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LAICISME

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par contre, à quelqu’un, d’entendre le son des cloches, de voir déliler une procession, ou d’assister à n’importe quelle autre cérémonie cultuelle ? C’est une liberté non moins respectable, et pour en assurer l’exercice, l’Etat peut interdire les sonneries de cloche, les processions, telle ou telle manifestation religieuse. Vainement on objectait à J. Ferry, à propos (le ses projets scolaires, les sentiments de la majorité catholique du pays. La majorité, répliquaiton, ne peut prévaloir contre la liberté de conscience d’un seul. Et il est fort vrai, à le bien entendre. Mais que veut-on signifier ici par la liberté de conscience ? Ne peut-il plaire à quelqu’un d’enseigner le nom de Dieu dans l’ccoie, de vénérer un crucifix dans les palais de justice ? Ne peut-il lui plaire ((ue le divorce soit interdit, que les cloches continuent à carillonner, et les solennités religieuses à se dérouler sur les routes publiques ?

La neutralité qui se traduit parla laïcité complète, est-elle dès lors autre chose qu’une préférence et un parti pris en faveur de l’athéisme ? Seule, dans un pareil système, la liberté de l’incroj’ant est assurée.

Elle l’est au prix d’une tyrannie exercée à régar<l du croyant, une tyrannie déguisée sous le masque de la liberté. Et en effet :

« Nous avons du moins empêché l’Eglise, dit-on, 

déjouer le rôle d’Etat. Nous avons arraché l’homme à sa tutelle despotique. Nous avons permis à l'àme humaine de s’en aller librement, sans influence étrangère, vers le vrai, le bien, le beau, dont elle a le secret dans sa propre conscience et la nature ellemême. » (Foi laïque, [lassini.)

Rien de plus contraire à la réalité. Ce ijui a été fait dans le domaine de l’assistance et de l’enseignement pul)lics, surtout, en témoigne. Soit, on a soustrait à l’Eglise catholique les enfants, les pauvres, les malades, tous les êtres faibles et malheureux, à ijuielle prodiguait ses soins, et qui, sans se plaindre d’ailleurs, très volontiers le plus souvent, acceptaient en retour le bénéfice de son influence morale et religieuse. Les at-on émancipés ? Non, assurément. Et comment l’aurait-on pu ?

Les enfants n’ont pas été libérés de leur ignorance, de leur inexpérience de la vie, qui est leur vraie servitude : ils ont dû changer de maîtres et se rendre à d’autres écoles, voilà tout. Les pauvres n’ont pas été libérés de leur dénuement, ni les malades de leurs infirmités, ce qui constituait leurvéritable esclavage. Les êtres faibles et malheureux n’ont pas été libérés de leur indigence et de leurs calamités. Les uns et les autres ont dû aller frapper à d’autres portes, les uns au guichet de l'.Vssistance publique ; les autres à la porte des hôpitaux laïcisés. Et voilà tout. La domination cléricale a disparu, c’est vrai. Mais était-ce bien la peine de s’indigner contre elle ? Elle a fait place à une autre. Au lieu d'émancipation, il n’y a eu qu’un transfert rie tutelle. L’Etat a remplacé l’Eglise. L’autorité civile, qui a en main le glaive, a remplacé l’autorité spirituelle, qui agit surtout par persuasion.

L’individu n’a gagné aucune liberté nouvelle. Il en a i)erdu quelques-unes de très précieuses : la liberté de vivre dans une société qui partage ses croyances, les favorise, ou du moins les respecte ; la liberté de s’associer, au besoin par des vœvix, pour mieux exprimer sa piété et développer en soi-même le sentiment religieux ; la liberté de la propagande en faveur de ses croyances par le moyen de l’association ; la liberté d’insérer dans les statuts d’une association une clause religieuse quelconque, ayant force de loi devant les tribunaux… On peut étudier à ce sujet la législation et la jurisprudence qui régissent les sociétés de secours mutuels. On y verra avec quel soin

jaloux l’Etat laïque défend les droits prétendus de l’incrédule et fait litière des droits réels du croyant.

Citons à ce propos un jugement rendu en juillet ig14 par le tribunal de Muret :

« Dans l’espèce, il s’agissait d’une société de secours mutuels dont le conseil d’administration avait

prononcé la radiation d’un associé parce ()ue celui-ci, contrairement au règlement, n’avait pas assisté à la messe commémorative de la société, n’avait fourni aucune excuse et avait refusé de payer l’amende inscrite dans le règlement. Le jugement a prononcé la nullité de l’exclusion, et les magistrats du tribunal civil de Muret, devant lesquels a été porté le conflit, ont dit : que la liberté des conventions a pour limites l’ordre public et la loi ; que l’ordre public est intéressé à ce que personne ne soit inquiété pour ses opinions philosophiques ou religieuses, chacun demeurant libre de professer les opinions philosophiques ([ui lui [laraisscnt les meilleures, ou de pratiquer le culte qui lui convient ; que la loi assure à tous la liberté de conscience ; que cette liberté est inaliénable ; qu’ainsi on ne peut valablement, dans les conventions, porter atteinte à cette liberté, ou y renoncer ; que des actes dépendant du domaine de la conscience ne sont pas en eux-mêmes susceptibles de former l’objet d’un engagement obligatoire pour celui qui les a promis, en ce sens qu’il n’est pas civilement contraignableà leur exécution ; que la clause pénale dont cet engagement est accompagné doit être considérée comme illicite et inexistante. » (Petit Marseillais, 8 juillet igii-)

Ce jugement est un chef-d'œuvre de l’esprit laïque. Il en montre l’aboutissement. Toute liberté est assurée à l’incrédule, même celle de violer ses engagements. Quelle que soit la valeur du sentiment religieux, le croyant n’a jamais le droit de lui donner un caractère valable aux yeux de la loi. Ce n’est pas Dieu seulement que l’Etat laiiiue « ignore ». Il tient pour inexistant le sentiment religieux.

De ((uel respect n’a-t-il pas cependant fait profession de l’entourer !

Tels sont les résiiltats auxquels aboutit le laïcisme. Par contre, si les libertés ont diminué, ne s’esl-il pas créé, dans la société aménagée par lui, de durs esclavages ? Ne pourrait-on sans injustice mettre pour une bonne part à sa charge les calamités dont les sociologues ont été unanimes, durant ces dernières années, à constater les ravages et le persévérant accroissement : l’alcoolisme, la licence des rues et des mœurs, la dépopulation des campagnes, la diminution de la natalité, l’augmentation de la criminalité S]iécia ! ement chez les jeunes gens, l’agiotage et la malhonnêteté dans lesafl’airespubliqvies et privées, l’indulgence du public pour les crimes passionnels les plus scandaleux ? On pourrait allonger rénumération…

C’est que la liberté sans frein dégénère facilement en licence, et la licence est la mise en captivité des âmes sous le joug de l’argent, des jouissances avilissantes et des passions lyranniques.

De ce côté, les sujets de méditations sont infinis. Le laïcisme porte le poids d’un sinistre ^oisinage : ses progrès ont été accompagnés par une croissante dépression des mœurs. Les historiens auront à en tenir compte, quand ils établiront le bilan de l'œuvre laïque.

II. Doctrine positive. — La constitution de l’Eglise catholique au regard de la raison.

Préambule. Point de départ, un fait : l’hommene se suffit pas.

Pour juger l’Eglise, il est nécessaire de bien entendre les principes qui fondent et justifient sa