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JONAS

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tie Jonas une baleine « ; mais le texte hébreu dit a un ^raïul poisson », et le mot /./’Oi de la version des Septante, « dans son sens général et vulf ; aire. désigne non seulement tous les monstres marins <lu fjenre des Cétacés, mais tout grand poisson quelconque et notamment le Caiiis carcharias ou Itequin, la l.arnia, la l’ristis ou Scie et les autres grands jxjissons du genre nombreux des Squales… » (T. J. La.my, art. Jouas, dans la première édition de ce Diciioitiiaire). Pour déterminer l’espèce de poisson dont il s’agit, les commentateurs depuis le xvic siècle se sont appuyés sur Rondelet, savant naturaliste français (lOo^-iSOC), qui a écrit de l’iscihus niuriiii.< lih..WIJI, l.j’on, 1554, in fol. : « Hondeletius exislimat fuisse I.amiam : de quo ita scribit. l’iscis est cariih’urus, uracissiintis, et anihrtipoj/hagus… Massiliæ enim et .iceue uliqiianclo captac surit l.umiac. in qtiarum icntriciilu tiomo loricutus iiuentus est. Et mox, Vidi qiiideiii in Santonico littore (en Saintongc) l.amiam cujus os ^ulaquc tanta erant fastilate ut Iwminem etiam ohesum capeie pusset » (Drusius dans Crilici Sacri, in Jon. ; cité aussi par dom Calmet, etc.). Les modernes, Kcil, Kaulen, Knabenbauer, Fillion, etc., pensent que Jonas eut affaire uuSquatus carcliarias, vulgairement dit Requin, « qui n’est pas embarrassé pour engloutir un lionime tout entier » (LiisiiTuii, Dicl. de la Bible, art. Haleine)’. Trocuox estime vaines toutes ces discussions, parce que « nous sommes ici en plein récit miraculeux » (Commentaire, p. 230). IvNABBNiîAUER répond avec raison :

« Miraiula non sunt augenda neque muUiplicanda

sine ralione » (Cumincnlaire, p. 3’j3).

En donnant aux faits une explication naturelle partout où le texte le permet, et en admettant franchement le miracle quand une interprétation loyale le demande, l’exégèse catholique tient un milieu raisonnable entre l’exégèse rabbinique, qui ridiculise le miracle eu le prodiguant à plaisir, et l’exégèse rationaliste qui le remplace par les plus bizarres imaginations. Dom Calmet rapporte « quelques découvertes curieuses des rabbins ». Citons-les. moins « pour égayer la matière », suivant rexjiression de cet auteur, que pour apprécier la juste mesure gardée par l’exégèse traditionnelle. Us enseignent que ce poisson

« était une bête créée dès le commencement du

monde et destinée tout exprès à cet usage. Elle attendait Jonas depuis plus de trois mille ans… » De plus, comme le mot « poisson » est au masculin aïi y. I. et au féminin au v. i, les rabbins expliquent sans dilliculté que Jonas l’ut avalé d’abord par un mâle, « où s’étant trouvé assez au large », il oublia de prier Dieu ; aussi, rejeté de là. « il fut englouti par une baleine femelle, qui était pleine… » — A l’extrême opposé, l’exégèse rationaliste, dans son parti pris d’éliminer de la Bible l’élément surnaturel, refait l’histoire à sa façon, et ne recule devant

1. Pour montrer la possibilité de ce fait, on cite divers exemples récents. Le plus extraordinaire de tous, exposé en détail par Ed. Koenigduns V Expoaitory 7"i/ « es, I. XVII, 1908-l’J0fi, p. 521 (en abrégé dans J. llastings’Dictiunary of tlie Bihle, t. ii, p. T5Û), cité d’une autre source par C. vnn Orelli [Comment., 19(18, p. 107). et par J. Dbller d’apits Koenig (Comment., 1912, p. 75), c’est l’histoire de James Barlley, pécheur de lialeinos. En 1891. il fut avalé par uFïe baleine, à l’insu de ses compagnons ; ceux-ci tuèrent la baleine, I : i chargèrent sur leur vaisseau, et la dépccircnt pea à peu, pendant tout un jour et toute une nuit. Le lendemain, en ouvrant l’estomac, ils y trouvèrent leur caïuar.tde James Barlley, sans connaissance, mais pas mort. Toute ci^tte histoire, racontée longuement dans le Greal Yarmonih Mercury, oct. 1891, reproduite dans Sotes and (luerica. 13 janv. 1802, et ailleurs, a été démentie par un témoignage autorisé, rapporté dans The Expository Times, 190(i-1907, p. 239.

aucune fantaisie. Pour Eiehhorn, Jonas fut porté à terre sur le dos d’un monstre marin. Selon tel autre, la « Baleine » était le nom d’un vaisseau où Jonas fut recueilli : la poupe avait pour ornement l’image de ce poisson. Ou encore, Jonas. jeté à terre après un naufrage, logea dans une hôtellerie à l’enseigne de la Baleine. Ou, plus simplement, l’iiioidenl s’est passé en songe, puisque le prophète dormait profondément. Ueuss lui-même en convient : « Les interprétations les plus aventureuses et les plus saugrenues prirent la place du récit biblique » (l’Iiilosophie retiiiieuse et murale des Hébreux, Introduction au livre de Jonas, 1878, p. 565). M. Lucien Gautier, professeur honoraire de l’Université de Genève, remarque judicieusement ; u Toutes ces solutions, fantaisistes et aljsurdes, ont été abandonnées. Elles ne peuvent plus être prises au sérieux : avec la prétention d’être n naturelles » en éliminant le surnaturel, elles ne le sont à aucun degré, il n’y a plus à l’heure actuelle que deux façons d’envisager le livre de Jonas. Les uns estiment que c’est une histoire vraie, qui nous est racontée comme elle s’est réellenn-nt passée, et qu’il faut accepter telle quelle, avec tous les éléments qui la constituent. Les autres i)ensenl que c’est une composition liclive, ayant le caractère d’une parabole, et poursuis ant un but didactique. .. » (Introduction à l’Ancien Testament, 2* édition. lyi/i, t. I. p. /lyS^gô).

2. — A Vobjeclion littéraire, qui trouve le cantique d’actions de grâces mal approprié à la situation de Jonas, on répond de diverses manières. S. Jérôme et en général les anciens, de nos jours Knabenbauer, et, parmi les commentateurs protestants. Keil (3’éd. 1888), Nowack (igoS), Leimbach (1908) pensent que Jonas. englouti par le poisson, mais non brojé ou étouffé, voyait là un moyen providentiel de saint.

Un grand nombre de critiques protestants tranchent la dilliculté en disant que ce chant n’est pas primitif dans le livre : il aurait été ajouté après coup et appliqué à une situation à laquelle il ne convenait guère (interpolation maladroite alors ? par qui ? dans quel but ?).

Wellhausen a proposé de placer le v. Il du eh. Il avant 2-10 : le chant serait prononcé par Jonas délivré de la baleine. Joh. Dôller. exégète catholique, professeur à l’Université de Vienne, qui a commenté le livre de Jonas, en 191a, dans le sens historique traditionnel, approuve cette transposition et la traduction des derniers mots du v. 2, « dès qu’il fut Iiors des entrailles du poisson » [mais c’est forcer le sens de l’expression qui signifie : (du fond) des entrailles du poisson]. Il préfère d’ailleurs transporter simplement II. 1 1 après II. 2. Dans cette hypothèse, on ne comprend pas que Jonas, une fois sorti des entrailles du poisson, ne fasse aucune mention de celle merveilleuse délivrance. De ces diverses solutions la meilleure paraît être encore celle de l’exégèse traditionnelle, celle de S. Jérôme et des auteurs cités plus haut.

3. — Pour ce qui est de la conversion de A’inli’e, le silence sur ce fait dans tous les autres livres de l’Ancien Testament s’expliquerait mieux en supposant que la conversion a été de courte durée, ce qui ne permettrait nullement de dire avec Reuss qu’alors elle n’a pas été bien sincère et qu’en lin de compte le bon Dieu en aurait été la dupe ». Dans cette hypothèse, si l’événement jHJUvait se placer peu de temps avant la ruine délinitive de Ninive (607 ou 606), il y aurait eu suspension du châtiment, à cause de la pénitence des habitants ; et la ruine serait arrivée un peu après, à la suite d’une nouvelle perversion. Mais la plupart des excgètes conservateurs, à cause du nom du prophète, préfèrent s’en tenir à la date où Jonas