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JEANNE DAKC

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demeure de prononcer aucun serment. Elle ne consentit qu’une rétractation anodine, à laquelle l’évéquejuge substitua un texte dont on verra bientôt l’importance. L’énumération des conditions exigées par ie droit pour une abjuration en cause de foi permettra au lecteur de s’en rendre compte.

D’abord, les juges ne devaient rien décider en matière d’abjuration sans prendre conseil des « gens de savoir », c’est-à-dire de leurs principaux assesseurs, a ciim consilio peritoriim injure ». — Le cas reconnu assez grave pour qu’il y eût lieu d’imposer une abjuration publique, obligation revenait aux juges d’infc-mer l’accusée de leur résolution, de lui expliquer ou de lui faire expliquer en quoi consistait l’acte qu’on allait exiger d’elle, et de respecter absolument la spontanéité de son acceptation et sa liberté. De cette obligation générale découlait l’obligation spéciale de donner communication et explication à l’abjurante du texte de l’abjuration.

Le droit exigeait aussi que quelques jours auparavant les juges tissent annoncer au peuple dans les églises de la localité que tel jour, telle heure, à tel endroit, il y aurait sermon de circonstance, suivi d’une abjuration publique. Au jour marqué et à l’heure dite, en présence du tribunal et des spectateurs, le juge avisait l’abjurante qu’on allait lui présenter le formulaire de l’abjuration et qu’elle devait le prononcer. Après quoi on plaçait devant l’abjuranlele livre des Evangiles, sur lequel elle allait étendre les mains et prêter serment. Puis on lui remettait le texte de l’abjuration dont elle donnait lecture à la l’ace de tout le peuple. Si l’abjurante ne savait pas lire couramment, un des clercs présents lisait le formulaire en son lieu, et l’abjurante le répétait phrase par phrase. Un notaire rédigeait le procèsverbal du tout, et, le procès-verbal rédigé, le juge prononçait la sentence (Nicolas Evmeric, Direciorium /nqiiisiiorum, p. 492, 49 ?, Rome, loSg). En lisant dans le texte olliciel les particularités de la scène du cimetière de Saint-Ouen, l’on se convaincra qu’aucune des règles essentielles de toute abjuration canonique n’y fut appli<(uée.

Le jeudi après la Pentecùle, l’i mai, deux estrades étaient dressées sur la place du cimetière de l’abbaye de Saint-Ouen. Vers huit heures du matin, sur l’une d’elles montèrent les deux juges en la cause, le cardinal d’.^ngleterre, les évcques de Norwich, Xoyon, Thérouanne, et un grand nombre d’ecclésiastiques, assesseurs ou non du procès. Sur la seconde estrade, qui était en face, montèrent Jeanne, le prédicateur désigné, Guillaume Erard, et les ollieiers du tribunal. Maître Erard prit pour texte ce passage de l’évangéliste saint Jean : « Le sarment ne pourra porter de fruits s’il ne reste dans la vigne. " Ce sarment stérile, c’était l’accusée, et le roi de France, en l’écoutant, avait adhéré au scliisuie et à l’hérésie. (Juand la jeune CUe entendit traiter son roi de la sorte, elle ne put se contenir : « Par ma foi, interrompit-elle, révérence gardée, j’ose bien vous dire et jurer que mon roi est le plus noble chrétien de tous les chrétiens, et qui aime mieux la foi et l’Eglise, et n’est pas tel que vous dites, r

La prédication finie, maître Erard, s’adressant à la Pucelle, la somma de se soumettre à l’Eglise et de révoquer les dits et faits réprouvés par les clercs. —

« Pour ce qui est de la soumission à l’Eglise, repartit

Jeanne, j’ai demandé que mes dits et faits soient envoyés à notre Saint-Père le pape, (luant aux choses réprouvées par les clercs, c’est à Dieu et à notre Saint-Père que je m’en rapporte. » Alors intervint rèvèquedeBeauvais, ll dit qu’onnepouvaitaller chercher le pape à Rome, que les ordinaires étaient juges dans leurs diocèses et que l’accusée n’avait <]u’à se

soumettre. Jeanne ayant réitéré par trois fois ses déclarations, Pierre Cauchon commença d’une voix lente la lecture de la sentence. Pendant qu’il lisait, les allidés de l’évêque s’empressent autour île la jeune tille et, prétextant l’intérêt qu’ils lui portaient, la conjurent de se soumettre, de faire ce « ju’on attend d’elle, de révoquer les articles dont maître Erard lui donne lecture, en un mot d’abjurer. — j Mais je ne sais ce que c’est que d’abjurer, réplique Jeanne. — On va vous l’expliquer », répond Erard. Et il charge Jean Massieu de le faire.

Cependant les amis de P. Cauchon ne demeuraient pas inactifs. Massieu avait dit à Jeanne qu’il y avait pour elle péril de mort. Après avoir essajé de la frayeur, Loiseleur et Nicolas.Midi mettent en œuvre les promesses et l’espérance. Ils assurent la prisonnière que. si elle consent à ce qu’on lui demande, elle sera mise en prison ecclésiastique ; — elle aurait une femme avec elle ; — elle irait à la messe et recevrait son Sauveur ; — elle serait débarrassée des fers ; — et elle pourrait bien être mise en liberté. Au milieu de ses perjjlexités, un mot de Massieu fut pour la malheureuse fille un trait de lumière. « Rapportez-vous-en à l’Eglise universelle, lui dit Massieu. Et Jeanne de déclarer aussitôt qu’elle s’en rapporte à l’Eglise universelle si elle doit abjurer ou non.

— « Point du tout, réplique Erard : tu abjureras tout de suite ou tu seras briiiée. t Cependant le temps s’écoule. 1 Jeanne, Jeanne, crie la foule, ne vous faites pas mourir. » Tout à coup, la pauvre enfant élève la voix et, « joignant les mains, les yeux dirigés vers le ciel, elle proclame trois choses, i" Elle se soumet au jugement de l’Eglise simpliciler, c’est-à-dire de l’Eglise universelle, non de l’église de Pierre Cauchon. 2° Elle supplie saint Michel de la conseiller et de la diriger : preuve de la persistance de sa foi en ses révélations. 3^ Quant à ce qu’elle n’entend pas des articles de la cédule dont Erard et Massieu lui ont donné lecture, et qu’on ne lui a pas expliqués, elle ne veut rien révoquer, si ce n’est pourvu que cela plaise à Dieu. »

L’on cherchera vainement en toute cette scène et dans le texte du procès trace des conditions exigées par le droit en toute abjuration canonique. Pas de conseil tenu par le tribunal à ce sujet. Pas d annonce faite dans les églises de Rouen. La Pucelle reste dans l’ignorance de ce qu’on va lui imposer, de la nature de l’abjuration et du sens de la formule qu’elle devra prononcer. Pas de livre des Evangiles sur l’estrade, ni de serment. Tout est affaire d’improvisation et de surprise, excepté la violation elïrontée des lois de l’Eglise.

Qaant aux engagements que prend l’abjurante, nous relevons trois points : un acte de soumission absolue à l’Eglise universelle et un acte de soumission conditionnelle à ses juges (de la cédule que ceux-ci vont lui présenter, elle n’accepte que les articles qui ne déplaisent pas à Dieu) ; un acte de foi en ses révélations et ses Voix.

Mais celle cédule, à quoi se réduisait-elle’? D’après cinq témoins de la réhabilitation, elle comprenait, six, sept, huit lignes au plus de grosse écriture : preuve qu’elle était absolument différente du lormulaire de cinquante lignes qu’on lit au procès. Du contenu, l’on ne connaît que ces passages-ci : a Je Jehanne promets de ne plus porter à l’avenir des armes, l’habit d’homme et les cheveux courts. Je déclare me soumettre à la détermination, au jugement, aux commandements de l’Eglise… »

Dès que Jeanne eut formulé sa triple déclaration, Jean Massieu, sur l’ordre de l’évêque de Reauvais, lut à haute voix, article par article, la cédule qu’il avait en main ; la Pucelle répéta ces articles l’un après