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MARIE — IMMACULEE CONCEPTION

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inUæsisset », t. II. p- 330. Si le vénérable Godefroy u’Admont (t u65) dit du Saint-Esprit descendant sur Marie : « Jb omni originali peccato liberam reddidit et ab omni actuali peccato, si quod illud erat, emundavit.., il dit également du même Esprit, en parlant de l'àme de Marie : « Ab ipso nativitatis ejus primurdio luirabiliter composuit, decenterornavit et sanctificafil. » Homiliæ domin., iv ; festiv., lxxviii, P. L., GLXXIV, 41, 1028.

Pour interpréter sainement les textes allègues et résoudre les antilogies apparentes, il faut tenir compte des multiples acceptions du mot péché et de la façon dont les auteurs du xii' siècle avaient contume de traiter le problème du péché originel. « Noraine peccali quandoque intelligitur macula, quandoque actus peccali, quandoque reatus, quandoque culpa, quandoque pena », nous dit Roland BandiNELLi dans ses Serilences, op. cit., p. 134. Ainsi la tache ou souillure, l’acte matériel du péché, l'état de culpabilité, la faute, la peine du péché, tout cela s’appelait couramment péclié. Toutefois il importe, dans la question présente, de distinguer le péché au sens propre ou au sens métaphorique. Péché au sens propre, actuel ou habituel, la transgression délibérée d’un précepte divin ou l'état de culpabilité qui en résulte devant Dieu. Péché improprement dit ou au sens métonymique, ce qui est effet, peine ou cause du péché proprement dit.

La concupiscence, prise eu elle-même, n’est pas péché au sens propre, pas plus qu’une souillure ou une tache affectant la chair seule. Les théologiens du xii « siècle savaient cela et en convenaient, puisque, d’après leur enseignement formel, ni la souillure de l'àme ni l'état de culpabilité devant Dieu ne demeurent dans le baptisé : Pibrrk Lombard, Sent. ii, disl. XXX, n. 7 : nisi ab ejus reata per Ghristi baptismum absolvantur ; Rodbrt Pdll, Sent. II, c. xxxi, P. L., GLXXXVI, 764 : in baptizatis dimitti dicitur, dum quæ ex ipso est concupiscentia condonalur ; Huc.ues DE S. Victor, De Sacramenlis, l. I, part, vii, c. 2C, P. L. CLXXVl, 297 : in ipso originali vitio tollilur non poena, sed culpa ; Roland Bandinblli, parlant de la souillure de l'àme, Q). cit., >. 136 : que macula usque ad baptismi sacramentum in ea perdurât, sed in baptismatis unda ab ea lafatur atque mundatur. Prise en elle-même, la concupiscence habituelle ne peut donc s’appeler péché qu’au sens large, en tant qu’effet ou peine du péché d’Adam et source de péciiés actuels, fomes peccali. Mais à ce « foyer du péché » qui couve en nous, se rattachent, comme conséquences ou manifestations actuelles, des mouvements déréglés qui, de leur nature, sont contraires à la loi morale ; mouvements auxquels il ne manque que d'être consentis pour qu’il y ait péché proprement dit ou péché formel.

Or les théologiens scolastiques de cette époque avaient coutume de considérer le péché originel d’une façon concrète, dans toute son extension, en y faisant rentrer non seulement la souillure de l'àme et l'état de culpabilité devant Dieu, mais encore la concupiscence habituelle ; ils avaient aussi coutume d’appeler péché tout mouvement déréglé dont la concupiscence est le principe, lors même qu’il n’y a ni responsabilité personnelle ni culpabilité devant Dieu. C’est ainsi que, dans l’objection présentée à saint Anselmiî, Cur Deus liunio, l. II, 0. XVI, Boson parle du péché de la délectation charnelle, carnalis deleclationi.s peccato, inhérent à l’acte générateur dans l’ordre actuel, sans prétendre par le fait même attribuer une faute proprement dite à tous ceux qui engendrent, y compris saint Joachim et sainte Anne. C’est ainsi que, dans sa controverse avec Nicolas de Saint-Alban, Pierre de

Celles dit de la sainte Vierge, Epist., cLxxiii, P. L., CCII, 630 : sensit peccatum sine peccato : ce qui, d’après le contexte, signiiie qu’avant l’Incarnation du Verbe elle éprouva quelque chose de la lutte intérieure dont parle saint Paul, mais sans jamais consentir aux mouvements déréglés de la nature ni aux instigations du démon.

Que cette terminologie ne soit irréprochable ni en elle-même ni pour les théories supposées, qu’elle prête à des obscurités et à des équivoques fâcheuses, c’est chose incontestable ; mais il faut la connaître et s’en souvenir, si l’on veut interpréter sainement les affirmations des théologiens du xii" ; siècle relatives à la purilication de Marie. Quand ils nous la montrent délivrée de tout péché, originel ou actuel, au jour de r. nonciation, ce n’est pas le péché proprement dit, souillure de l'àme et état de culpabilité devant Dieu, qu’ils ont en vue ; c’est, la plupart du temps, le foyer de la concupiscence qui, auparavant, n’aurait |>as été éteint dans la Vierge ; parfois encore, ce sont les mouvements indélibérés de la concupiscence dont la Mère de Uieu n’aurait été pleinement délivrée qu’après l’Incarnation du Verbe. A cela revient, pour donner un exemple, ce commentaire du Virtus Altissinii obumbrabit tibi par Robert de Melun (-j- 1167) : « Quæ eam tolani temperavit et obumbravit, ut nullius etiam propassionis motum sentire posset… Verum ante obumbrationem Virlutis Altissimi non tantam immunitatera peccali habuit, quia in ejus carne eulpæ originalis macula qnantulacumque fuit. » De Dicarnatione, fragment publié par Du Boulay, Ilistoiia unit’ersitatis Partsiensis, t. II, p. 604. Rien n’empêche d’entendre dans le même sens le Maître des Sentences quand, faisant appel à l’autorité de saint Augustin, De natura et gratia, c. xxxvi, il afiirme « quod sacra Virgo ex tune ab omni peccato immunis exstiterit. » Gauthier de Saint-Victor (v. 1180) n’en a pas moins raison de critiquer l’intrusion de l’ex tune dans le texte du saint docteur : « Augustinus non ex tune, sed absolute quandocumque de peccatis agitur, déterminai illam omni modo el tempore debere excipere ». Excerpta ex libris contra quatuor labyrintlios Franciae, P. L. CXGIX, 11 55.

Du reste, toute cette théorie d’une purification de Marie au jour de l’Annonciation n’a rien de scripturaire, malgré l’appel fait par ses partisans au texte de saint Luc ;.Spiritus sanctus superveniet in te. Nulle idée de purification dans ces mots ni dans ceux qui suivent. Aussi d’autres théologiens du xii" siècle n’y voient, comme les Pères grecs cités plus haut, qu’un progrès indicible dans la sainteté ou la plénitude de grâce déjà possédée par la bienheureuse Vierge, ce qu’on pourrait appeler une surplénitude de sainteté et de grâce : GuinERT de Nogent, De lande sanctæ Alariae, c. viii, P. /,., CLVI, ôOa : candorem mundiliæ ei superexcetlenter aucturus ; Rupert, In Cant., l. VI, P. L., CLXVllI, 987 : tune tu et ex tune pulchrapulchritudine di>ina ; Abélard, Serin. i. In Annuntiatione, P. L., CLXXVIII, 385 : cum ei superiorem et excellentiorem omnibus gratiam contulerit ; S. Bernard, Hom, iv super.Missus est, n. 3, P. L., CLXXXIII, 81 : propter abundantioris graliae pleniludinem, quara effusurus est super illam.

5. Développement de la controverse au XIII' siècle ; les grands scolastiques. — Nous arrivons à l'époque critique dans l’histoire de la croyance à l’Immaculée Conception en Occident, à l'époque principalement visée par le patriarche Anthime de Conslanlinople, quand il parle du u dogme nouveau, qui était inconnu dans l’ancienne Eglise et qui avait été jadis violemment combattu même par les plus distingués tliéologieris de la papauté ». Rappelons d’abord