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JESUS CHRIST

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il était inévitable que la religion juive s’en ressentit. Le contre-coup fut naturellement beaucoup plus fort dans les communautés de la Dispersion. Mais, en Palestine même, les traditions et impressions rapportées du grand exil, la domination syro-grecque des princes macédoniens, les rap[)orts incessants avec les populations voisines, les fonctionnaires, les soldats romains, les « frères de la Dispersion », devaient amener, semble-t-il, de profondes inliltratons païennes. La plasticité bien connue du caractère Israélite inclinerait a priori à faire très large, dans la pensée et les aspirations religieuses de ce temps, la part venue de l’étranger’. En fait, ni en Palestine, ni sur les dis[iersés, et de moins en moins, l’influence de l’hellénisme, des anciennes religions de la Perse, de l’Egypte et de la Cbahlée, n’a été bien considérable. On s’attendrait à trouver un syncrétisme, une mixture confuse d’éléments religieux d’origine diverse, artiliciellement réduits à l’unité ; quelque chose d’analogue à ce que présente, vers la même époque, le paganisme romain. On trouve, grâce à la vigueur de la vie religieuse, un judaïsme jjresque pur, et de plus en plus intransigeant. Les euq)runts faits à l’hellénisme sont plutôt philosophiques ou littéraires- que religieux. Dùt-on accorder que l’in(luence du dualisme persan a contribué à accentuer la conception des deux royaumes. Royaume de Dieu

1. Naguère, au moment où la méthode comparative des religions était fiévreusement employée, chaque spécialiste a proposé ses hypothèses et ses termes de comparaison. Les religions hermétiques de l’Egypte ancienne, la religion assyro-habylonienne, le syncrétisme syi’o-helléniipic, la religion des Perses ont été successivement mis à contribution, avec un arbitraire qui n’a j>as peu contribué à déprécier la méthode. Un des savants qui l’ont maniée avec ie plus de délicatesse a cru devoir protester : m On peut parler, dit M. Franz Cu.mont, de « vêpres isiaques » ou d’une « Gène de.Mithra et de ses compagnons », mais seulement dans le sens où l’on dit « les princes vassaux de l’Empire » ou « le socialisme de Dioclétien n. C’est un artifice de style pour faire saillir un rapprochement et établir vivement et approximativement un parallèle. Un mot n’est pas une démonstration, et il ne faut pas se hùter de conclure d une analogie à une influence. » Les Religions orientales dans le paî^anisme romain^ Paris, l’.K)7, p. XII. Ces spirituelles formules n’ont pas été malheureusement la règle de ceux qui se sont livrés au jeu décevant des comparaisons. Ils ont (comme M. Cumont lui-même, dans ses premiers travaux, mais plus souvent et plus docturolciuent) conclu k d’une analogie à une influence », et appuyé sur des mots ou des rapprochements hâlifs mainte démonstration j>rétendue.

2. Encore ne’faut-il pas, avec le célèbre philologue classique Ed. Xorden, traiter les écrits chrétiens ancit ns comme un pays conquis, où l’arbitraire peut se donner cavricve : Ai ; noslos TJteos ; Untersuchun^en zur Formen^^eschichie relii^ivser liede, Leipzig. PJIIÎ. L’auteur prétend retrouver dans plusieur.* morceaux importants du N. T. lô discours de saint Paul à l’Aréopage ; C’o/osj., i, ’.t-2’t ; Mi., -M, 2.5-30, des procédés littéraires empruntés à la rhétorique du Stoïcisme orientalisé. Il en conclut à l’inau-Ihenticité et au caractère postérieur de ces pièces. .M. Adnlphe II.vk.nack a bien montré quiCHHc des quatre hypothèses superposées par Nordcn n’est prouvée, ni solidement probable ( Ai/ die liede des Pattlus en Alhencin urspriin^tichrr lîesUindteil der Aposteli^eschichte ? T. I Dr. Heihe, fo…X1X, n° 1., Leipzig. l’.ll : t, p. 10-’12. Voir aussi

_^les pages pro ha uli’s de E.C. Buhkitt, Journal i>f T/teoiu^ical Siudies, XV, avril l’Jl’i, p.’i.5.")-’i*>’t ; et d’K..Iacquirh, VUnivcrsiic cat/iolii/ue, mars 1*JH, p. 228-200). Harnack ajoute justement que ces attributions nouvelles, échafaiidëes sur des comparaisons litléraii-es, toujours aisées à établir cuire écrivains traitant dos sujets analogues vers la même époque, sont le pendant des conjectures fondées sur la méthode comparative de riiistuire des religions. Ici et là, un peu de virtuosité sulTit à donner un air de vraisemblance aux conjectures les moins sérieuses.

et Royaume du démon, il faudrait encore reconnaître que ces influences sont restées à la superficie. Dans son essence, la religion de lahvé demeure elle-même, et (si l’on exclut les descriptions apocalyptiques, où l’imagination des auteurs se donne plus de carrière) les adaptations qu’elle se permet, à cette époque oti l’Israël de Dieu était encore indistinct de l’Israël selon la chair, ressemblent assez.^ux « emprunts » faits plus tard par le christianisme aux cultes qui l’entouraient. Un esprit nouveau vivifie et transforme ces annexionset ces conquêtes’.

83. — C’est naturellement dans la Dispersion, et en Egypte, que la culture hellénique et peut-être, dans une faible mesure, quelques-unes des conceptions les plus élevées de l’ancienne religion égyptienne, iniluencèrent davantage la pensée religieuse juive. L’Egypte avait toujours pris, et revendiqué, parfois, une certaine liberté par rapport au judaïsme olliciel de la Cité sainte. Nous avons mentionné plus haut les temples illicites, bien que non schismatiques, d’Eléphantine et de Léontopolis. Les Juifs d’Eléphantine ne se faisaient pas toujours scrupule (les contrats retrouvés en témoignent) d’unir au nom de lahvé celui d’autres divinités’-. Plus tard, à Alexandrie, parlant grec, en contact incessant avec les philosophes, les poètes, les savants grecs, les

« dispersés » s’hellénisaient, par la force des choses, 

dans une certaine mesure. Que l’on songe à ces Juifs espagnols expulsés sous Ferdinand et Isabelle, et transportant dans une partie de l’Orient un dialecte hispanisant et jusqu’au Homancero !

83. — Les livres canoniques eux-mêmes, en particulier la Sagesse dite de Saloraon, rédigée d’abord en grec, portent trace de « réminiscences helléniques nombreuses et caractéristiques ». Qu’on ne s’y méprenne pas cependant : « sous le vocabulaire platonicien ou stoïcien, c’est bien la doctrine juive que l’on retrouve, plus consciente et plus nettement définie. »

84. — Otte excellente formule pourrait s’appliquer, dans une mesure variable, aux autres ouvrages ipii témoignent de la pénétration d’idées étrangères dans les milieux de la Dispersion. C’est le langage qui est influencé ; ce sont certains germes semés dans les Livres anciens qui se développent au contact ou en opposition avec des conceptions analogues, rencontrées dans les religions ou la philosophie des Gentils. Ce sont les manières de vivre cpii se détendent, les liens avec Jérusalem qui, en dépit des pèlerinages et des subventions pour le Temple, se relâchent un peu. C’est le côté apologétique, la polémique défensive et surtout offensive, du judaïsme, qui se fait une place au soleil, comme aussi l’interprétation morale, allégorique, philosophique de la Loi (mais n’est-ce pas là encore de l’apologétique ?). Au total, détails de forme, concessions de peu de portée. Quand on a relevé tous ces indices, force est bien de reconnaître que tout le fond reste juif, que ces « dispersés », même en Egypte, du temps de Jésus Christ, restent de fermes croyants de lahvé, de stricts observateurs de la Loi. Les traits syncrétistes qui apparaissent ç.î et là sont, en bien des cas, moins des com|)rorais que des facilités destinées à rendre aux (ientils l’accès de la religion d’Israël moins malaisé.

1. Lii-dessus, A. Bertmolet, Théologie des A. T., p. S-iS, 350, où il résume son mémoire : Das retigionsgeschultiliche Problem des Spætjtidenturns, 1009.

2. Sur ces faits, VAnii du clergCy 18 sept. 19Î3, 795797.

3. J Lkbrhtox, Orii^ines, p. 118 et P. IIeimscii, Die griechische Philosophie im Bûche der Wcisheit, Munster, 1908.