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LOI DIVINE

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purement expérimentale. D’après les théories des associationistes, nous regardons comme des principes universels les rapports que nous expérimentons souvent, et nous leur attribuons le caracttre d’une al)Solue nécessité. Or, celaposé, à mesureque nous voyons les avantages sans nombre que nous procure la société de nos semblables, l’expérience nous montre que le bien des autres est généralement le nôtre. Nous associons, dans nos idées, notre bien à celui d’autrui, et nous éprouvons par suite un plaisir spécial à procurer le bien général. Le bonheur général devient donc pour nous un but, que nous regardons comme excellent. Nous nous le commandons à nousmème dans nos actions, d’autant que nous craignons les sanctions extérieures que la société allaclie aux actes qui vont contre le bien général. Ainsi se forme en nous le sentiment de l’obligation morale.

C’est de la même manière que nous attribuons à la vertu un caractère moral, parce que l’expérience nous montre que la vertu est ordinairement unie au bonheur ; nous associons donc la vertu à notre bonlieur, et bientôt, par suite de cette association, nous mettons notre bonheur à pratiquer la vertu. C’est de la même façon que l’avare finit par aimer l’argent pour l’argent, bien qu’en lui-même l’argent n’ait de valeur qu’à cause des biens qu’il nous procure. Le bonheur universel devient donc la On et le critérium des actions morales. Ce bonheur se résout en deux éléments : la quantité du plaisir, dont Bentliani s’est exclusivement occupé, et sa qualité, quise rattache à l’idéal que nous nous formons delà dignité de volonté à laquelle nous devons aspirer. Du reste, le critérium qui décide de la valeur des plaisirs se trouve dans l’estime de l’universalité ou, en cas de dissidence, de la majorité des hommes.

C’est par des associations semblables, que nous attachons l’idée de sanction subséquente à lanotion d’obligation morale. — Sioart Mill, L’Utilitarisme ; Lo’^ique (trad. fr.).

llé/ulation. La théorie de Stuart Mill ne repose sur aucun fondement sérieux et détruit la notion même de la loi morale.

I" Elle n’est pas fondée, car l’expérience seule est incapable d’expliquer la formation en nous des premiers principes et de justifier le caractère de nécessité avec lequel ils nous apparaissent. Il n’y a que l’évidence de ces principes qui puisse les manifester à la raison. 2° Cette théorie détruit la loi morale. Elle n’admet pas, en effet, de libre arbitre réel ; or, sans libre arbitre, pas de responsabilité, ni de loi morale. En outre, suivant Stuart Mill, cette loi est le résultat d’associations illusoires et qui ont un caractère purement subjectif : c’est une illusion d’alBrmer que la loi morale est nécessaire et absolue ; c’est une illusion d’allirmer que le bien des autres est toujours notre bien ; c’est une illusion de croire qu’il y a obligation de tendre au bien idéal ; c’est une illusion de penser qu’il est juste qu’une sanction s’attache, i la pratique du vice ou de la vertu. Stuart Mill croit que le sentiment de l’obligation morale tend à disparaître, avec la crainte de la sanction, par l’elTet du progrosde la civilisation et de l’éducation, po)ir faire place àtine poursuite du bien moral, c’est-à-dire du bonheur de tous, où la crainte n’aura aucune part, n Grâce aux progrès de l’éducation, dit-il { !.’Utilitarisme, ch. m), le sentiment de solidarité avec nos semblables (ainsi qu’on ne saurait nier que le Christ l’a entendu) sera aussi profondément enraciné dans notre caractère, et aussi complètement devenu partie de notre nature, que l’est l’horreur du crime chez la plupart des jeunes gens bien élevés. » (Cité par Guyau, La Morale anglaise ciintemporaine, p. loi.) Si ce système était vrai, en montrant dans

tous les éléments qui concourent à nous donner l’idée du bien moral et du devoir envers nos semblables des illusions qui résultent de notre état mental, il amènerait tous les hommes, non seulement à dépouiller la morale du caractère obligatoire qui est de son essence, mais encore à la traiter comme une chimère sans objet réel. Ce serait la destruction de toute la morale.

3° Morale éiolutioniiisle de Herbert Spencer.

Exposé. Hbriîert Spencbr (Anglais, 1820- igoS) donne à la morale le même but que les ulilitaristes ; mais, au lieu d’expliquer la formation des principes du devoir par une induction comme Stuart.Mill, il les attribue à une déduction. Selon lui, les lois de la pensée sont produites par les lois de l’évolution, qui sont les lois du monde extérieur. Il admet donc que les lois de la morale, comme en général celles de la pensée, sont déduites des lois du monde. — Herbert Spencer, Tlie data of Etliics ; traduit en français sous le titre : Les bases de la morale évolutiunniste.

Réfutation. Cette théorie n’est point du tout prouvée, et détruit, elle aussi, la morale. — 1" Elle n’est pas prouvée. En elTel, elle s’appuie sur la théorie de l’évolution ; or l’évolutionnisme n’est qu’une hj-pothèse quand on l’applique au monde, et c’est une erreur quand on l’applique à l’homme et qu’on explique notre raison par un simple développement de nos sensations. 2" La théorie évolutionniste de Spencer détruit la morale ; car elle a tous les inconvénients de l’utilitarisme : elle nie le libre arbitre, sans lequel la morale ne peut exister ; elle fait consister le bien, non dans une perfection obligatoire et d’ordre supérieur, mais dans la réalisation de la plus grande somme possible de plaisir. En outre, comme la théorie de Stuart Mill, elle réduit tous les caractères de la loi morale à des illusions psychologiques, qui, pour être produites avec le concours du monde extérieur et de l’hérédité, n’en sont pas moins des chimères, dont chacun a le droit et le devoir de secouer le joug. — Pour plus de détails, voir article Evolution

(DOCTRIXI ! MORALE DÉ l’). t. I, I792-181 I.

4" Morale des positiiistes français.

Exposé. L’école anglaise, dit A. Fouillée (Critique des systèmes de morale contemporaine, Uy. II, chap. i), ne partage pas la défiance du positivisme français à l’égard de la psychologie ; elle s’est attachée surtout à montrer l’évolution psjchologique de nos sentiments, d’abord égoïstes, puis altruistes, sous l’inlluence du milieu social, des lois sociales, de l’éducation sociale. L’école française, s’attachant de préférence à la physiologie, montre les origines même de l’altruisme dans notre organisation physique.

LiTTRK(1801-1884)etles positivistes français distinguent deux espèces de sentiments altruistes, qui nous inclinent vers les autres. En outre, la plupart des partisans de ce système en reconnaissent une troisième classe, celle des sentiments désintéressés, qui s’appliquent à de pures idées : l’amour du vrai, du beau, du juste, etc. Or, poursuivent-ils, ce sont ces trois espèces de sentiments qui constituent nos dispositions morales. Les deux premières classes ont une origine phjsiologique et tiennent à deux besoins de l’être vivant. En etTet, il faut d’abord que l’être vivant se conserve et pour cela qu’il se nourrisse ; de là les instincts de conservation et de la nutrition, qui, en se compliquant, prennent toutes les formes de l’amour de soi. Il faut, en second lieu, que l’être vivant produise d’autres êtres vivants qui perpétuent son espèce ; de là un autre instinct, non moins inhérent à l’organisme, le besoin d’engendrer et les lienchants sexuels. En se transformant, cet instinct donnerait naissance aux sentiments altruistes les plus généreux et les plus élevés. — Comment se fait