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JÉSUS CHRIST

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Voici par exemple comme procède M. W. Heit-MiiLLER, dans le plus considérable Dictionnaire des sciences reli<fieuses de l’Allemagne protestante libérale’. L’auteur reconnaît franchement ce que nous avons établi plus haut toucbant la [))ace occupée par le miracle dans nos évanyiles. « Le plus ancien de nos évangiles, celui de Marc, est — abstration faite du séjour linal à Jérusalem et du récit de la Passion

— à peu près uniquement une longue série de récils de guérisons et d’autres faits merveilleux, coupée seulement çà et là par des discours de Jésus’-. » Cet aveu est suivi d’une profession de foi pliilosopliique assez ambiguë : en face des miracles, au sens fort du mot. « l’hislorien comme tel n’a rien à dire : il ne dit ni oui ni non à la possibilité de tels miracles. Mais il est certain que l’histoire, quand elle s’en tient rigoureusement à ses méthodes et à ses limites, ne peut accepter, dans l’exposé qu’elle fait, des miracles comme miracles^. »

Après ces déclarations, l’auteur énonce brièvement, mais cette fois très clairement, les thèses suivantes : i) en règle générale, une auréole de merveilles nimbe le front des fondateurs de religions ; 2) à cette époque tout le monde, Juifs et païens, croyait aux miracles. Nos récits doivent être interprétés à la lumière de ce fait ; 3) il y a dans nos récits eux-mêmes une tendance à l’amplilicatiou, à l’idéalisation, qui culmine dans le quatrième évangile ; 4) heureusement, la plus ancienne tradition nous fournil des normes critiques pour le traitement de la matière. Deux passages sont à considérer ici : celui où Jésus nous est montré refusant un signe du ciel aux Pharisiens qui le demandent (Me, viii, ii sqq. = Ml., XVI, I sqq. et cf. Mt., xii, 38-40, Lc, xi, 29-80),

— et le mot de Marc, vi, 5-6 (= Mt., xiii, 58) : « Et [Jésus] ne put faire là |à Nazareth] aucun miracle, si ce n’est qu’il guérit quelques malades en leur imposant les mains. Et il était étonné de leur incrédulité. »

« Ces deux traits de la plus am-ionne tradition, conclut

M. W. HeilmilUer, nous fournissent deux normes historiques innttnqiuibles : non sc^ulempnt nous pouvons, mais nous devons traiter avec (léfiancc tout ce qui porte lo caractère de miracles extraordinaires, et nous ne devons admettre dans le domaine du possible que ceux des événements merveilleux dans lesquels la coufionce personnelle |du malade] pouvait jouer un rôle*. »

308. — Paroles mémorables ! Mais avant de les commenter, voyons d’autres spécimens d’éviction rationaliste. M. Alfred Loisv reprend, en les résumant, les idées, et parfois les mots, d’Ernest Renan :

1. Jésus ChrisLu ! -, dans Die Heligion in Gcsc/iiclite uiid Gegemvart, III, Tllbingen, lttl2, col..371 sqq. — Je suis l’édition publiée à part sous le titre Jésus, Tubingen, 1913. La question des miracles y est traitée ù partir de la page W,

2. Jésus, p..")9-60.

3. Ibid., p. 61, On remarquera la faiblesse de cette défaite. Toute la question est de savoir si des faits de ce genre seront disqualifies a priori : si, pour trouver place dans un exposé historique, ils devront dépouiller ce caractère miraculeux et rentrer dans les limites que lo philosophie pa’liculière de l’historien estime être celles du possible. M. HeitmUller sait comme nous que c’e^iie caractère intrinsir/ue des faits, non leur attestation historique, qui les rend suspects, ou positivement inacceptables, à tous les historiens rationalistes, mais h ceux-là seulement. Il devi-ait savoir qu’il existe une différencre entre cette philosophie particulière, hautement discutable et contestée entait, et les principes i ; i’nerau.T de philosophie humaine, universelle, qui permettent, h tous ceux qui s’oreupent d’histoire, do rejeter a priori certaines fables. Le tort de l’icole rationaliste est de confondre ces deux choses.

4. Jésus, p. 65.

« Jésus.,., faisait des miracles. Il en faisait presque malgré

lui. Dès son premier séjour à Capharnailm. on lui amène des malades à guérir. Sa propre populaiiLè l’elfi-uie ; il craint que le thaumaturge ne lasse tort au prédicateur du royaume et il s’éloigne de CapharnaiEni. Vaine précaution. L’élan une fois donné, le mouvement ne s’arrête pas ; Jésus veut prêcher et convertir, il faut qu’il guérisse. Peut-être nlla-t-on même jusqu à lui prêter la résurrection de morts, ,. Etait-il en droit de se refuser au soulagement que Dieu opérait par ses mains ? Il agissait avec une efficacité particulière sur la catégoiâe des malades que l’on regardait comme spécialement possédés du dénion. les malheureux atteints d’tifléctions nerveuses et de troubles céi-èbi-aux. Il leur parlait avec autorité, ordonnait aux démons de les laisser, et le calme revenait, au moins pour quelque temps, dans ces âmes troubles et inquiètes *. »

309. — M. Adolphe Harnack est plus sérieux. Il commence, au moyen des réflexions classiques de la contre-apologétique, par réduire l’élément miraculeux. Le miracle, à cette époque, a était chose presque quotidienne ». [Alors, pourquoi l’émotion profonde suscitée par ceux de Jésus ? Pourquoi cette allluence, ces contradictions, cette foi ?] — Ue tout temps, l’on a attribué des miracles aux personnalités exceptionnelles ». |Cela est fort contestable : on ne voit pas que les disciples de Jean-Baptiste l’aient considéré comme thaumaturge, ni ceux de Platon. El parce qu’on s’est trompé en certains cas, faut-il admettre qu’on s’est toujours trompé ?-] —

« Troisièmement, nousavonsl’inébranlableconviction

que tout ce qui arrive dans le temps et dans l’espace est soumis aux lois générales du mouvement, qu’il ne peut donc y avoir, en ce sens, comme rupture de l’ordre naturel, de miracles… Mais, si l’ordre naturel est inviolable i, il existe des forces, surtout psychiques, encore peu connues, et qui peut dire jusqu’où elles vont ? « Qu’une tempête ait été apaisée d’un mot, nous ne le croirons jamais ; mais que des paralytiques aient marché, que des aveugles aient vu, nous ne le nierons pas sommairement, comme s’il n’y avait là qu’une illusion^. » [L’exclusive donnée aux miracles de la première sorte est un simple postulat de philosophie mécaniciste, que l’auteur rejette, au moins hypothétiquement, deux pages plus loin’.]

Après avoir ainsi préparé son lecteur, M. Harnack Gnit par distribuer la matière miraculeuse en cinq classes : a 1° récits de miracles provenant de l’exagération d’événements naturels particulièrement

1. Jcsus et la Tradition écangélique, 1910, p. 61-f12. On ne reprochera pas, cette fois, à M. LoisT, de compliquer les questions. Voilà expédiée celle des miracles, Il est vrai que l’auteur jieut supposer ([u’on se reportera au commentaire de Renan, Vie de Jésus’*, cii, xvi, p. 2fiô sqq. Chacun des mots de M. Loisy y trouve, non sa justification, mais un essai déxplication,

2. Tant s’en faut, observe Pascal, La croyance qui se présente avec certains caractères de stabilité et d’universalité, si elle n’est pas à l’abri des fausses applications, suppose cependant un certain fondement de réalité. Voir l’application aux miracles ; Pensées, sect. xm. éd, lirunschvicg major, III, p, 248 sqq.

3. L’Essence du Christianisme, tr. fr, de 1907, p..’17 il.

4. « Ce ne sont pas quelques miracles qui sont en jeu, mais la question décisive de savoir si nous sommes engagés sans espoir dans l’engrenage d’une im])itoyahle nécessité, ou s’il existe un Dieu qui règne et dont la force simposant à la nature peut être invoquée et vécue, » L’Essence du Christianisme, dans la tr, fr, de 1907 [que je corrige ici d’après l’original allemand, p. 19], p.’13. Plus loin, IV* conférence, ii, 2, M. llarnnck admet, sembb-t-il, comme certaine, la seconde de ees alternatives, hors de laquelle, aussi bien, il n’y a pas de reli^ ; ion véritable. Mais alors, pourquoi maintenir une restriction qui n’est qu’un postulat de la première ?