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JUIFS ET CHRÉTIENS

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Des juifs portugais, qui s’étaient implantés à Bordeaux comme " nouveaux chrétiens », après avoir pratiqué extérieurement le christianisme pendant plus de cent cinquante ans, reprirent ouvertement le culte juif à la fin du xvii"^ siècle ; quelques-uns réussirent à pénétrer à Paris. Metz eut une communauté juive dès son annexion à la France (1552). Il y eut des Juifs dans la Lorraine ; il y en eut beaucoup en Alsace. Quant à ceux du Comtat Venaissin, qui appartenait au Saint-Siège, ils se rattaclient au judaïsme italien.

Dans cette période qui va de lôooà 1789, les Juifs ne pâtissent plus comme au moyen âge. Toujours méprisés, toujours haïs, ils ne sont pas secoués par des persécutions générales. La haine perd de sa violence. Là où ils sont tolérés, les souverains, en général, ne s’occupent guère d’eux. Les massacres de Juifs ne se renouvellent pas. La fureur populaire s’apaise en partie dans les pays chrétiens.

54. Les causes de l’adoiicisse/nent du sort des Juifs. — T. Ueinach, Ilisinire des Israélites, p. 186. caractérise d’un mot l’état des Juifs pendant cette période : « la stagnation ». Et R. I.a/arf, /.’aiilisrinilisme, p. 133-134. dit : n Quand se leva raul)e du x%’i" siècle, les Juifs n’étaient plus qu’un i>euple de captifs et d’esclaves… Comme ils avaient eux-mêmes fermé toutes les portes, obstrué toutes les fenêtres, pareil ils auraient pu recevoir air et lumière (Lazare fait allusicm à latj’rannie talmudiqvie, encore accrue depuis le xvi* siècle), leur intelligence s’était atrophiée. .. La masse était inapte à tout ce qui n’était pas commerce ou usure… A mesure que le monde se faisait plus doux pour eux, les Juifs — du moins la masse — se retiraient en evix-mèræs, ils rétrécissaient leur prison, ils se liaient de liens plus étroits. Leurdécrépitudeétait inouïe, leur alTaissement intellectuel n’avait d’égal que leur abaissement moral ; ce peuple paraissait mort. » L’amélioration du sort des Juifs ne fut donc pas leur œuvre.

Serait-elle due à la Renaissance, au protestantisme, au philosophisnie ? Pas directement. L’humanisme se désintéressa de la cause des Juifs. Mais il devait leur proliter en tant qu’il était hostile à l’Eglise, qu’il rompait avec le passé et travaillait à détruire l’unité de foi ; puis, l’éveil des études hébraïques, l’initiation des catholiques à la langue et à la littérature juives, l’affaire de Reuchlin cl les débats relatifs au Talmud et à la cabbale, les ouvrages d’an Richard Simon, d’un.lean Lightfoot, d’un llerder, etc. valurent aux Juifs des sympathies.

Loin de favoriser les Juifs, le protestantisme leur fut impitoyable. LuTUfiu donna le ton en écrivant Sur les niensnni^ei des Juifs des pages qui dépassent en violence tout ce qui est sorti d’une i)hime catholique, et en adressant aux princes et aux magistrats des avis énergiqvies pour se débarrasser des Juifs. Cf. n.GiiiSAR, l.niher, Kribourg-en Rrisgau, igi i-ig12, t. ii, p Oio-Gi^i, t. III, p..3^i-3’|6, io63. Indirectement, la Réforme a servi les intérêts d’Israël. L’esprit juif triompha avec elle en ce que l’Ancien Testament fut lii, fouillé, commenté, de préférence à l’Evangile ; des sectes protestantes furent demi-juives, et l’antitrinilarisme rejoignit le judaïsme sur un point essentiel. Mais surtout le principe du libre examen, admis par le protestantisme, deA’ait aboutir, bon gré mal ffré, en dépit de l’intolérance de fait des chefs de la Réforme,.à la théorie de la tolér.ance religieuse, et le judaïsme ne pouvait que bénélicier de l’état des choses nou^ eau.

Pas plus que l’humanisme ou le protestantisme, le philosophisnie du xvni siècle n’eut cure des Juifs. Voltaire les méprisa et détesta souverainement. Les autres « philosophes » et encyclopédistes, en dehors

de leur ridicule campagne antichrétienne en faveur de la reconstruction du temple de Jérusalem, cf. H. Lammkns, dans les Etudes, Paris. 1897, t. LXXIII, p. 459-^62, et exception faite pour Montesquieu, Esprit des lois, XXV. xiii, ne se soucièrent pas d’Israël. Mais l’inditrérentisme religieux prôné par le philosophisme, la proclamation de cette maxime, que toutes les religions sont bonnes et qu’on doit les tolérer toutes, la guerre à « l’infâme » menée on sait comment, tout cela préparait des temps propices à Israël.

Très justement, J. Li’îmann, L’entrée des Israélites dans la société française, 1. 111, distingue « deux souffles d’humanité en faveur des Israélites à la lin du xvni’siècle » : le souille du philosophisnie, « souffle de tempête », et le souille chrétien, « souille bienfaisant ». Plus mûres, les nations sont devenues pUis indulgentes. De turbulentes et fougueuses qu’elles étaient dans leur jeunesse, « nobles enfants parleur baptême et leur foi vive, mais avec tous les instincts d’enfants du nord sortis des forêts », avec des « saillies de leur ancienne nature n et de brusques

« retours vers la barbarie », elles sont devenues

graduellement plus mesurées, plus calmes. Par la vertu de l’Evangile a l’apaisement se fait dans leur sang, dans leurs idées, dans leurs mœurs ». Aussi tant d’écarts terribles vers la dureté dans l’histoire des peuples au moyen âge, en particulier les massacres de Juifs », sont-ils désormais impossibles, p. 252-254.

ij IV. Db 1789 A NOS JOURS

SS. L’émancipation civile des Juifs. — A. [.es préliminaires de l’émancipation. — Moïse Mkndelssohn (1729 1786). que J. Lkmann, op. cit., p. 502, appelle

« le plus remarquable Israélite des temps modernes », 

préluda à l’émancipation civile des Juifs en commençant leur émancipation morale ; il s’efforça de les améliorer et de substituer la Dible au Talmud. Son ami Lf.ssing, fils d’un pasteur luthérien ; le chrétien Guillaume Dohm, archiviste du roi de Prusse, auteur d’un écrit retentissant De la réforme politique de la situation des Juifs (1-81) ; le banquier juif CKRFBEEn, qui, selon l’expression pittoresque de Lhmann, op. cit., p. 498, cf. p. 107-1.58, « assiège » à lui seul Strasbourg, et, n’ayant pu réussir, après vingt ans d’efforts, à s’y faire admettre, par une stratégie habile (( passe du siège de Strasbourg au siège de la société entière n en insinuant au roi Louis XVI le projet de l’émancipation des Juifs ; Louis XVI qui, dès 1784, accorde aux Juifs d’Alsace des lettres patentes contenant des privilèges considérables, et qui met à l’étude, en 1787, le projet d’émancipation ; d’autre part, la franc-maçonnerie, qui s’est ouverte devant les Juifs par l’intermédiaire des marlinisfes dont le fondateur est le juif portugais Martinkz PAsr.nAMs ; le franc-maçon Miuaiibau, qui rapporte de Rerlin, oi’i il s’est lié avec Dohm et les Juifs, un Eloge de Mendelssohn et un mémoire Sur la réforme politique des Juifs, Londres, 1788 ; Ghkc.oiuk, curé d’Emberniénil, qui prend parti pour les Juifs dans un concours ouvert par l’académie de Metz en 1787, tels sont les précurseurs de l’émancipation juive. La déclaration des droits de l’homme de 1781), proclamant l’absolue liberté de conscience, renfermait logiquement l’attribution aux Juifs des droits du citoyen. La question se compliquait ici de dilliciillés de toutes sortes. L’Assemblée nationale, transforméi’en Constituante, hésita durant deux ans à rendre un décret d’émancipation.

R. l’émancipation. I.a France. — La veille même’de la clôture de l’Assemblée (27 septembre 1791),