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LAICISME

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constitution. On reste libre de ne point les adincllre. Mais il faut les connaître et dire jioiirquoi on les rejette, avant de la condamner elle-même.

L’Kglise lient en premier lieu que l’homme ne se ])eut suflire à lui tout seul, qu’il doit, en conséiquence, emprunter au dehors ce qui lui manque, et que la société de ses semblables lui est, pour ceraotif, indispensal )lc. C’est là une sorte de postulat, dont il est difficile de nier l’évidence. Les hôpitaux, les écoles, l’assistance publique et mille autres institutions indiquent assez que l’Etat laïque se préoccupe de sup[) ! écr aux insuflîsances de l’individu. Est-ce que, par les réformes sociales, il n’enlendmênie pas remédier aux infirmités de la conscience individuelle, en imposant par la voie législative l’épargne, l’économie, la prévoyance, la charité, entre patrons et ouvriers ? …

L’Eglise tient en second lieu que, parmi les besoins de l’Iiouime, il y a la religion, soit qu’on la considère comme un devoir de justice à l’égard du Souverain Maître de l’Univers, soit qu’on y voie surtout un sentiment respectable, fécond, essentiel du reste àla nature humaine, ainsi que l’enseigne l’histoire des religions.

Ces deux thèses admises, l’Eglise se déclare autorisée, au sens plénier du mot, à faciliter à l’homme l’accomplissement de ses devoirs de piété et la culture du sentiment religieux.

A cet effet, dit-elle, elle est : i) constituée, en société distincte de la société civile ; 2) ses membres ont des attributions diverses ; ils se distinguent en clercs et en laïcjues.

..ux regards des croyants, cette organisation se justilie par l’institution divine. On en trouvera la l)reuve ailleurs (cf. art. EausB). Il reste à la justiiier aux yeux des incroyants par quelques observations d’ordre purement naturel.

1) Distinction de la société spirituelle et de la société civile. — L’existence d’une société spirituelle distincte de la société civile n’est point requise d’une manière absolue par le droit naturel. Ce qui est reijuis, c’est la liberté de conscience : à tout prix, elle doit être sauvegardée. Est-il rigoureusement nécessaire, pour cela, qu’il existe deux sociétés, spirituelle et temporelle, totalement séparées et autonomes dans leur gouvernement’.* Il ne paraît pas. La théocratiejuive ne constituait pas une usurpation.

Cependant, rien n’est plus dangereux quedegrou]ier dans les mêmes mains le sceptre du pouvoir religieux et celui du pouvoir civil. C’est livrer à la force brutale le domaine sacré des âmes. Est ce laicisme ou cléricalisme qu’il faut appeler l’exercice de l’autorité chez les Césars romains, les despotes de r.Vsie et de l’.Xfrique, les successeurs de Mahomet ? Peu importe. Ce fut à coup sûr, le plus souvent, une al)ominable tyrannie. Et c’est le régime, ne l’oublions pas, vers lequel glisse, en quelque sorte spontanément, l’humanité livrée à elle-même. Nous en avons plus que des vestiges autour de nous ; et c’était pis encore dans les âges primitifs. Alors, écrit Fi : stkl DP. CoiT.ANGES, « la religion et l’Etat ne faisaient <|u’un ; chaque peuple adorait son dieu et chaque dievi gouvernait son peuple… L’Etat était une communauté religieuse, le roi un pontife, le magistrat un prêtre, la loi une formule sainte… La liberté individuelle était inconnue… L’homme était asservi .i l’Etat par son âme, par son corps, par ses biens ». {/.a Cité Antique, I. V. ch. m.) Les laicisateurs modernes aiment à revendiquer pour modèles Socrate et Jésus, qui ont protesté, au péril de leur vie, contre ce cléricalisme. Et rien de plus vrai, que Jésus surtout a été un libérateur des consciences, qiianil il proclama et témoigna par sa mort qu’obéir à César

ce n’est pas la même chose qu’oliéir à Dieu. « L’Etat (lès lors, ajoute avec raison Fustel de Coulanges, ne fut plus l’unique maître ; toute une moitié île l’homme lui échappa » (1. c), c’est-à-dire tout ce qui relève du for le plus intime de la conscience, les relations entre l’homme et Dieu. Mais Jésus brisa cette tyrannie, non point en isolant l’individu en face de l’Etat : ce qui eût infailliblement laissé la porte ouverte à de nouvelles usurpations. Il constitua une société spirituelle, douée elle aussi de tous les organes propres à une société parfaite, et il lui confia la garde de la liberté religieuse individuelle. Jésus a vraiment ainsi fondé dans le monde un droit nouveau.

Renan s’accorde sur ce point avec Fustel de Coulanges. (( Le droit de tous les hommes à participer au royaume de Dieu a été proclamé par Jésus. Grâce à Jésus, les droits de la conscience, soustraits à la loi politique, sont arrivés à constituer un pouvoir nouveau, le pouvoir spirituel. » (Vie de Jésus, ch. xxiii.) Et c’est la fondation de ce pouvoir, non un simple geste de résistance à la synagogue, qui a fait l’originalité de Jésus et qui nous permet de le saluer encore aujourd’hui comme le libéra leur des consciences. Un simple geste, si grand qu’ait pu être son retentissement, n’aurait eu que la valeur d’un exemple. Ce ne serait plus aujourd’liui qu’un souvenir d’histoire, qui ne suflirait pas à arracher les consciences au joug de la puissance séculière, elle qui tient à sa disposition le glaive, les licteurs, les budgets, les honneurs et les prisons. II fallait encadrer l’individu dans une société pour protéger sa faiblesse, et armer cette société d’une autorité souveraine. C’est ce qu’a fait Jésus en léguant la sienne à ses disciples, le jour où il leur dit : «.Mlez… enseignez ce que je vous ai enseigné… Faites paître mes agneaux, paissez mes brebis… Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel, et ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel. i>

Ainsi l’individu appartient à deux sociétés ; il relève de deux autorités, qui toutes deux ont pour mission de sauvegarder ses intérêts, et en premier lieu sa liberté, l’une dans le domaine des biens terrestres, l’autre dans le domaine des biens spirituels.

Sans doute ce partage d’attriljutions est une source de conflits entre les deux pouvoirs, entre l’Eglise et l’Etat. Mais n’y a-t-il pas chance que l’indépendance individuelle y trouve mieux son bénéfice, toutes choses égales d’ailleurs, qu’à être livrée, pieds et poings liés, à la domination d’un seul pouvoir, qui serait alors sans limite et sans aucun contrôle ?

Apôtre sincère de la liberté, le laicisme devrait copier l’œuvre de Jésus, et non point celle des anti ques Césars ou de la théocratie musulmane. Si l’Eglise n’existait pas, au lieu de chercher à l’absorber dans l’Etat, il faudrait l’inventer.

2) Distinction des laïques et des clercs. — Vers la liberté par la vie. — Partie de ce principe que l’homme ne se sullit pas à lui seul, l’Eglise ne conçoit pas la société, à l’instar des partisans du laicisme, comme un conglomérat d’individus juxtaposés par leur volonté personnelle. A ses yeux, la société est un organisme dont les parties se prêtent un mutuel concours et font bénéficier chacune d’elles et la collectivité tout entière de leur propre vitalité.

Elle prétend être elle-même le tj’pe de la société parfaite. La distinction des laïques et des clercs n’est qu’un des aspects de sa constitution, dont nous allons signaler les traits principaux. Rien ne semble avoir été mieux conçu et mieux organisé pour assurer à l’individu le plein épanouissement de ses capacités et lui garantir le maximum de liberté.

a) L’E'^lise est un corps vivant. — L’Eglise n’a rien plus à cœur, pour faire comprendre ce qu’elleest, que