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JÉSUS CHRIST

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en pareille matière, une facnlté de discernemenl de très haute valeur. Xe songeons pas à un sens infaillible, à un >c goùl » ininiédial du divin : l’expérience uuiiiinune ne nous y autorise pas plus que la théologie catholique. Mais il demeure vrai qu’un esi)rit hien l’ait, s’ap[>liquant à la lecture des évan^’iles, y découvrira une beauté morale singulière, une transparente sincérité, je ne sais quel charme où se complaira ce qu’il y a en lui de meilleur. Il y a là, poulie moins, une grande présomption de vérité : après OuiGÈNB, ISossucT l’a justement observé’ : a On n’invente pas ainsi. »

Sans négliger pour notre compte cette sorte d’intuition qui prévient, conlirme et parfois supplée l’emploi de méthodes plus lentes, nous chercherons dans cette élude à nous procurer une certitude historique directe.

4. — Reconnaissons d’ailleurs que, dans la poursuite et l’acquisition d’une certitude de ce genre, dans l’interprétation des textes et l’appréciation des faits — de ceux surtout qui ont une portée religieuse — une philosophie générale, au moins élémentaire, est nécessairement impliquée. Car, « pour anxieux que soit un homme d’arriver aux faits tout nus de l’histoire passée, il ne peut les comprendre qu’en les mettant en relation avec son propre esprit. Et sou esprit n’est pas vide : c’est un esprit déjà (lourvu de catégories personnelles, et d’un contenu jiropre, disposé en conséquence à regarder les choses d’un certain biais. Il doit donc, de toute nécessité, lire ce caractère mental dans tous les faits qui lui sont soumis, les ramener à ses règles, se les approprier, se les assimiler, les tourner pour ainsi dire et les retourner jusipi’à ce qu’il puisse les contempler dans la lumière de ses façons habituelles de penser s ».

5. — Les principes qui nous guideront dans la recherche présente sont ceux que la sagesse de tous les siècles, antérieure aux systèmes et survivant à leur ruine (p h iluso/ihi a pe réunis), ’a loujouvs appliqués au problème de la religion positive. « Si une providence divine ne préside pas aux choses humaines, observe excellemment S. Augusti.v, laissons là toute préoccupation religieuse : si enim Dei providentia non præsidei rehiis liuinanis, niliil est de religione sata . « C’est à bon droit ([n’Origène prône la candeur, la sincérilé, d’un mot, la passion du vrai {~ô ^c/â/ïj^e ;) des écrivains de l’histoire évangélique et apostoliiiue. Nulle prêtent ioo dans ce qu’ils nous disent du Christ et de ses disciples, rien de glorieux dons ce qui touclie à eux- mêmes, ou à leur histoire, aucun trait ucet-be contre les Juifs et autres ennemis du nom chrétien..Mais encore, s’ils rencontrent quelque chose capalde de scandaliser les esprits faibles ou de fournir matière à glose malveillante, loin de le taire ou de l’esqinTcr, ils le racontent naïvement et sans tergiverser. Profession vile, ou métne odieuse, des apvtres, au moment de leur appel pai- le Christ et, ii[)rcs cet appel, paroles rudes ou malavisées, actions déraisonnables, fuite honteuse de loue et reniement de Pierre, chef de tous les autres ; injures prodiguées i Jésus : « glouton », « buveur »,

« frénétique » et « séducteur » ; gestes qui pouvaient

paraître à première vue des marques de colère, comme le châtiment infligé au figuier innocent ; craintes du Maître en présence de la mort, allant jusqu’au point au delà duquel il serait noyé dans sa peine, dépression allant jusqu’il la sueur de sang.., et cent traits de ce genre, connus d’eux seuls, qu’ils pouvaient dissimuler ! Cependant nos historiens, amis du vrai, nous racontent tout cela posément, clairement ; persuatlés que la vérité se défendra assez d’elle-même et sauvera, pourvu qu’elle trouve des B udileurs honnêtes. » Je traduis sur le latin de liossuct ce fragment publié d’abord par M..1. Leb.vrco, dans son Histoire critique de la prédication de Bossuet, Paris, 1888, appendice IV, p.’iiîS, ’13’.t. Les constatations de ce genre n’exigent, pour être faites, aucune formation technique.

2. J. R. IrLiNowoRTU, Reaton and Révélation, honion, 1902, p. %.

gendum’. » « Mais, ajoute le grand docteur, si la beauté de l’univers qui découle (nous devons le croire assurément) d’une Source de beauté très véritable, si je ne sais quelle voix intérieure presse, publiquement pour ainsi dire et privément, tous les meilleurs esprits à chercher Dieu, à servir Dieu, il ne faut pas désespérer que ce même Dieu ait établi une autorité sur laquelle nous prenions un point d’ai)pui pour nous élever vers lui. » Conformément à ci s suggestions, nous admettrons que l’homme n’est pas jeté sur terre sans destination certaine, ou sans moyen de connaître sa destinée. Nous tiendrons que l’humanité prise d’ensemble, et chaque individu en particulier, est l’objet d’intentions providentielles et le sujet d’une Puissance ultime, sage et bonne. Nous concevrons, par analogie avec la personne que nous sommes, cette Puissance comme une personne, un moi spirituel, autonome, « vivant et vojant », immanent à son œuvre, mais distinct d’elle par la pureté de son essence et connaissable par le moyen de cette œuvre, encore qu’incompréhensible dans son fonds.

6. — Car tout être réel qui n’a pas en soi sa raison totale d’exister ; tout être à la fois vivant et composé, actuel et éphémère, renvoie, parce qu’il est, à une cause réelle et, pur ce qu’il n’est pas, h une Cause tout à fait différente de lui, à un principe, à un

« alpha », à un Etre parfait, existant par soi seul et

indépendant du reste. Semblablement, toute personne — moi qui écris, vous qui me lisez — capable et naturellement désireuse d’un bien qu’ellene peut se conférer à elle-même, consciente d’une destinée qu’elle ne peut égaler sans aide, de devoirs certains en face desquels elle se voit impuissante (disons, plus généralement encore : tout ce qui est en marche, en désir, en puissance et en appel), postule impérieusement une Fin dernière, un centre suprême d’attirance, une force inlinie, un « oméga », un Bien réel et plénier qui meuve, oriente, soutienne, et termine sonélan. Enfin, celui qui possède quelque perfection plus ou moins, dans une certaine mesure, dans un certain degré, d’emprunt par conséquent et non par nature ; celui qui est bon et non Bonté, sage et non Sagesse, un peu bon, médiocrement sage — une demi-réalité, une eau coulante, une image, un rellet, réclame une pleine perfection, une source, un exemplaire, une pure lumière.

Cet Etre premier, dernier, parfait, nousl’appelons Dieu, supposant acquise, en tout ce qui suivra, cette conclusion fondamentale de la connaissance religieuse’-.

7. — On pourrait concevoir une autre marche. Car il n’est nullement impossible, et il arrivequecertains esprits, restés en suspens sur cette conclusion (ou, plus souvent, troublés dans sa possession par quelque inquiétude), trouvent un supplément de clarté’qui leur permette une adhésion ferme, dans l’étude historique et religieuse de la vie de Jésus de Nazareth. Des préjugés d’ordre philosophique, des hésitations d’ordre sentimental s’évanouissent en sa présence, fondent comme une brume au soleil. A ne la considérer qu’humainement, cette haute figure domine à ce point l’humanité commune qu’elle invite à la suivre pour ne marcher pas dans les ténèbres. Jésus a donné à la vie, à la vie spirituelle en particulier, un sens si relevé, si complet, si satisfaisant, qu’on peut trouver dans ses actes et dans ses paroles l’attestation de la Divinité vainement cherchée ailleurs, la solution de difficultés jusquelà invincibles. Les raisons de croire en Dieu, en un

1. De utilitale credrndi, c. ivl, n. 34, P. /,., XLII, 89.

2. Voir, dans ce Dictionnaire, vol. I, col. 9’13-1088, l’article Dieu : R. Garrigou-Lagrance.