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JESUS CHRIST

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M. LoisY ne dit pas moins, s’il ne dil pas plus (quille à reprendre en délail, pour les besoins de sa cause, ce iju’il accorde en gros) :

« Le Christ sytioplifpie est un homme de chair et d’os,

qui truite avec les hommes comme l’un d’entre eux, nonobstant la conscience qu’il a de sa haute mission, ou peut-être à cause de cette conscience ; il parle et agit en homme ; il s’assied à la table du piiarisien et à celle du publicain, il se laisse toucher par la pécheresse, il converse familièrement avec ses disciples ; il est tenté par le démon, il s’afflige dans le jardin de Gethséuïnni ; il fait des miracles par pitié, les cachant plutôt qu’il n’en tire jtarti pour autoriser sa mission ; il est caluie et digne devant ses juges, mais il se laisse battre et injurier ; le cri qu’il pousse avant de mourir est un cri de détresse et d’agonie ; si l’on sent partout dans ses discours, dans ses actes, dans ses douleni-s, je ne sais quoi de divin qui l’élève au-dessus de l’humanité commune, même la meilleure, il n’est pas moins vrai que tout ce qu’il fuît, tout ce qu’il dit est profondément humain, tout pénétré d’actualité huluaine, s’il est permis de s’exprimer ainsi, et, malgré la puissante nouveauté qui est au fond, dans une correspondance éti’oite et naturelle avec le temps et le milieu où il a vécu ; Jésus vivant traite avec des hommes vivants ; le monde que l’on voit s’agiter autour de lui est un monde réel, les personnages qui s’y dessinent ont le relief de leur existence et de leur caractère individuels ; la vie est partout et avec elle la vérité de la représentation historique’. »

29. — A ces appréciations, qu’il serait inutile de multiplier’-, ajoutons seulement celle del’exégèle le 1) lus en vue du protestantisme libéral, M. Adolphe Har-NACK. Il s’est trouvé ramené par ses patients travaux au sentiment de toute l’antiquité chrétienne. Luc le médecin, disciple et compagnon de S. Paul. a a fort bien pu écrire les Actes durant les années qui ont suivi immédiatement 60, avant la fin de la captivité de l’Apotre à Rome ». Et comme le troisième évangile a précédé les Actes, M. llarnack conclut : « Le grand ouvrage en deux livres [évangile et Actes] a été composé pendant que Paul vivait encore. » Le même critique, admettant la dépendance du troisième évangile vis-à-vis du second, il s’ensuit que l’œuvre de Marc, interprète de Pierre, serait antérieure à l’an 60 : trente ans ne s’étaient pas écoulés depuis la mort du Christ. Enfin, toujours d’après M. Harnack, notre premier évangile, sous sa forme grecque, a pu précéder la ruine de Jérusalem ( ; 0)’.

30. — Ces résultats, qui rejoignent ceux que les historiens catlioliques n’ont pas cessé de défendre, nous rassureraient, s’il en était besoin, sur la valeur historique d’ouvrages écrits par des liommes appartenant à la première génération chrétienne, en un temps et sous des influences qui garantissent égale 1. f.r quatrième Ernngile, Pari-i, 1903, p. 72.

2. « Les Synoptiques ont encore conservé (écrivait naguère un des spécialistes de l’exégèse protestante de gauche) d’une façon tout à fait remarquable le décor dans lequel se joua la vie de Jésus. Nous ti-ouvons chez eux une image tout à fait distincte tie la vie et de l’activité du peuple juif au temps de Jésus. Nous voyons réellement devant nous chacune des parties qur composaient ce peuple : la foule galiléenne de pèclieurs, de paysans et d’artisans ; la secte dévote des pharisiens. En face d’eux, le clan méprisé des « pi’agers et des péclieurs », l’aristocratie sadducéenne, La condition des scribes, des prêtres, le grand-prêtre et ses collègues du Conseil (Synednon), les courtisans de la cour d’IIérode, tout cela se dresse devant nos yeuxavec une exactitude frappante. » VV. Boisset, dans Die Re ! i :  ; ion in Gi-schichU und Ce^^enitart, Tiibingen, vol. IM, 1912, col. G ;  ; 2.

3. Adolf Harnack. IVtue Vnttrsuchungen zur Aposlelgesvhichte und zur Abfnstungszeit der synopt. Enangelien, Leipzig, 191 1 : c^icr 4 de » Hritroege zur Eiiilciiung in das Ktue 7°c » (amcH(, T, eipzig, 1912.

ment contre la possibilité d’erreurs graves. Nous revendiquons de plus, pour nos évangiles, celle présomption d’honnêteté et de bonne information <iui exige, avant l’exclusion d’une parole ou d’un trait, des raisons sérieuses d’histoire ou de crilique. La méthode contraire, selon laquelle un Irait ou une parole devrait, avant d’être admis, faire sa preuve directe d’authenticité, a été justement aiqiréciée par un exégèle protestant d’esprit libre, M. Henri Mon-NIKR :

« Aucun texte, d’aucune littérature que ce soit,

ne subsisterait, s’il était soumis à pareille épreuve critique. Il n’est que juste de revendiquer, pour les textes de nos Evangiles, le privilège du droit commun. Nul passage ne devrait être tenu pour inau-Ihentique a priori. Un accusé n’est tenu pour coupable que si sa culpabilité est démontrée. Pour qu’un texte soit écarté, il faut qu’il soit convaincu d’inauthenlicilé, c’est-à-dire qu’il y ait incompatibilité, soit de style, soit de pensée, entre ce texte et les documents authentiques avec lesquels on le confronte’. »

31. — Aussi bien nos adversaires, protestants libéraux et rationalistes, difl’èrent d’avec nous beaucoup plus sur l’interprétation des documents que sur leur authenticité. Ce sont des raisons a priori, de philosophie générale ^ (on ne saurait le dire assez tôt ni assez haut) qui motivenlsurtouldes exclusions, des simplifications, des découpages, où la critique des textes n’intervient que pour motiver des arrêts rendus antérieurement à son emploi. Un exemple notable de cette tendance nous est fourni par la critique récente des paraboles évangéliques. Pour M. Jui.iciiEu (suivi et complété en cela par M. Alfred Loisv) Jésus, prédicateur populaire et miséricordieux, n’a pu employer ce genre littéraire que dans la mesure où il éclaire et facilite l’intelligence d’un sujet. Donc en paraboles, en fables ; non en allégories, genre littéraire plus savant, exigeant de l’auditeur un effort plus grand. Pour la même raison, Jésus n’aurait pu mêler, aux comparaisons très simples, aux petites fables que senties paraboles, aucun Irait allégorique. Il n’a pu employer la parabole qu’à l’élat pur. Tous les traits allégorisants des paraboles, lellès que nous les lisons dans nos évangiles, sont donc secondaires, inauthentiques, interpolés ; et la critique du texte est là pour dénoncer et disqualifier les traits condamnés d’avance, au nom d’un simplisme littéraire el théologique à peine croyable ! Libres de ces préjugés d’école et des étroitesses rationalistes, nous userons des évangiles synoptiques comme de sources historiques non pas divinement inspirées — ce serait sortir des conditions de notre enquête — mais sérieuses, généralement pures et dignes de foi. Sans nous engager dans les finesses du problème sjmoplique et les hypothèses touchant les sources évangéliques, nous nous appuierons de préférence sur les textes qu’une double ou une triple tradition noiis garantit. Enfin nous indiquerons l’état de la question critique louchant les passages plus contestés par nos adversaires.

1. La Mission historique de Jt’sus^, Paris, 1914, p. xxviii.

2. Parfois aussi des préjugés philologiques. Ou en verra plus bas des exemples. Les pi-incipes erronés de F.. W’oi-i, qui ont dominé trop longtemps ta philologie classique, s’écroulent visiblement sous nos yeux : aucun savant ne soutient plus l’inauthenticité des Dialogues de Platon ou des Discours de Cicéron, longtemps suspectés sous couleur de « différences de st le ». Comme si le même écrivain ne pouvait ni varier, ni changer, ni s’enrichir, ni s’appauvrir ! On peut voir les faits relevés par L. Lavra>"d, Progrès et Recul de la Crilique, Paris, 1913. Or, ce sont justement les procédés wolfiens que maint critique libéral applique de confiance aux évangiles.