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JÉSUS CHRIST

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73- — Le Règne de Dieu (ou, an sens identique, mais en passant des personnes au territoire, le Royaume de Dieu : ou encore le Royaume des Cteu.t’) est une notion traditionnelle, fondée sur* une révélation divine, incarnée dans une indéfectible espérance. On peut la définir par l’acceptation et la réalisation, de plus en plus ellectives et parfaites, des gracieux desseins de Dieu sur un homme, un groupe d’hommes ou tous les hommes.

L’origine historique de la notion, et le fondement solide de l’espérance, c’est l’Alliance (le Berith : on traduirait très bien par l’any^lais Coienarit), le pacte authentique qii, en liant lahvé avec une famille : la famille d’Aliraliam — puis avec un peuple : Israël — a fait, de cette race et de ce peuple, la famille élue, le peuple choisi, la race " épousée par Dieu », pour reprendre les expressions prophétiques, et concentré sur ce peuple les destinées religieuses de l’humanité.

Alliance dont la partie humaine, toujours inégale -à sa vocation, s’en était montrée souvent tout à fait indigne. Le culte adullère des faux dieux, les crimes d’Israël avaient motivé de la part de lahvé, durant les six derniers siècles, des répudiations temporaires, des abandons, des châtiments. Aux exils, aux massacres, aux transportations en masse dans les pays lointains de la Babylonie et de la Perse succèdent, après l’oppression des rois Macédoniens et le réveil Macchabéen, la mainmise des Gentils sur le sol, les institutions, l’indépendance du peujile de Dieu. Cependant lahvé, qui est juste, est aussi miséricordieux, et le pacte conclu par lui avec Abraham, Jacob et Moïse, renouvelé avec David, ratifié par les oracles des grands prophètes, est, comme le serment qui le garantit, sans repenlance.

74. — L’essentiel se peut résumer ainsi : par Israël lahvé régnera ; sa seigneurie sera reconnue de tous les hommes. En droit, il est vrai, sa gloire s’étend déjà aussi loin que son haut domaine, c’est-à-dire partout, au ciel et en terre, sur les hommes et les bêtes des champs. En fait, le jour viendra que sa majesté sera confessée par tous les peuples.

Oui, lahvé aura son lieure ! Les jours troublés du présent sont gros de jours meilleurs où, chaque chose étant remise en sa place, aux humiliations, aux injustices, aux ruines succéderont la paix, la prospérité, le règne du droit : veniet felicior aelas. Ce sera au lieu du « siècle présent », le « siècle futur ». Et dans cette lieureuse révolution, Israël tiendra le premier rôle : il en sera l’instrument et, plus sûrement encore, le bénéficiaire. A la face des Nations qui présentement le dédaignent ou le persécutent, il sera glorifié à jamais. Les poèmes des derniers chapitres du Livre d’Isaïe fournissaient à ces espoirs d’incomparables formules, prédisaient en termes sublimes toutes les revanches et toutes les joies :

C’est pouri^oî le Seignear lahTé âl ceci :

Eh bien, mes serviteurs mangeront

et ous aui’t’z faim ; Eh bii^n, mes servileors boiroat

et vous aurez soif ; Eh I)i*’n, mes serviteurs auront la joie

el vous aurez la honte ; Eh bien, mes serviteurs, le cœur en liesse, chanteroiil

et TOUS, le cœur en peine, gémirez

et dans)e désespoir vous vous lamentere ? :  ! …

Car voici que je crée des cieux nouveaux, une lerre nouvelle.

I. Les IL cieux » sont ici un synonyme respectueux désignant le Seigneur lahvé. Voir là-dessus G. Dal.maj, Die Wurte letu, I, Leipzig, 1898, p. 75 sqq.

On ne se souviendra plus du passé,

il ne reviendra plus à l’esprit ; Mais on goûtera la joie, l’allégresse éternelle

de ce que, moi, je vais créer : Car voici : je crée Jérusalem pour l’allégresse,

son peuple pour la joie, Jérusalem sera mon allégresse

et son peuple, ma joie…

Car ils seront une race bénie de lahvé

et avec eux leurs descendants. Et avant qu’ils m’appellent, moi, je leur répondrai,

ils parleront encore qu’ils seront exaucés’1

75. — Mais cette prophétie, qui résume assez bien les autres, et que Dieu devait réaliser par un renversement des vues humaines, restait enveloppée d’images et de symboles. Unanimes dans leur espérance, les penseurs, les fidèles, les voyants enthousiastes rassemblaient ces traits épars dans les Livres inspirés, et y ajoutaient ceux que leur suggéraient des traditions suspectes, des interprétations postérieures, une imagination surchauffée. Ils en formaient des tableaux plus ou moins cohérents, colorés par les angoisses, les besoins, les aspirations de chaque génération.

Sur l’époque et le caractère général du < siècle futur B, deux courants d’interprétation se manifestent dans les apocalypses. Quelques auteurs mettent au premier plan le c6té religieux el moral du jugement de Dieu que tous attendaient. Les deux notions complémentaires de rétribution individuelle et de restauration théocratique avaient pris, à l’époque des Macchabées, une prépondérance qui se marque dans certains de nos apocryphes. Le Règne de Dieu, c’est surtout pour eux le triomphe final de la justice et des justes, les grandes assises où chacun sera mis à sa place et traité selon ses mérites — mérites de toutes sortes, moral et surtout lé !  ; al, la fidélité à la Loi étant considérée comme le premier des devoirs. Cliaque Israélite sûrement, chaque homme ijrobablement, aura ainsi son dû.

76. — Mais sur ces vues, très hautes en dépit du décor bizarre dont elles s’entourent souvent, d’autres aspii’ations prenaient d’ordinaire le pas. Abusant des images de prospérité matérielle indispensables à un peuple « incii-concis et dur de cœur », et comme telles employées par les anciens prophètes, beaucoup de Juifs ne voyaient plus guère qu’elles. Avant donc le jugement final, on plaçait une période de durée variable, mais généralement très longue, sur la(]m’lle l’ini.’igination s’arrêtait avec prédilection. L’erreur n’était i>as de dislinguer, dans l’avènement du Règne de Dieu, une consommation foudroyante el une époque d’expansion plus ou moins glorieuse, mais terrestre. Elle était dans le caractère, exclusivement ou principalement charnel, qu’on donnait à cette époque. La lettre éloulTait l’esprit ; les maux présents suscitaient dans l’imagination, par contraste, des biens sensibles, iKilpables, des revanches dénuées de noblesse. Sur une terre renouvelée, plantureuse, paradisiaque, Israël triomphant serait heureux, servi par les Nations pendant un laps de quarante, de quatre cents, de mille ans. Sous un conseil de sages, ou, plus souvent, sous un roi ieutenant de lahvé, Jérusalem attirerait tout à elle :

Et lahvé des armées préparera

pour tous les peuples, sur cette montagne

Un festin de viandes gi-asses, un festin de bons vins, de viandes grasses moelleuses, de bons vins clarifiés.

(haïe, XIV, 6.)

1. Isaîe. i.xv, 13-1j, 23-25. Trad. Alb.CoMDAMi.s. Le Li.re dhaïe, Paris, 1905, p. 384-386.