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JESUS CHRIST

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le crilicisme kanlieii, de la vieilledéfiance luthérienne envers l’intelligence appliquée aux choses de la foi, essaie d’y suppléer par des allirnialions senliinentales et précaires, des jugements subjectifs, intéressés, utilitaires, dits : jugements de taleur (ll’ertiirteilf). Peu importe ce que fut au vrai Jésus, s’il a pour moi la valeur religieuse décisive I Dire que Jésus a été Fils de Dieu, au sens objectif et réel du mot, déclare M. Harnack, c’est o ajouter quelque chose à l’Evangile ». (I Mais, continue- t-il, qui accepte l’Evangile et s’efforce de connaître Celui qui l’a apporté, témoignera qu’ici le Divin est apparu, aussi pur qu’il peut apparaître sur la terre, et il sentira que Jésus lui-même fut pour les siens la puissance de cet Evangile. » Concilie qui pourra ces « antinomies » I

151. — Depuis celui de M. HAHNACK, lesportrailsdu Sauveur tracés par les théologiens protestants libéraux se sont multipliés. Nous avons eu, rien qu’en Allemagne ou en Suisse allemande, ceux de MM. Paul Wbrnle’, Adolf JiiLiCHER^, Wilhehn Bousset^, Arnold Meyer’. Nous venons d’avoir ceux de MM. W. Heitmiilleh* et Heinrich Weinel^. Je ne retiens ici que les écrits qui ont eu un certain retentissement. L’hégémonie allemande est telle dans le protestantisme libéral que, nommer ces auteurs, c’est nommer à peu près tout ce qui compte. En dehors de la n nouvelle théologie’» du Rev. R. J. Campbell, qui est probablement ce qu’on a écrit de plus faible sur la question, c’est dans les livres précédemment cites et leurs pareils (H. J. Holtzmann, Alb. Schwbitzbr, J. AVelliiausen) que les théologiens libéraux anglais et américains ont été chercher les éléments de leur connaissance du Christ’. Avec des nuances diverses et un talent très inégal, les auteurs de ces portraits de Jésus restent dans les lignes que leur impose leur philosophie religieuse : tous admettent que le Maître Nazaréen a dépassé la stature commune de l’humanité, qu’il a inauguré la vie religieuse véritablement pure et qu’à ces titres il a été un « prophète » et un héros de l’ordre spirituel. Aucun n’admet, au sens traditionnel du mot, la divinité du Seigneur. Presque tous se réfugient dans l’admiration de la « personnalité » de Jésus, insistent sur sa sublimité, son o sens du réel » (IFirklichkeitssinri), etc.

Pour faire pleine justice au protestantisme libéral, il faut noter que des signes d’une rénovation, ou plutôt, d’une nouvelle phase de dissolution, se manifestent dans son sein, en ce qui touche la conception des origines du christianisme. Le seul trait commun des auteurs qui tentent de s’évader du a moralisme » classique, prêtant à Jésus une conception moderne, et plus ou moins kantienne, est le sentiment du concret,

1. Die Anfacnge unserer Religion-, Tubîngen. 1904. (^el ouvrage, traduit en anglais, a fourni les données utilisées surtout par (jeort^e Tyrreli. dans la conception qu’il s’est faite finalement des orii^’ines chrétiennes.’2. Die Reli^^lon /et », dans l’irapoi-tante collection publiée par r. Hinneberg sous le titre ; Die Kuliur der Gegenwart^ 1, 4, Leipzig, 1906.

3. Jesu^, dans la collection des ReligionsgeschiehlUche Volhbuec/ier, éd. F. M. Schiele, Tllbinf, ’en, 1901. Ce petit livre a obtenu un trt’s vif succès parmi les protestants libéraux : il a été traduit en anglais par Mrs "Trevelyan, fille de Mrs Humphry ar(l.

k. Jesu.^, dans le recueil d’articles : i’nsere religioesen Erzieher, 1, Leipzig, 1908.

5. Jesut, tiré à part, complété, de l’article Jésus i-on yazareth de Die Religion in Geschichle iind Gegemvart, Tllbineen, 1918.

6. Jésus, dansla collection ; Die KJassiher der Religion, Berlin, 1912.

7. The new Theolngy, London, 1907.

8. Il faut mentionner aussi les ouvrages des protestants libéraux français, MM. A. et J. Rkville, M. Goci’EL, etc., et, plus encore, ceux de M. Alfred Loist.

le désir de replacer l’Evangile dans son milieu historique. Les uns, avec Johann Weiss et surtout Albert ScuwEiTZHR, restituent dans l’enseignenientdu Christ le côté eschatologique, apocalyptique, arbitrairement diminué dans la conception libérale. Mais leur réaction les mène jusqu’à l’excès, jusqu’à l’absorption dans cet élément de presque tout le reste. (Voir in/’ra, ch. 111, sect. 3, n. 265, 266.) D’autres, après II. Gujjkel et avec W. BoussET, qui semble bien dans son dernier ouvrage (hyrios Christos, Goettingen, 1918) s’orienter dans ce sens, font aux éléments religieux préexistants et ambiants, une part de plus en plus grande. L’importance historique de la figure de Jésus en est diminuée d’autant, au profit seulement de la virtuosité

« comparatisle » de chaque auteur. Miroir lidèle de

l’exégèse radicale d’oulre-Rhin, M Alfi’ed Loisv,. après avoir cédé largement à la première de ces tendances, reflète de plus en plus la seconde.

ISS. — Il n’entre pas dans le plan du présent travail d’instituer la critique détaillée de ces positions libérales. Visant un but positif, on espère montrer directement que la position chrétienne catholique n’est pas seulement la meilleure, mais la seule qui fasse justice aux textes et à l’histoire. Il est impossible pourtant de ne pas faire observer l’inconsistance de la solution présentée par les théologiens libéraux au « problème du Christ ». Ou bien ils rétrogradent jusqu’à la conception d’un « prophète >, plus grand, meilleur que les autres, plus « inspiré », mais ne dilTérant pas essentiellement de ses prédécesseurs. Jésus serait à peu près ce que Mahomet prétendit être : u le sceau des prophètes ». C’est l’opinion de Sabatier sur la fin de sa vie. Mais alors, et si l’on admet comme vraie sur le terrain religieux l’hypothèse évolutionniste, de quel droit donne-t-on l’exemple, les leçons, l’enseignement, la seigneurie de Jésus comme normatives, essentielles, définitives ? — Qu’en sait-on ? Jésus peut, disons qu’il doit, selon toute vraisemblance, être dépassé. Il n’est que l’anneau, jusqu’ici le plus brillant, d’une chaîne dont le métal s’épure et s’alfine continuellement, nécessairement. Si l’on affirme le contraire, si l’on garde au Maître Nazaréen celle transcendance relative, c’est par une survivance chrétienne, au nom d’une appréciation sentimentale, héritée, que la raison, si elle est convaincue de la loi d’évolution, loin de justifier, contredit. En réalité, on n’est plus chrétien qu’au sens où tel philosophe se donne pour platonicien ou spinoziste : l’interprétation des textes est purement, et logiquement, rationaliste.

183. — Ou bien, avec M. Habnack et plusieurs protestants libéraux, l’on veut garder davantage. On pose des prémisses d’histoire et de critique qui suffiraient à conclure dans le sens du christianisme traditionnel’. Mais des raisons de philosophie religieuse, un préjugé agnostique et la répugnance soulevée par les conclusions entrevues viennent à la traverse, renforcés par ce vieux levain d’individualisme et d’autonomie absolue qui est au fond du protestantisme. On conclut à une transcendance précaire, insaisissable. On fait du Christ une personnalité siii generis, Tii Dieu, ni simplement homme. On essaie des compromis qui rapprochent beaucoup leurs auteurs de l’arianisme ancien. On distingue parmi les textes ceuxquel’on peut garder et interpréter, de ceux que les besoins de la cause forcent de déclarer postérieurs, secondaires, interpolés. On adopte à leur endroit l’arbitraire serein d’un J. Wellhausen, déclarant que « Jésus n’a pas pu dire cela, n’a pu faire ceci, etc. 2 ». Efforts qui seraient touchants, s’ils

1. L’Essence du Christianisme, tr.de 1907, p..fS, 45 s^^ 2. l’n beau spécimen de cette façon cavalière est le rejrt