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autres ne sont que l’émanation, nature absolue, essence de toutes choses.

Dans la catégorie inférieure des bosalsu ont été rangées quantité de divinités de toute provenance. Les unes viennent droit de l’Inde, souvent après avoir changé en route de nom, de caractère, et même de sexe. Ainsi le dieu hindou bienfaisant Awalokite’ : i’ara est au Japon la déesse Kuanon (chinois, A’oan-iri). On la représente avec de multiples bras et têtes. Les dévots aiment à lui adresser leurs suppliques sous forme de boulettes de papier mâché. L’ogresse hindoue Hàriti, convertie par le bouddha, remplit au Japon l’ofTice de bonne d’enfants, Kisili Mojin. Les deux géants qu’on voit à la porte des temples, peints en rouge vif, ou bien l’un en rouge, l’autre en vert, grotesques et farouches, sont l’un Brnhina, l’autre Indra.

Par ailleurs Hotei, le dieu de la bonne humeur, large face épanouie, bouche ouverte et gros ventre nu, passe pour être né en Chine : mais ce pourrait bien être Mailreya. le bouddha futur qui occupe le vestibule des pagodes indiennes. Ebisu, avec son poisson au bout d’une ligne, est shintoïste. Les dieux du shinto en effet sont entrés en foule dans le panthéon bouddhique. C’est à ce prix que le culte nouveau a pu s’imposer au peuple. Le bouddhisme a fait plus : à ces dieux inconsistants, il a donné une forme extérieure, il en a fait des idoles. Il a eu soin de les présenter comme les manifestations nationales de l’éternel bouddha. Ama-Terasou s’est vue ainsi bouddhiUer ; on la déclara identique à Dai-nitcln, ce qui était une façon habile d’accaparer ses arrière-petils-Cls, les Mikado.

Ce mélange de bouddhisme et de shintoïsme s’opéra vers le ix’siècle : on l’appelae Ryohou-shinto (double enseignement des dieux). Sa vogue dura jusqu’au xviii’siècle. Grâce à cette politique habile, les bonzes purent accaparer presque tous les temples du shinto, s’en faire les desservants elles encombrer de leurs idoles.

IV. Le nirvana. — Le bouddhisme sino-japonais, qui moditiait aussi profondément les données primitives sur le monde extra-humain, ne devait pas respecter beaucoup plus l’enseignement authentique de Shaka sur la destinée. Il promettait bien toujours d’alTranchir l’être divin des transmigrations à travers les six mondes et de le conduire jusqu’au nirvana (en japonais ne-han). Alais le Japonais, vif, primesautier, réaliste, pouvait-il s’accommoder des rêveries hindoues ? L’alïranchissement de l’être, par un entraînement ascétique, gradué, aboutissant à l’usure des énergies vitales, à l’épuisement du désir d’exister, à la désagrégation linale, non pas dans le rien, mais dans le vide, tout cela était bien subtil pour des cervelles peu métaphysiques, et bien lent pour un peuple actif et remuant. Aussi, pratiquement, le gros des Udcles rêve d’un nb-vàna positif, très semblable à un paradis.

Aux j’eux des spéculatifs, c’est tout autre chose. Quelques sectes, parmi les plus anciennes, — pour autant qu’on peut les comprendre, — professaient l’anéantissement final pur et simple : ainsi le Kuiisha et le Jo-jiisu. L’un soutenant que le moi n’existe pas, bien que les cléments constitutifs de ce moi existent, l’autre étendant la non-existence aux éléments eux-mêmes, la vie n’est plus qu’un long rêve qui cesse quand l’homme se désagrège, mais sans que l’homme se réveille. On dira encore : « Le nirvana, c’est le terme déliuitif de l’existence, état dans lequel la substance pensante, tout en restant individuelle, n’est plus affectée par quoi que ce soit d’externe, et, par suite, est vidée de toute émotion, pensée ou passion. »

A cet état on donne le nom de mu-i, qui signifie existence absolue, inconditionnée. Quand on en parle coir.me d’une annihilation, on veut dire l’annihilation des conditions, et non pas de la substance. L’ignorant, celui qui n’a pas été régénéré par le liouddliisnie, s’en tenant à ces résidus logiques, tiendra que cela équivaut à la non-existence. Mais sachons <[ue « nous sommes en face, ici, d’un de ces mystères comme il y en a à la base de toute religion, et qu’il faut accepter sans discussion » (E. Satow). Parfois l’explication de nirvana aboutit à un panthéisme à peine déguisé. Il y est posé en principe que le bouddha suprême, les êtres et la matière ne font qu’un ; cette unité se réalise pleinement dans le nirvana, mais ou peut s’y préparer, s’en approcher, parfois même le réaliser dès cette vie par des exercices appropriés. Quant aux méthodes, il y en a autant que de sectes.

V. Les sectes. — On en compte dix ou douze, actuellement existantes ou ayant eu jadis de la vogue. Il y en a d’indiennes, de chinoises et d’indigènes. Les sectes dites modernes remontent au xu’= et au xni"^ siècles. Les autres sont du vir, vni' et ix>^. Les sectes plus récentes n’ont pas d’importance. Ce qui leur a donné naissance, c’est parfois le besoin de réagir contre une tendance trop exclusive (Aitchiren contre Djôdu) ; ou celui de traduire les a.spiralions morales d’une génération (le Zen et les classes militaires du niiv siècle) : ou tout simplement la nécessité de s’orienter parmi l’énorme masse des livres canoniques, des systèmes, des 84.000 doctrines attribuées à Shaka.

Jadis, au vi<= siècle, un bonze chinois ingénieux avait inventé le rin-zô, grande boîte en bois sur pivot, contenant toute la bibliothèque des livres sacrés. On la faisait tourner, et cela équivalait, pour le mérite, à lire les G.’jyi volumes qu’elle contenait. D’autres trouvèrent plus intelligent de découvrir dans ce fatras un principe enseigné par Shaka, en un certain lieu et en un certain temps, mais non encore utilisé, et d’en faire la clef de toute la doctrine.

Ce serait peine perdue que de chercher à entrer ici en de longs détails. D’abord parce que, dans la pratique, les diil’érences doctrinales entre sectes ne sont perçues que des initiés : le public n’y entend rien. Puis parce qu’on peut dh’e de la plupart d’entre elles ce que M. Satow disait du Shingim « Son enseignement, dans son ensemble, est extrêmement dillicileà comprendre. et plus diflicile encore à rendre en langage intelligible » ; et d’une autre secte : « Ses plus hautes vérités sont tenues pour inaccessibles à <|uiconque n’est pas parvenu à être bouddha. » « La doctrine des sectes, dit encore le même auteur, est comparée à une étoffe où la chaîne serait formée par l’enseignement de Shaka et la trame par l’interprétation individuelle sous le contrôle des bonzes. » Auxespritsobtus.il faut bien présenter la vérité sous une forme appropriée à leur capacité, par le moyen des symboles. Mais les intelligences supérieures arrivent à la vérité directement. Au delà du sens contenu dans les mots, en vertu d’une sorte d’intuition, le shingrù, par une perception immédiate absolument certaine, elle atteint aux vérités supérieuies dont la connaissance pleine conduit au Nirvana. Mais quelles sont précisément ces vérités, et par ((uels procédés les atteindre, c’est où l’on se sépare.

La secte IIosso (653) tient pour ce |>rincipe : « Rien n’e.xiste que la pensée, le reste est illusion. » Pour le Kegon (848), k tout est vide », et ce vide, celle nonréalité, c’est l’universel absolu, duquel tout tient sou existence, avec lequel et dans lequel les contraires