Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/967

Cette page n’a pas encore été corrigée

1921

LOI DIVINE

1922

qu’il en est de la liberté ; … la conscience prouve pour elle-même et croit sans pouvoir jamais donner à son jugement une certitude qui la surpasserait elle-même. » (Science de la morale, t. I, p. aS.) En d’autres termes, le devoir est simplement affaire de foi, affaire de sentiment aveugle, affaire de conjecture. Que peut un tel devoir aux prises avec la passion ? »

3" Immoralisme de Sietzsche.

Dans les voies d’un subjeclivisme radical^ mais avec une extrême indépendance, Frédéric Nietzsche (Allemand, 1 844-1 900)poursuivait l’évolution du rationalisme germanique, et créait un système — si l’on ose appeler de ce nom la cliiiiière où il jetait pêlemêle les négations de tout ce que renfermaient d’éléments viables les doctrines préexistantes. La seule idée positive qui surnage est l’idolâtrie du moi, hypertrophié jusqu’à la démence. Le nihilisme moral auquel aboutit Nietzsche paraîtrait devoir être classé parmi les accidents individuels plutôt que parmi les doctrines philosophiques, si l’esprit d’où il procède n’avait exercé sur les générations qui ont connu Nietzsche, ou qui l’ont lii, une influence dont les faits témoignent.

Dans le document publié en novembre 1914, sous ce titre : Réponse de VUniKersiié catholique de Paris au manifeste des représentants de la science et de l’art allemand, on lit, vers la fin :

La philosophie alleninDde, avec son subjeclivisme de fond, avec son idéalisme transcendantal, avec son dédain des données de sens commun, avec ses cloisons étanches entre le monde du phénomène et celui de la pensée, entre le monde de la raison et celui de la morale on de la religion, n’a-t-elle pas préparé le terrain aux prétentions les plus extravagantes d’hommes qui, pleins de con&ance en leur propre esprit et se tenant eux-mêmes pour des êtres supérieurs, se sont cru le droit de s’élever au-dessus des règles communes, ou de les faire plier à leur fantaisie ?

Kant n"a-t-i ! pas posé en principe que chacnn doit agir de telle sorte que ses actes puissent être érigés en règle universelle, laissant à la conscience individuelle le soin de juger si la condition est remplie ?

Hegel n’a-t-îl pas aflSrmé l’équivalence ou l’identité du fait et du droit ?

Nietzsche, quelques réserves qu’il ail faites sur la culture allemande, na-t-il pas, par sa théorie du surhomme, préconisé, avec un cynisme hrntal. le droit de la force ? Le matérialisme >ans vergogne du monisme évolutionniste, le panthéisme latent ou explicite des philosophes idéalistes et des théoriciens subjectivistes de la religion, au service Tan et l’autre de l’orgueil germanique, n’onl-ils pas concouru à présenter dans l’Allemand le type le mieux réussi de l’espèce humaine, devant qui tous les autres n’ont qu’à s’incliner, le type en qui le divin a trouvé sa plus haute réalisation ?

Produits eux-mêmes du tempérament inttdlectuel et moral des Allemands, tel que l’ont fait les quatre siècles écoulés depuis la Réforme protestante, ces principes ont à leur tour fortifié les tendances de ce tempérament, Pt leur influence s est, plus ou moins, étendue à tous. {Bulletin de V Institut catholique de Paris^ 25 nov. 1914, p. 192.)

Sans renouveler les confrontations et les constatations que ces graves paroles supposent, nous devons donner ici une esquisse des idées de Fr. Nietzsche.

Exposé. Préludant à ses grandes manifestations par le volume intitulé Gaie science (1882). qui renferme, selon ses expressions, « cent indices de l’approche de quelque chose d’incomparable », il avait immolé Tidée de Dieu :

Où est Dieu ? Je veux vous le dire ! yous l’avons tuè^ TOUS et moi ! Nous tous nous sommes ses meurtriers ! >Iais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu boire l’Océan ? Qui nous a doané l’épooge avec laquelle

Tome IL

nous avons etTacé tout l’horizon ? Qu’avons-nous fait en détachant celle terre de son soleil ? Où va-t-elle maintenant ? Où allons-nous ? Loin de tous les soleils ?… N’errons-nous pas à traders un néant infini ? Ne sentons-nous pas le souffle de l’immensité vide ? Ne fait-il pas plus froid ? La nuit ne se fait-elle pas toujours plus noire ?… Dieu est mort ! Dieu restera mort ! Et nous l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous les meurtriers entre tous les meurtriers ? Ce que le monde avait de phis sacré, de plus puissant, a saigné sous nos couteaux ! Qui lavera de nous la tache de sang ? Avec quelle eau nous purifierons-nous ? Quelle fête expiatoire, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer ?… (Trad. Lichtenbergek, dans La philosophie de yietzsche, p. 18-19.)

Au cours des années suivantes, il formulait sa morale aristocratique du Surhomme (Vebermensch) dans le livre apocalyptique intitulé : Ainsi parlait Zarathoustra. Détachons quelques lignes du morceau intitulé : De la canaille.

La vie est une source de joie, mais partout où la canaille vient boire, toutes les fontaines sont empoisonnées.

J’aime tout ce qui e-t propre ; mais je ne puis voiries gueules grimaçâmes et la joie des gens impurs.

Ils ont jeté leur regard au fond du puits, maintenant leur sourire odieux se reflète au fond du puits et me regarde.

Ils ont empoisonné par leur concupiscence l’eau sainte : et en appelant joie leurs rêves malpropres, ils ont empoisonné même le langage.

La flamme sinJigne lorsqu’ils mettent au feu leur cœur humide ; l’esprit lui-même bouillonne et fume quand la canaille s’approche du feu.

Le fruit devient douceâtre et blet dans leurs mains ; leur regard évente et dessèche l’arbre fruitier.

Et plus d’un de ceux qui se détournèrent de la vie ne s’est détourné que de la canaille ; il ne voulait point partager avec la canaille l’eau, la flamme et le fruit.

Et plus d’un s’en fut au désert et y souffrit la soif parmi les bêtes sauvages, pour ne point s’asseoir autour de la citerne en compagnie de chameliers malpropres.

Et plus d’un, qui arrivait en exterminateur et en coup de grêle pour les champs de blé, voulait seulement pousser son pied dans la gueule de la canaille, afin de lui boucher le yosier.

Et ce n’est point là le morceau qui me fut le plus dnr à avaler : la conviction que la vie elle-même a besoin d’inimitié, de trépas et de croix de martyrs.

Mais j’ai demandé un jour, et j’étouffai presque de ma question : Comment ? La vie aurait-elle bisoin de la canaille ?

Les fontaines empoisonnées, les feux puants, les rêves souillés et les vers dans le pain de la vie sont-ils nécessaires ?

Que m’est-il donc arrivé ? Comment me suis-je délivré du dégoût ? Qui a rajeuni mes yeux ? C’^mment me suis-je envolé vers les hauteurs où il n’y a plus de canaille assise à la fontaine ?

Mon dégoût lui-même m’a-t-il créé des ailes et les forces qui présentaient les sources ? En vérité, j’ai dû voler au plus haut pour retrouver la fontaine de la joie !

Oh ! je l’ai trouvée, mes frères ! Ici. au plus haut, jaillît pour moi la fontaine de la joie. Et il y a une vie où l’on s’abreuve sans la canaille.

Jetez donc vos purs regards dans la source de ma joie, amis ! Comment s’en troublerait-elle ? Elle vous sourira avec sa pureté.

Nous bvtirons notre nîd sur l’arbre de l’avenir ; des aigles nous apporteront la nourriture, dans leurs becs, à nous autrt-s solitaires !

En vérité, ce ne seront point des nourritures que les impurs pourront partager ! Car les impurs s’imagineraient dévorer du feu et se briller la gueule !

En vérité, ici nous ne préparons point de demeures pour les impurs. Notre bonheur semblerait glacial à leur corps et à leur esprit !

Et nous voulons vivre au-dessus d’eux comme des vents forts, voisitts des aigles, voisins du soleil : ainsi vivent les vents forts.

Et, semblable au vent, Je soufflerai un jour parmi

61