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LOI DIVINE


« Le moi, l’être le plus loyal, parle ilu corps, et

veut encore le corps, meme quand il rcve et s’exalle en voletant de ses ailes brisées.

« H apprend à parler toujoui-s plus loyalement, ce

moi, et plus il apprend, plus il trouve de mots pour louer le corps de la terre.

« Mon moi m’a enseigné une nouvelle ûerlé, je

l’enseigne aux hommes : ne plus caclier sa tête dans le saille des choses célestes, mais la porter lièrement, une tête terrestre qui crée le sens de la terre. » (Ainsi parlait Zarathoustra, !, 6 ; coll. 1, 2/1 ; III, 10, etc.)

K Et qu’on n’objecte pas la « propreté intelleclecluelle », la sincérité, le renoncement même et l’auto-suppression des mauvais penchants, qui doivent suivre, d’ajirès Nietzsche, l’adoption de cette conception du monde. De quel droit, au nom de quel critère décidera-t-on, quand on proclame le corps règle unique et fin en soi, que telle vilenie et telle bassesse, que telle dégénérescence et telle névrose, sont contraires à la destinée du Surhomme ? Qu’en sait-on ? Sur quel fondement objectif l’aflirme-t-on ? En vérité, il faudrait, pour railler cette nouvelle

« métaphysique » l’ironie amère de Zarathoustra.
« Mais ce ne sont pas ces conséquences seules qui

condamnent la thèse fondamentale de Nietzsche. Celte thèse, dans ce que j’appellerai son corps, est celle du déterminisme absolu de l’univers ; s ; nsoleillé par le postulat du progrès humain par la volonté, progrès d’ailleurs rigoureusement limité dans la vie présente et mesuré par les exigences « du corps et de la terre ». Se charge qui pourra de concilier cet effort volontaire de l’homme pour se dépasser avec le fatal et nécessaire retour des clioses : si le Surhomme est un anneau de la chaîne éternelle, il viendra donc, et puérile est la tentative que nous ferons pour hâter son heure… — La philosopliie de Nietzsche, dans sa partie générale et négative, le lieiour éternel, n’est en somme que la plus poétique, mais encore la plus logicpie conclusion de la doctrine matérialiste. Quanta l’autre, la théorie du Surhomme, ou bien elle n’est que la transcription symbolique du progrès aveugle de l’univers, et c’est alors le transformisme moniste ; ou bien vraiment (et tout semble favoriser cette interprétation) Zarathoustra enseigne que l’homme peut, par un libre effort de volonté, introduire dans l’univers un nouvel élément de perfection et de beauté, en le forçant à produire le Surhomme. Une fois entré dans le cycle des choses, le Surhomme y aura éternellement sa place, et la vie humaine vaudra d’être vécue. Que ce soit là un rêve, en contradiction avec le reste de la conception déterministe du monde, c’est ce qu’il est aisé de voir ; mais c’est aussi, je crois bien, une justification, aux yeux de Nietzsche, de toute sa philosophie, où se trouve introduit ainsi une sorte d’idéal et un aiguillon vers le mieux. Tant il est vrai que Vidéalisme trouve toujours quelque fissure pour se glisser dans les systèmes les plus obstinément clos à l’Au-delà !

« Quoi qu’il en soit, l’esprit, l’àræ de toute la

doctrine nietzschéenne, c’est assurément l’égoïsme humain, « cette joie égo’iste, qui se protège elle-même, comme si elle s’entourait de bois sacrés I » (Ainsi parlait Zarathoustra, III. 11.) C’est là un principe premier que l’homme peut se formuler ainsi : Tout existe pour ta joie, pour ton rire vaillant et

allègre ; ton unique devoir est d’atteindre ta destinée de te dépasser en l’épanouissant dans la vie heureuse et jeune. Homme qui veu.x devenir Surhomme, le monde n’a de sens que par toi : toute souuiission de ton moi à une puissance quelconque, au ciel ou sur la terre, est une déchéance et un crime. Vis aux dépens du troupeau humain : c’est un fuuiier où la fieur doit plonger sa racine, en le méprisant. Loin de loi toute pitié, toute compassion : « Dieu est mort ; c’est sa pitié pour les hommes qui a tué Dieu. « (Ainsi parlait Zarathoustra^ II, 3.) Révise en ce sens toute la vieille « table des valeurs », ou plutôt brise-la, et fais-en une nouvelle, dont lu sais toi-même la mesure.

« Eh bien ! cette religion de l’égoïsme n’est pas

seulement dangereuse et coupable, elle est fausse. Son idole ne tient pas debout.

« L’homme est un être dépendant, c’est un fait. Il

dépend de moins qiie lui, car il se heurte, se meurtrit, et parfois se lirise, quelle que soit sa vigueur de volonté ; à un inexorable autre chose contre lequel il est impuissant. Un peu d’usure, une légère dévialion dans les cellules cérébrales d’un Frédéric Nietzsche, et « en voilà pour jamais ». L’homme dépend de ses égaux par l’éducation, par la vie sociale, par l’énorme et complexe réseau de relations humaines où il est enserré… L’homme, enfin, r.e s’explique pas tout seul. Ce n’est pas seulement, comme semble le croire Nietzsche, un instinct d’esclave qui le courbe devant un autre, c’est la connaissance, aussi confuse qu’on voudra, mais enfin certaine, de sa dépendance physique et morale… »

Conclusion gé.néhalb. — L’impuissance de toutes les théories que nous avons parcourues, à expliquer l’existence, la nature et les fondements de la loi morale, peut servir de contre épreuve à la vérité de la doctrine traditionnelle détendue par les philosophes catholiques.

BiBLioGRAPHiB GÉNÉRALE. — Saint Thomas d’Aquin, I" lias., q. I 8-20 ; 90-94 ; Suarez, De le^ihus, surtout t. ii, Ed. Paris, 1856, t. V ; Taparelli d’Vzeglio, Saggio teoreiico di diritto natnrale, Palerme, rS^03, trad. en français ; M. d’Hulst, Conférences de Notre-Dame, années 1891 et suivantes : Les fondements de la moralité ; E. Janvier, Conférences de Notre-Dame, année 1909 : l.a Loi : L. Roure, Doctrines et problèmes, Paris, igoo ; Anarchie morale et crise sociale, Paris, 1903 ; articles et bulletins dispersés dans les Etudes, au cours des vingt dernières années ; A. Farges, La liberté et le devoir, fondements de la morale, et critique des systèmes de morale contemporaine, Paris, 1902 ; L. Désers, curé de Saint-Vincent de Paul, Les morales d’aujourd’hui et la morale chrétienne, Paris, 1907. [Divers : | Etudes sur la philosophie morale au XLX’siècle : Leçons professées à l’école des hautes études sociales, Paris, 1904. — Pour le détail de la bibliographie, consvdter le précieux répertoire de A. de la Barre, La morale, d’après saint Thomas d’A’juin et des théologiens scolastiques. Mémento théorique et guide bibliographique, Paris, Beauchesne, igii.

r, I. M. A. Vacant.]. WSu : s.