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JEANNE D’ARC

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possession d’un titre <|ui ne pouvait que favoriser ses prétentions à la couronne de France et accroître la division dans le royaume.

En 1^27, i/)28, les troupes du roi d’Angleterre reprirent le cours de leurs succès, nioiuentanément suspendu. Encouragé par la prise de Rambouillet et de Laval, le Grand Conseil anglais de Paris sentit qu’il n’y avait qu’à tenter un suprême ell’ort pour achever la lutte. Cet elForl consistait à mettre le siège devant Orléans et à s’en emparer. Le 12 octobre 14’.18, le comte de Salisbury paraissait en forces sous les murs de la cité, et le siège commençait. Il durait depuis environ cinq mois, la place paraissait n’avoir plus qu’à se rendre, lorsqu’une jeune lille des marches de Lorraine arrivait devant Orléans, à la tête d’un corps de secours, battait les Anglais et les obligeait à lever le siège.

Il y a vingt ans, nous aurions pu rappeler le mot d’Estieune Pasquieh : « Grande pitié ! Jamais personne ne secourut la France si à propos que cette Pucelle, et jamais mémoire ne fut plus méconnue que la sienne. » Au lendemain du décret pontilical quia placé Jeanne d’Arc sur les autels, en présence du mouvement d’érudition si remai-quable qui l’a préparé, personne n’oserait plus tenir ce langage. Les lignes caractéristiques de son histoire, l’un des beaux chapitres de l’histoire de France et de celle de l’Eglise, sont désormais Uxées. Nous traiterons les points suivants :

1. Enfance et premièiejeunesse de lu fl. Jeanne d’Arc U..Sa mission : le signe et Vappel d’en haut, tes Voi.r, préparation,

III. Sa niissiun « dévie », phase guerrière : d’Orléans à Cumpiègne.

IV. Sa mission « de vie », phase douloureuse ; captivité, procès, martyre : de Compiègne à Rouen.

V. 5a mission « de survie ». Fxpulsion des Anglais. Uéhahilitation et glorification.

VI. L’histoire de- Jeanne d’Arc et la Critique.

I. — Enfance et première jeunesse

Jeanne d’Arc à Domremy. — Jeanne d’Arc était née à Domremy, petit village île liarrois, sur la rive gauche de la Meuse, le 6 janvier iliii, dans la nuit de l’Epiphanie. Elle fut baptisée par iMessire Minet, curé de Greux-Domremy, les deux localités ne formant qu’une paroisse. Son père, Jacques d’Arc, et sa mère, Isabelle Romée, étaient d’honnêtes cultivateurs, bons chrétiens sur toutes choses, possédant une aisance également éloignée de la richesse et de la pauvreté. Ils eurent cinq enfants, trois garçons et deux tilles. Les garçons avaient nom Jacques ou Jacquemin, Jean, et Pierre, dit aussi Pierrelot. Des deux filles, Jeanne el Catherine, celle-ci, qu’on suppose avoir été l’ainée, se maria el mourut avant le départ de sa sœur pour Chinon.

L’enfance de « Jeannette » s’écoula près de sa mère qui forma sa famille à l’amour du travail et à la pratique d’une saine piété. C’est sa mère qui lui enseigna, disait-elle à ses juges, le Pater noster, X’Ave Maria, le Credo et sa croyance (J. QtncHBRAT, Procès, t. I, p. 46). Cependant Jeannette n’apprit ni à lire ni à écrire. Au catéchisme, le curé de la paroisse qui avait remplacé Messire Minet — Guillaume Front — remarqvia promptemenl l’intelligence, le zèle, l’assiduité de sa petite paroissienne. Il pouvait plus tard rendre d’elle ce témoignage, « qu’il n’y avait pas sa pareille dans la paroisse, et que jamais il ne vit une jeune fille meilleure » (J. Quichbhat, Procès, t. II, p. 433-434).

Les dévotions de Jeannette étaient d’abord la dévotion au divin sacrement de nos autels, et l’assistance au sacrifice de la messe. C’était ensuite la dévotion à la Bienheureuse Vierge Marie. Elle faisait brûler souvent des cierges en son honneur ; chaque samedi, dans la belle saison, elle prenait le sentier menant à la i)elile chapelle de Notre-Dame de Bermont, qu’on voit encore à 3 kilomètres de Domremy au delà de Greux, en tirant sur le nord. Enfin, la dévotion à l’archange saint Michel qu’on vénérait à Moncel, dans la vallée de la Meuse, à trois kilomètres de Domremy ; à sainte Catherine et à sainte Marguerite, dont on vénérait les statues dans les églises de Maxey-sur-Meuse et de Domremy.

A l’amour de Dieu elle joignait l’amour du prochain, des malheureux, des pauvres, des |)elits enfants, des malades. Jeannette, nous apprennent ses compagnes d’enfance, « faisait beaucoup d’aumônes des biens de son père ». Lorsque des passants se trouvaient sans abri, elle les menait au logis <les sieus et leur cédait son propre lit : elle dormait alors près de l’àtre. Y avait-il au village des enfants abandonnés ou malades. Jeannette prenait soin d’eux et les visitait, les consolait jusqu’à ce qu’ils eussent recouvré la santé (Procès, t. II, 424-427).

Non seulement Jeannette aidait sa mère dans les soins du ménaye, mais elle allait aux champs avec son père et ses frères, conduisant la charrue, bêchant la terre, gardant les chevaux, menant les troupeaux paître au Bois Chesnu ou dans les prairies de la vallée.

Il Laborieuse, point paresseuse ; diligente, adroite, jamaisoisive », voilà ce que diront de la jeune vierge les témoins de la réhabilitation, en particulier ses deux amies préférées, Mengette et Hauvielte. De leurs dépositions et de celles des autres compatriotes de la Pucelle, il ressort que Jeanne était la plus complaisante, la plus aimable des compagnes. Pas pour la danse, toutefois : danseuse. Jeannette ne l’était pas. Avec cela, « si excellente fille, que tous les habitants de Domremy l’aimaient » (Procès, t. 11, p. 489). Elle ne man([uaitpas chaqueannéed’aller au Bois Clicsnu, avec la jeunesse du village, le dimanche de Lætarc. et pendant la belle saison on l’y voyait faire ses fontaines, s’éUalire sous le Bel arbre et prendre part aux jeux de ses amies.

Une roule fréquentée traversant le village, les habitants finissaient par savoir les malheurs dont souffrait le pays. De ces malheurs, ils ressentirent plus d’une fois le contre-coup. Pendant l’enfance de Jeannette, une bande d’Anglo-bourguignons incendia l’église de Domremy. Plus tard, les habitants, craignant que des troupes ennemies ne missent leur village à sac, s’enfuirent avec ce qu’ils purent emporter à Neufchàleau, place du Duché de Lorraine. Les parents de la Pucelle firent comme leurs concitoj’ens. LTn frère de sa mère, Jean de Voulhon, s’élant établi à Sermaize-en-Champagne, à vingt-cinq lieues environ de Domremy, Jeannette et ses frères firent plusieurs fois ce voyage pour visiter leurs oncles et cousins. Ce voyage demandait trois ou quatre jours, tant au retour qu’à l’aller. Les capitaines français de ces contrées étant en guerre continuelle avec les capitaines bourguignons ou anglais, Jeannette dut avoir plus d’une fois sous les yeux le tableau des ruines, des dévastations qui en étaient la conséquence. Rentrée à Domremy, elle entendait redire entre villageois la vieille prédiction de Merlin annonçant que si une femme, Isabeau l’étrangère, avait tout perdu, une pucelle des marches de Lorraine devait tout sauver. Celle pucelle, Jeannette la connaissait : depuis son adolescence, des voix mystérieuses la lui avaient signalée.