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JESUS CHRIST

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simple cliiffrc, un pur symbole qu’il s’agirait d’interpréter, ni une fantasmagorie vaine, une illusion, un

« torrent des mobiles chimères r, iju’il faudrait dissiper

ou traverser. Loin d’être un mensonge ou un piège, ces humbles choses ont leur prix à qui sait y voir des dons et des vestiges du Père du ciel. Les détails familiers de la vie des pauvres gens, l’allure hautaine, le luxe, la morgue des riches, les yeux clairs des enfants, le geste du semeur et de la broyease de froment, du berger et du marchand, les veillées de noce et l’embauchement des ouvriers, tout cela est peint d’un trait sans insistance, mais net et d’une exactitude topique. Ni les arbres ni les bêles ne sont oubliés : la croissance du blé est chèrement décrite, les oiseaux du ciel traversent l’horizon, la brebis perdue s’y proUle, point blanc au lointain désertique.

188.— Les impressions acquises ont peu à peu formé dans l’esprit du Maître ce bon trésor où la leçon religieuse trouvera sa forme naturelle et appropriée. Mais ces images rapides ou détaillées sont celles qu’on s’attendait à trouver dans un homme de cette race et de ce pays, formé par la tradition biblique, héritier du Acrbe prophétique et de la sagesse des pères, grandi au milieu de la saine activité et des décors harmonieux du terroir galiléen. Osons dire que ces images, ces réminiscences, ces goûts existaient en quelque mesure, sous une forme plus ou moins rudimentaire, chez tous les Israélites pieux, contemporains et compatriotes de Jésus.

183- — Son originalité n’est pas là. Elle est dans la façon unique dont ces éléments sont transtigurés, transmués, spiritualisés et conséquemment universalisés, par le Sauveur. Il seitrouve que ces leçons si particulières, si bien datées et localisées, données à quelques milliers d’auditeurs, dans un coin du monde aisément reconnaissable et peu liospitalier aux idées et aux gens du dehors, — il se trouve que ces leçons restent comprises et conquérantes en tous les temps, sous tous les cieux. L’esprit y éclate au point que nous pouvons presque nous passer de l’intelligence littérale et détaillée. A la dilTérence des paroles mystiques ordinaires, toujours un peu troubles, où la profondeur n’existe guère qu’aux dépens de la clarté, où la puissance des impressions se traduit par des métaphores heurtées et des alliances de mots qui semblent s’exclure, où le désespoir de rendre l’intensité du sentiment tend le langage j)isqu’à le disloquer, ces simples récits évangéliques, pleins de détails familiers, de visions précises, de mots lumineux, vont allumer et novirrir la flamme religieuse au cœur des croj-ants de toute race,.ucun homme vraiment homme n’est au-dessus ou au-dessous de leur atteinte. Nulle part au monde la transparence d’une àme profonde ne s’est mirée en une eau plus calme :

« Bienheureux les purs de cœur : ils verront Dieu ! 

Bienheureux les arlisans depai.t : ils seront appelés les ûls

de Dieu 1 " Mt., r, 8-9]

(( Vous èles la lumière du monde. On n’allume pas une lampe pour In placer ensuite sous le boisseau, mais sur le chandelier, et elle brille devant tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière luise ainsi devant les hommes : qu’ils voient vos belles œuvres et glorifient otre Père qui est aux cieux !)).1//., v, li-17.

(( Veillez, veillez : vous ne savez pas quelle heure il est [à quelle heure de votre destinée tous en êtes]. Tel qu’un homme s’en allant au loin laisse sa demeure, et met ses biens aux mains de ses flninestiques, à chacun sa tâche, et recommande au portier de veiller. Veillez donc ; vous ne savez pas à quelle heure le maître de la maison viendra ; le soir, ou à la mi-nuit, ou au chant du coq. ou à l’aube — crainte que, survenant à 1 improviste, il vous

trouve endormis. Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez ! » Mc, xiii, 33-37.

184. — Il est vrai que cette parole si franche a parfois ses outrances, ses ironies, ses paradoxes, le grossissement oratoire et pédagogique indispensaible à un enseignement populaire oral :

… les Pharisiens sortirent et commencèrent tous ensemble à lui faire des demandes, réclamant de lui un signe du ciel, en le tentant. Et gémissant en esprit [Jésus] dit :

« Qii’sL cette génération perverse à chercher un signe ? Vrai, 

je vous le dis, [on verra bien] s’il est donné un signe à cette génération’ !)) — Et les renvoyant, il remonta en barque et passade là sur l’autre bord [dulacj. J/c, viii, 11-14.

i( Bénissez ceux qui vous maudissent ; priez pour ceux qui vous calomnient.. celui qui te frappera sur la joue, tend » l’autre [jouel, et à celui qui te prend de force ton manteau, ne dispute pas ta tunique. Donne à tous ceux qui te demandent et ne réclame pas tes biens à ceux qui te les enlèvent. » Le. vi, 18-3l.

(( En vérité je vous dis que, si vous avez de la foi [gros] comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : Passe d’ici là. Et elle passera, et rien ne vous sera impossible. I) Mi., XVII, 20.

185. — Mais ces fortes paroles, dont l’imagination chimérique d’un Léon Tolstoï a si souvent abusé, avec autant d’inintelligence que d’éloquence, reçoivent leur véritable interprétation de tout l’Evangile. Leur sens doit être cherché dans l’idéal qu’elles proclament, dans les sentiments qu’elles inspirent et l’orientation qu’elles donnent, dans les limitations que d’autres enseignements du Maître, son exemple, et la nature même des choses, leur imposent. Elles ne sont pas d’un excessif, d’un homme génial mais peu équilibré. Rien de plus frappant au contraire que la façon dont Jésus domine sa matière et reste maître de lui jusqu’en ses plus vives apostrophes. Homme véritable, homme complet, homme d’un temps et d’une race passionnés dont il ne refusa que les étroitesses et les erreurs, il a ses enthousiasmes et ses saintes colères. Il connaît ces heures où la force virile s’enlle comme un fleuve el semble se décupler pour se répandre. Mais ces mouvements extrêmes restent lucides : pas d’exagération de fond, pas de petitesse de vanité, nul enfantillage, aucune trace d’amertume égoïste et intéressée. Agitées, frémissantes, bouillonnantes, les eaux d’un gave restent limpides. Ainsi Jésus, s’il voit f( Satan tomber comme un éclair », s’il révèle à ses disciples (de quel accent pénétrant et tendre !) leur bonheur, s’il tressaille en face du renversement des vues humaines opéré par la sagesse de son Père, s’il s’indigne à la vue du coupable endurcissement des scribes, il garde toujours le commandement de sa parole et de sa pensée : quand il chasse les vendeurs du Temple, quand il tonne contre les villes impénitentes, quand il rebute l’aflection sincère mais charnelle encore de Simon Pierre, quand il reprend le zèle indiscret des Fils du tonnerre, ce sont les grands intérêts de sa mission qui l’inspirent : la gloire de Dieu, le bien des âmes, l’avènement du Royaume. On ne trouvera pas dans les évangiles ces mots amers et injustes, ces récriminations, ces doléances égoïstes qui échappent, dans les moments de crise, aux plus généreux amis des hommes. Même en adoptant le style et la manière apocalyptiques, consacrés alors en matière de fins dernières, les paroles du Maître restent sensées, les images qu’il reprend ou crée relativeiuent modestes. Il n’est pour apprécier cette sobriété que de comparer le discours (qui sera plus

1. Sur le sens donné à îi' so>/ ; t£to’i, voir la note du P. Lachakge, ErnngiU selon saint Marc, p. 1%.