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FRÈRES DU SEIGNEUR

Les frères, en effet, paraissaient avoir été beaucoup plus âgés que Jésus. Or, Jésus fut, à ce qu’il paraît, le premier-né de sa mère. Jésus, d’ailleurs, fut dans sa jeunesse désigné à Nazareth par le nom de « fils de Marie ». Nous avons, à cet égard, le témoignage du plus historique des Evangiles. Cela suppose qu’il fut longtemps connu comme fils unique de veuve. De pareilles appellations, en effet, ne s’établissent que quand le père n’est plus et que la veuve n’a pas d’autre fils. Citons l’exemple du célèbre peintre Piero della Francesca. Enfin le mythe de la virginité de Marie, sans exclure absolument l’idée que Marie ait eu ensuite d’autres enfants de Joseph, ou se soit remariée, se combine mieux avec l’hypothèse où elle n’aurait eu qu’un fils. » Les Evangiles, 1857. p. 542.

C’est qu’en effet, s’il fallait rendre compte des textes par l’interprétation mythique, je préférerais encore « le mythe de la virginité de Marie » au mythe de la Vierge mère de sept enfants, et peut-être mariée deux fois !

4o  Enfin, il semble bien que les personnages qui, dans l’Evangile, portent le nom de « Frères du Seigneur » sont plus âgés que Jésus. On les voit jaloux de sa popularité, ils le critiquent et lui donnent des avis ; un jour même, ils tentent de mettre la main sur lui, sous prétexte qu’il est hors de son bon sens ses. Marc, iii, 21, vi, 4 ; Jean, vii, 3). Cette attitude ne se comprend guère de la part de frères puinés, surtout étant données les mœurs de l’antique Orient. Mais, si les Frères du Seigneur sont fils de Marie, ils ne peuvent pas être plus âgés que Jésus, puisque, d’après saint Matthieu et saint Luc, Marie était encore vierge, quand elle le conçut. Jésus fut le premier-né de sa mère. Si saint Jérôme n’a pas fortirié son argumentation en disant que Marie avait, nonobstant son mariage, promis à Dieu une perpétuelle virginité, c’est que cette position prise par tant d’anciens (S. Ambr., S. Aug., S. Grég. Nys., Théophyl., S. Bèbe, S.Anselme) et par tous les théologiens catholiques depuis S. Thomas, n’était pas nécessaire dans la polémique avec Helvidius. Seule la question de fait se posait : si, oui ou non, Marie avait eu d’autres enfants que Jésus.

5. Saint Jérôme fut appuyé par tout ce que le monde chrétien comptait alors de docte et d’illustre. En Orient : saint Chrysostome, saint Epiphaxe, saint Cyrille d’Alexandrie, Théodoret, Théophylacte. En Occident : saint Ambroise, saint Augustin, l'Ambrosiaster et Pélage lui-même. (Voir les références dans A. Durand, L’Enfance de J.-C. 1908, p. 254-255.) On a objecté un texte de S. Basile, savoir l’homélie In sanctam Christ générationem. P. G., XXXI, 1468. J.B. Lightfoot, Epistle to the Galat., p 284, estime que la perpétuelle virginité de Marie n’y est pas présentée comme un point nécessaire à l’intégrité de la foi. Mais, il ne faut pas perdre de vue que l’authenticité de cette homélie est contestée : D. Garnier ne la croit pas de S. Basile, Bardenhewer pense qu’elle a été interpolée. En tout cas, l’auteur de cet écrit y proteste expressément de sa foi en la virginité de Marie, quand il ajoute « que tous ceux qui aiment le Christ ne supporteraient pas un autre langage ».

Au reste, les définitions expresses des papes et des conciles ne tardèrent pas à proclamer, avec autorité, que l’adversaire d’Helvidius avait défendu la foi traditionnelle. Le pape saint Sirice, dans son rescrit à Anysius (391), déclare que Bonose a été justement repris, ce que ses juges ont eu raison de repousser avec horreur son sentiment. Au VIIe siècle (649), le concile tenu au Latran par Martin Ier condamne quiconque ne confesse pas que « la toujours vierge et immaculée Marie… n’a pas engendré le Verbe de Dieu, sans atteinte pour sa virginité, laquelle à persévéré intacte après son enfantement ». Dans les temps modernes (1555), Paul IV a solennellement affirmé, à l’encontre des Sociniens, que la virginité de Marie ante partum, in partu, post partum fait partie du dogme catholique (Denz. 10 91, 256, 493).

6. Les apologistes orthodoxes ne se sont pas contentes d’affirmer, au nom de la tradition et des textes, que Les Frères du Seigneur n’étaient pas nés de Marie ; ils ont encore essayé de préciser positivement le degré de parenté, qui les rattachait à la personne de Jésus. Comme on pouvait s’y attendre, ils ne sont pas tombés d’accord sur ce dernier point.

a) Saint Epiphane, Adv. Hær., lxxxviii, 7, et avec lui saint Grégoire de Nysse, In Christi resur. orat. ii, et saint Cyrille d’Alexandrie, In Joan., vi. 5, se tiennent à l’opinion propagée par les évangiles apocryphes : les Frères du Seigneur étaient des enfants que saint Joseph avait eus d’un mariage antérieur, Origène, et, à sa suite, saint Hilaire s’étaient déjà ralliés à ce sentiment, mais sans grande conviction (voir ci-dessus, col. 134-135). Il est possible que Clément d’Alexandrie, Eusèbe et l’Ambroisiaster lui aient été favorables, mais ce n’est pas sûr. Ils disent, à la vérité, que certains personnages sont, dans l’Evangile, appelés Frères du Seigneur, parce qu’ils étaient, ou mieux parce qu’on les appelait fils de Joseph ; c’est l’expression même employée par Eusèbe, 4. H.E., ii, 1, à propos de Jacques, le premier évêque de Jérusalem. Quoi qu’en dise Lightfoot, la construction de la phrase, comme aussi la teneur du contexte, donnent à penser qu’aux yeux d’Eusèbe, Jésus et Jacques étaient frères parce que l’un et l’autre étaient appelés fils de Joseph, reste à savoir à quel titre ils étaient fils de Joseph. N’est-il pas plus vraisemblable qu’Eusèbe dépende, sur ce point, d’Hégésippe, qu’il a tant utilisé ? Or, nous avons déjà dit que celui-ci voit dans les Frères du Seigneur des cousins paternels de Jésus.

Il est ditficile de supposer que saint Jérôme ait ignoré le véritable état de la tradition. Il a si peu conscience d’avoir rompu, dans la polémique contre Helvidius, avec un sentiment ferme et généralement reçu, que quinze ans plus tard, il écrira encore : « Certains conjecturent que les Frères du Seigneur sont « les enfants que Joseph aurait eus d’une autre femme, suivant en cela les rêves des apocryphes. » Comment. in Matth., xii. 49-50 (écrit en 398). Pour lui, il s’en tient à ce qu’il a déjà écrit dans son livre Adversus Helvidium. Les Frères du Seigneur sont des cousins, nés de cette Marie, que l’Evangile appelle mère de Jacques le petit et de Joseph ; elle était femme d’Alphée et tante maternelle de Jésus, en tant que sœur de la sainte Vierge. Saint Jean l’appelle encore Marie de Clopas (qui devient Cléophas chez les Latins), parce qu’elle était fille ou simplement parente de celui-ci. Mais ce dernier point reste, aux yeux de saint Jérôme, secondaire et sans grande importance ; il n’entend pas contester là-dessus. Ce qu’il interdit à Helvidius, au nom des textes, c’est de confondre cette Marie avec la mère de Jésus, et de méconnaitre la virginité de saint Joseph. « Tu dis que Marie n’est pas restée vierge ; et moi je prétends davantage, à savoir que Joseph lui-même fut vierge, à cause de Marie, afin que celui qui devait être vierge par excellence naquit d’un mariage de vierges. » (13, 14, 19.)

Ce sentiment, saint Jérôme ne le fonde pas sur l’autorité de ceux qui l’ont précédé, mais sur des raisons de haute convenance ; qui sont d’autant mieux recevables, que les textes de l’Evangile, non seulement n’y contredisent pas, mais encore se comprennent mieux dans cette hypothèse. C’est uniquement de la virginité de saint Joseph, ce non du sentiment qui fait des Frères du Seigneur des cousins de Jésus,