Le second donne aussi cette solution, en ajoutant : « Quoi qu’il en soit, les âmes pieuses peuvent se réjouir de ce qui a été commencé au jour de la Conception. Qui pourrait apprendre que la Vierge, dont le salut du monde est sorti, a été conçue, sans en rendre â Dieu de solennelles actions de grâces et sans se réjouir dans le Sauveur ? » Considérations qui permettront à beaucoup de célébrer la fête de la Conception sans admettre l’Immaculée Conception.

Rien de plus clair que la position du Docteur angélique et des autres grands théologiens du xui" siècle. Pour les transformer en partisans, ou du moins pour ne pas voir en eux des adversaires de la pieuse croyance, on est forcé de recourir à des rétractions fictives, à des textes apocryphes ou vagues, à des interprétations montrant ce que ces théologiens auraient pu dire, et non pas ce qu’ils ont dit, enfin à des faits réels, mais qui, dans l’espèce, n’ont pas de valeur probante, par exemple l’institution de la fête de la Conception au chapitre général de Pise en 1263, alors que saint Bonaventure gouvernail les Frères Mineurs. A supposer qu’il faille attribuer la décision à son initiative, il resterait à délerminer ce qu’on prétendait honorer, l’objet du culte étant, d’après la doctrine du saint, susceptible de plusieurs interprétations. Il n’est donc pas étonnant que les derniers éditeurs des Œuvres du Docteur séraphi<iue,