Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/921

Cette page n’a pas encore été corrigée

1829

LIBERALISME

1830

jeta la lecture de ce document doctrinal. Je vis clairement qu’il y avait quelque chose à changer dans ma conception de la société. Le premier moment de stuiicur passée, je relus l’encyclique Mirari vos, si profondément oubliée depuis quinze ans, je la rapprochai de celle de Pie IX ; il n’y avait pas de doute possilde : la tradition catholique était incompatible avec la théorie impliquée dans le libéralisme : pour demeurer lidèle à la première, il fallait réformer profondément la seconde. Le souvenir de cette évolution intérieure sera ineffaçable dans mon âme. Commencée dans la tristesse et dans le trouble, elle s’acheva dans la joie et dans la paix. Mais depuis lors, il m’a été impossible d’admettre que l’erreur libérale n’eût jamais existé ; car j’avais à la fois conscience et de l’avoir constatée en moi-même et de ne l’avoir pas inventée. » (Le Droit chrétien et le Droit moderne. Etude sur l’Encyclique Immorlale Dei ; Préface, p. XIV et XV.) Le distingué prélat ajoute, et je crois que l’optimisme dont il fait preuve eût été mis à une rude épreuve, s’il avait vécu jusqu'à nos jours :

« Ce qui est vrai, selon moi, c’est que l’année 1864

vit (inir cette erreur… Ce qui a survécu aux doctrines, ce sont les tendances. » Ces tendances, on les surprenait un peu partout, dans les discours, dans les articles de journaux, dans les brochures, dans la manière de comprendre et d’interpréter certains faits considérables de l’histoire de l’Eglise ; elles se firent jour surtout, sous une forme spéciale que je n’ai ni à exposer ni à juger ici, au cours du concile du Vatican.

Survint le Pontificat de Liio.N XIII, si fécond en encycliques qui ont illuminé les diverses parties du champ de la doctrine : parmi ces Encycliques, l’une des plus belles à coup siir, et l’une des plus fécondes en enseignements, est l’Encjclique Immorlale Dei, sur la constitution chrétienne des Etats, publiée le " novembre 1885. En ce qui touche le libéralisme, le Pontife, qu’on peut appeler docteur et pacificateur, maintient avec autant de fermeté que ses prédécesseurs la doctrine, il cite et confirme l’Encyclique Mirari vos, l’Encyclique Quanta cura eXe Syllabus qui en est inséparable, mais il s’attache en même temps à dissiper les malentendus, à expliiiuer les tempéraments pratiques que les meilleurs interprètes de l’Encyclique Quanta cura avaient aussitôt formulés sous le nom d’hypothèse. Us tiennent tout entiers dans ces trois phrases de l’Encyclique /mmortale Dei :

(t II n’y a pour personne de juste motif d’accuser l’Eglise, soit de se refuser aux concessions et accommodements raisonnables, soit d'être l’ennemie d’une saine et légitime liberté. — En effet, si l’Eglise, juge qu’il n’est pas permis de mettre les divers cultes sur le même pied légal que la véritable religion, elle ne condamne pas pour cela les chefs d’Etat qui. en vue d’un bien à atteindre, ou d’un mal à empêcher, tolèrent dans la pratique que ces divers cultes aient chacun leur place dans l’Etat. — C’est d’ailleurs la coutume de l’Eglise de veiller avec le plus grand soin à ce que personne ne soit forcé d’embrasser la foi catholi<(ue contre son gré, car, ainsi que l’observe saint Augustin : L’homme ne peut croire que de plein gré. »

Nul ne peut le contester, à moins d'être de parti pris, ou d’avoir délibérément rompu avec la chaîne de la tradition catholique : il y a dans ces tempéraments, qui laissent intacte la doctrine (la thèse) et qui tiennent largement compte des difficultés ou des impossibilités que rencontre en certaines circonstances l’application intégrale de la thèse (c’est Vhrpothèsc), tout ce qu’il faut pour désarmer les préventions des esprits sincères.

Aussi, en dépit des soubresauts inévitables, malgré la dilTérence de tempéraments et la diversité des tendances, la tempête se calma et la paix s'établit peu à peu. C'était répo(]ue de la plus grande floraison de cette œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers, recrutée parmi les fidèles les plus vaillants, et qui déclarait hautement en tête de son programme public qu’elle aviiil pour principes les dé/initions de l’Lglise sur ses rapports avec la société civile. — Le libéralisme politico-religieu.r avait disparu comme doctrine, il subsistait, à coup sûr, comme tendance, et il se traduisait par une disposition à exagérer les exigences de l’hypothèse, à réduire au delà du nécessaire les droits publics de l’Eglise et les devoirs de l’Etat ; il s’accusait aussi, soit par des jugements peu équitables sur un passé où la thèse était plus en honneur, soit par une prédilection marquée pour des institutions et pour des formes de gouvernement qu’on est convenu d’appeler /(7)ér « /es. On s’habituait trop à confondre les libertés publiques avec le parlementarisme — confusion des plus regrettables ; car les saines et solides libertés publiques peuvent avoir une autre base et une autre sauvegarde qu’une constitution à la mode anglaise, et le mécanisme parlementaire — nous en faisons la douloureuse expérience — peut être manié d’une fai, on lyrannique. — Sous l’empire de ces causes et de mille influences diverses, on oublia un peu trop, en maintes circonstances, la pureté de la doctrine, et l’on crut gagner beaucoup auprès des adversaires, et surtout auprès de la masse indifférente, en se réclamant — sans faire les réserves nécessaires — des fameuses libertés modernes, en revendiquant presque uniquement pour l’Eglise le droit commun. Je le sais, il y a là, pour plusieurs, une question d’accent, mais qui ignore que, dans le discours ou dans la conversation, la question d’accent n’est pas sans importance ? — Peu à peu se firent jour, parmi les catholiques, des divisions, qui ont leur principe dans de multiples conflits intellectuels, religieux, politiques et sociaux. Il se forma une atmosphère imprégnée de modernisme et de démocratisme, très favorable à une nouvelle éclosion du libéralisme. L’Encyclique Pascendi, la Lettre magistrale de Pie X aux évêques de France, signalant et condamnant ce qu’on peut appeler le modernisme social du Sillon, montrent que la plaie mal cicatrisée se rouvre toute sanglante. Je ne veux pas m'élendre : il est bon cependant de citer certains textes significatifs.

Ainsi, dans le Jlullelin de la Semaine du 12 juillet 1911, un homme qui a joué un rôle important dans le mouvement de la vie politico-religieuse à notre époque, M. Georges Foxsegrivk. proposait une théorie qui ne paraît pas être très différente de la théorie des premiers libéraux : « L’Eglise ne peut admettre ni la liberté de l’erreur, ni l’indifl'érence, ni la neutralité : elle a le devoir de proclamer la vérité, de signaler l’erreur ; mais ce pouvoir est tout entier spirituel. Son autorité ne saurait avoir de prise que sur ses enfants ; elle ne demande aux puissances de chair que de la laisser libre, libre d’enseigner selon ses fins propres, selon sa constitution, que de la proléger contre ceux qui voudraient lui ravir cette liberté d’enseignement, de prédication, de discipline spirituelle. L’Etat doit protéger les citoyens catholiques comme tous les autres, leur assurer, comme à tous les autres, les conditions matérielles d’un développement spirituel où il n’entre pas, où il ne peut pas entrer. « Tout cela n’est pas liien neuf : c’est la thèse rebattue du droit commun. M. Fonsegrive remarque, non sans mélancolie, que cette théorie « a le grand défaut de n’avoir été, à notre connaissance du moins,