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JÉSUS CHRIST

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est en effet. « l’ami des publicains et des pécheurs ». Il les aime de cette tendresse insistante et inquiète qu’ont les mères pour des enfants longtemps menacés, et qu’elles ont, pour ainsi dire, enfantés une seconde fois dans les larmes.

173. — Mais cette prédilection n’ôle rien aux disciples fidèles. Quelle patience à les instruire I Quelle douceur et quelle force ! Laissons ce malheureux pour leqviel il eût mieux valu n’être pas né. Les autres sont de braves cœurs, des hommes dévoués assurément, mais si grossiers parfois, souvent si peu ouverts aux leçons du Maître, toujours si au-dessous de sa pensée et de son cœur I II les aime cependant, et de ces bons serviteurs il fait peu à peu ses amis. Il leur apprend le support mutuel ; il explique à Pierre étonné, pour qui pardonner sept fois à son frère était exorbitant, qu’il faut pardonner jusqu’à septante fois sept foisl Et pour justifier cette miséricorde, il évoque devant ses disciples le Juge auquel nous aurons tous tant de pardons à demander : au prix de ces délies, que sont les misères pour lesquelles nous serions tentés d’être impitoyables ? (Mt., xviii, 2 1 sqq.)

173. — Ces traits, sur lesquels on pourrait insister, ne sont pas seulement propres à nourrir la piété des croyants ; ils importent singulièrement à l’enquête que nous poursuivons. L’union de la grandeur avec la simplicité est le fruit le plus rare d’une heureuse nature aflince par une éducation exquise : chacun y reconnaît la marque de la plus haute distinction. Il y faut un équilibre, un sentiment des nuances, une possession habituelle de soi qu’aucun dressage ne procure, qu’aucun génie ne suppléera. Mais quand cet alliage de bonté profonde et d’autorité souveraine résiste à des épreuves terribles, ne se dément ni devant l’injustice, ni devant la calomnie, ni devant l’insuinsance des amis, ni devant la perfidie des adversaires ; quand un homme sait condescendre sans s’abaisser, se dévouer sans perdre de son ascendant, se donner sans s’abandonner, ne faut-il pas le proclamer parfait ? Qui ne voit l’abîme existant entre cette attitude habituelle et la malléabilité aux circonstances et aux pressions, l’outrecuidance naïve, l’insincérilé demi-consciente, l’appétit ict le vertige des grandeurs que supposent en.Jésus’les théories des exégèles rationalistes — qu’elles sont forcées de supposer ?

174. — Sans nous arrêter longtemps à aesuiflî cultes qui n’en sont guère que pour quelques esprits vétilleux, relevons celles qui ont assez de spécieux pour mériter un instant de discussion. La première concerne le langage de Jésus, l’autre son allilude.

Certaines personnes sont émues en lisant les anathèmes prononcés par le Maître à l’adresse des Pharisiens (.1//., xxHi et ! oc. parall.). Elles relèvent égalemcnlle qualificatif de « renard » donnéà Hérode Antipas (/c, xui, aa), et les conseils rigoureux signifiés aux disciples liésitants (/.c., ix, Sy-Ga).

L’objection n’a quelque portée qu’en ce qui touche la sévérité du fond, carie ton et le Kingagede Jésus, dans ces ])assages, sont ceux que les liabitudes du temps et le vocabulaire prophétique amenaient naturellement sur ses lèvres. Il serait aussi vain de s’en étonner que de se formaliser de détails de régime et d’habillement alors en usage.

178. — Sur le fond’, l’on observera que le conflit était inévitable entre le conservatisme abusif et stérile des meneurs Pharisiens, la sceptique mondanité des Sadducéens, la basse politiciuc d’IIérode Antipas,

1. A. D. SKRTII.1.AXGES, Jésuf, Paris, l’.lOO, ch. vi.

et la vérité libératrice qu’apportait Jésus(/o., viii, 22). La fermentation généreuse du vin nouveau devait faire éclater des outres roidies et cassantes. Le conflit, Jésus n’en eut pas l’initiative : ses précautions respectueuses envers la Loi, ses explications (Mt., v,

!)), son souci de ménager, quand elle se contenait

dans de justes limites, l’autorité doctrinale des scribes (.1//., xxiri, 3), le prouvent assez. Mais douceur n’est pas faiblesse ; la bonté n’empêche pas que

« l’amour soit fort comme la mort », le a zèle jaloux » 

de la gloire de Dieu « dur comme l’enfer ". La mission du Sauveur devait être accomplie, les âmes désabusées à tout prix, les maîtres d’erreur dénoncés, les fanatiques confondus, les hypocrites démasqués. Aussi Jésus parle. Mais avec quel accent, avec quelle évidentevolonlé de ramener, non d’accabler 1 Ilmaintient, après l’avoir rétablie, la notion véritable du Royaume, il proclame les droits de Dieu, il dégage de la gangue pesante des gloses et des prescriptions humaines le noble lilon religieux. Ce faisant, loin d’être infidèle à son appel de niiséricordç, il 1 achève : ses sévérités sont bienveillantes, les blessures qu’il fait sont franches, et vont à débrider des plaies, non à les rendre inguérissables. Il pleure sur Jérusalem, il prie pour ses persécuteurs, il prépare la conversion de tous ceux — scribes et pharisiens au premier rang : Act., vi, ^ ; ix, 20 ; xv, 5 ; xxi, 21 sqq. — qui ne voulurent pas pécher contre la lumière ».

176. — L’objection développée par J.Mahtineac’, et selon laquelle la conscience, ou du moins la revendication publique, de la dignité messianique serait incompatible avec la sainteté et l’humilité parfaites, procède d’un raflinemenl morbide et inintelligent. Humilité, sainteté, toutes les vertus qu’on voudra invoquer sont fondées sur la vérité, ou ne sont que des attitudes, et combien vainesl Si l’on croit que Jésus était vraiment le Messie, on doit admettre qu’il connaissait sa dignité et, dans la mesure d’une sage discrétion, la proclamait : le contraire rabaisserait l’envoyé divin à la taille d’un instrument inconscient, animal, instinctif, ou le réduirait à une passivité tout à fait indigne de sa mission. Il faut noter d’ailleurs que la gloire remonte finalement tout entière à Dieu : doctrine, sagesse, puissance, tout vient du Père et Jésus « ne peut rien fairede hii-mènie » (./o., v, 30). Encore qu’il agisse librement, comnieltm fils dans la maison paternelle, non comme un serviteur introduit par griice ; encore qu’il possède en plénitude, par tradition totale et non selon une mesure plus ou moins grande, les richesses de la Divinité, Jésus tient tout de son Père, et lui renvoie tout honneur. La vocation messianique comportait sans doute une haute dignité et une pure gloire, mais presque toute à venir : dans le présent, elle était surtout l’occasion de conlra<lictions et de douleurs incompréhensibles (/sa if, xm : ^, I — Li, 16 ; i.n. 13 — Lin, 12 ; / c. XXIV, 26 : « ne fallait-il pas que le Christ soulTrit ? » ; Philip., II, 5-1 1, etc.). Jésus accc|)la librement les unes et l’autre. Mais il épuisa la partie douloureuse (Ui programme messianique et, pendant sa vie mortelle, n’accepta de la dignité que ce qu’il ne put refuser,

« ne cherchant pas sa gloire » (./(>., viii, 50). Il « ne

se complut pas en lui-même », mais « ayant, durant les jours de sa chair, oltert avec de grands cris et des larmes ses prières et supplications à Celui qui pouvait le sauver de sa mort… il apprit, tout Fils qu’il est, par ses propres soufirances, ce « pie c’est qu’obéir… » (Ilehr., v, 7).

1. The Seal of Aidhoriti/ in rrlii^inn, LonHon, 1890, p..177 sqq. — Lfi-dessus on peut voir In discussion de A. B.LMIN Baucn, Apoloseltcs^, Eilinl’)iirgli, IS’.I’J, p. 364 sqq.