Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/627

Cette page n’a pas encore été corrigée

1241

JEANNE D’ARC

1242

l’autre ; puis, d’une plume que lui lionna Massieu, elle lit au bas de la cédule une croix’.

Laissant de coté le texte qu’il avait lu jusque-là, Pierre CaucLon prit une seconde sentence dont il avait eu soin de se nuinir, et prononça l’arrêt qui condamnait la prétendue abjurante à la prison perl >éluelle, au pain de douleur et à l’eau d’angoisse. L’arrêt prononcé, Jeanne s’attendait à être menée dans la prison ecclésiastique. « Où devons-nous la conduire ? » demanda-t-on à l’évêque de Beauvais.

— Où vous l’avez prise, répondit-il. Et Jeanne fut reconduite au chàleau.

Sentence de relaps et supplice. — Warwick n’avait pas été instruit des desseins de l’évêque de Beauvais. Il s’attendait à une condamnation capitale. « Les choses tournent mal pour le roi, dit-il à l’évêque ;

— cette lille nous échappe. » — « So3ez tranquille, lui fut-il répondu, nous la rattraperons. » Ainsi, tout avait été prévu ; même ce qui va se passer.

Dans l’après-midi de ce 1l^ mai, Jeanne reprit riiabit de son sexe et on lui Ut tailler la chevelure. Le vice-inquisiteur et plusieurs assesseurs en prirent acte. Quant à l’Iiabit d’homme, on eut soin de ne pas l’emporter. On l’enlVrina dans un sac et on le laissa dans la pièce où était détenue la prisonnière.

Les jug-es se ^’ardèrent bien de tenir aucune des promesses qu’on avait faites en leur nom. Jeanne n’entendit pas la messe et ne reçut pas son Sauveur ; elle ne fut pas mise hors des fers : la surveillance des geiMiers fut plus étroite que jamais, et surtout on la maintint en prison d’Elat, sans lui donner de femme pour compagne.

Dans la journée du dimanche 27 mai, fête de la Trinité, le bruit se répandit que la prisonnière avait repris l’habit d’homme. Informé du fait, l’évoque de Beauvais, avec le vice-inquisiteur et sept assesseurs, se transporta dans le cachot de Jeanne pour constater judiciairement le fait. La jeune tille parut effectivement devant les juges en habit viril. D’après les témoignages combinés des deux procès, elle nia s’être obligée par serment à ne plus porter que l’habit de femme et à ne plus parler de ses révélations ; elle n’avait repris l’habit d’homme que contrainte, pour défendre sa pudeur. Pierre Cauchon lui iqUiosant sa prétendue abjuration, la Pucelle répondit

1. Ajoutons que les faits qui se sont produits dans le cimetière Suint-Ouen le 24 mai 1431 comportent une autre interprétation qu’autorisent des arguments tout au moins plausibles.

Jeanne avait appris à lire et à écrire, en recevant les leçons des clercs de son entourage durant les trêves qui marquèrent la fin de Tannée 1429 et les premiers mois de laniiée 1430. Cependant, lorsqu’on lui tendit, au cimetière Saint-Ouen, la cédule d’abjuration, Jeanne, qui savait signer, s’abstint d’apposer son nom. mais se contenta de tracer une croix. Elle avait, d’ailleurs, déclaré, au cours du procès de Rouen, qu’elle apjiosait parfois une croix au bas d’une pièce par manière de dénégation. En outre, deui témoins du drame de Saint-Ouen constatent que Jeanne souriait, subridehat, et semblait agir par ironie et dérision en apposant cette croix au bas de 1 équivoque déclaration il laquelle on l’adjurait de marquer son adhésion. Enfin, le 2H mai, lorsque Cauchon lui rappelle le serment qu’elle aurait souscrit, au sujet de son vêtement d’homme, Jeanne répond : « Oncques je n’ai compris faire serment de ne pus le prendre. »

Donc tappositiiin par Jeanne d’une croix au bas de la cédule du ?4 mai n’aurait pas été l’équivalent réel d’une adliéstan et dune signature, et il n’y avait plus à parler d’abjuration ni de rétractation, même partielle et contrainte.

Cette manière de voir a été exposée avec talent par M. le comte dk.Maleissve : Les Lettres de Jehanne d’Arc et ta prétendue Abuiralion de Saint-Ouen. Paris, « Bonne Presse », s. d. [1912], in-8°.

(N. D. L. D.)

qu’elle n’avait pas compris le texte qu’on lui avait présenté ; d’ailleurs que, au moment de signer, elle n’avait a rien révoqué, qu’à la condition que cela plût à Dieu ».

Qu’est-ce donc qui s’était passé pour que Jeanne reprit d’abord, puis gardât l’habit d’homme ? D’après ce que déposa Jean Massieu aux enquêtes de la revision, la prisonnière reprit l’habit d’homme contrainte par les.

glais ses gardiens qui, sur l’ordre donné ou l’idée suggérée, lui avaient enlevé l’habit de femme pendant son sommeil, et ne lui avaient laissé que l’habit d’homme. Obligée par nécessité naturelle de se lever, Jeanne dut suliir la condition qu’on lui imposait. .Après avoir repris l’habit d’homme, la pauvre tille fut menacée en son honneur, outragée, maltraitée, et un grand seigneur anglais tenta de lui faire violence. Pour défendre au besoin sa pudeur, Jeanne garda l’habit d’homme qui la protégeait mieux. Ce furent les dominicains Isambard de la Pierre et Martin Ladvenu qui dénoncèrent l’attentat de ce grand seigneur et lirenl connaître cette deuxième explication aux juges de la revision.

n Nous n’avons qu’à nous retirer et à procéder ultérieurement comme de droit et de raison », avait dit Pierre Cauchon à la lin de l’interrogatoire du 28 mai. Le mardi 2g, il réunissait /|2 assesseurs dans la chapelle de l’archevêché de Rouen et déclarait le procès de rechute ouvert. Après avoir fait donner lecture à l’assemblée du procès-verbal qu’il avait rédigé, il prit l’avis de chacun sur la sentence à prononcer. La grande majorité des docteurs, trente-trois au moins, requirent qu’avant d’arrêter toute ilécision, il fût donné lecture à l’accusée, en présence des assesseurs, du texte de l’abjuration que, d’après l’évêque. elle avait prononcée et signée, et qu’on le lui expliquât. Pierre Cauchon ne tint aucun compte de cette requête. Quoiqu’il ne put se réclamer que de la délibération de deux assesseurs, de cinq à six au jdus, et qu’il eût les autres contre lui. il ordonna que « la nommée Jeanne serait traduite le lendemain à huit heures du matin, au lieu dit le Vieux-Marché de Rouen, pour se voir déclarée relapse, excommuniée et hérétique, et abandonnée au bras séculier. »

Le matin du mercredi 30 mai, frère Martin Ladvenu, accompagné de frère Jean Toutniouillc, dominicain comme lui, sur l’ordre de l’évêque de Beauvais, vint dans la prison de Jeanne lui annoncer qu’elle devait se préparer à mourir. « Hélas ! s’écria la pauvre lille, en s’arrachant les cheveux, me traitet-on si horriblement que mon corps qui est pur et ne fut jamais corrompu, soit réduit en cendres ! Oh ! j’en appelle devant Dieu le grand juge, des torts et injustices qu’on me fait ! >.

Quelques instants après. Pierre Cauchon parut avec deux ou trois assesseurs. — « Evêque. lui dit Jeanne, je meurs par vous. Si vous m’eussiez mise en prison d’Eglise, ceci ne fût pas advenu ; c’est pourquoi j’appelle de vous devant Dieu. > Dès que l’évêque se fut retiré, la condamnée se confessa par deux fois au frère Ladvenu, et on alla chercher la sainte hostie. On l’apporta processionnellement, avec des (lambeaux, au chant des litanies, les assistants répondant : a Priez pour elle, priez pour elle ! » Jeanne reçut la communion avec une émotion profonde et grande abondance de larmes. Il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas communié !

Un peu avant neuf heures, la victime de P. Caueiion prenait place avec Jean Massieu et frère Ladvenu sur la charrette qui devait la conduire au Vieux-^farché. Cent vingt hommes d’armes l’escortaient. Sur la place, quatre estrades étaient dressées, une pour les juges, une pour le cardinal de