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INTELLECTUALISME

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Mais alors, est-ce que l’Iiomnie ilont l’intelligence est surnaturalisce, dont la raison est guérie par la lui, se trouve vis-à-vis des vérités naturelles dans la même situation que celui dont l’intelligence souffre encore des suites du péché originel, dont la raison est encore blessée’? Il n’en est rien. Tout le monde convient, d’abord, que les vérités révélées proposées par l’Eglise enseignante sont très elficacemenl protectrices des vérités naturelles touchant la morale et l’existence de Dieu. Mais il y a plus, et l’on peut concevoir que l’infusion de la lumière surnaturelle redresse, en ce qui regarde la connaissance de quelque vérité que ce soit, un certain déséquilibre intérieur du sujet connaissant. Sur ce point très délicat, certains défenseurs du dogme ont [lU se méprendre, faute d’habitude des pliilosopliies anti-intellectualistes, et il est arrivé aussi à certains philosoplies catholiques d’employer des formules inacceptal)lcs, alors que leur vraie pensée ne contenait rien de contraire à la foi.

a Croire, écrit l’auteur de l’Action, croire qu’on peut aboutira l’être et légitimement aflirmer quelque réalité que ce soit sans avoir atteint le terme même de la série qui va de la première intuition sensible à la nécessité de Dieu et de la pratique religieuse, c’est demeurer dans l’illusion. » (M Blondel, /.’Action, cinquième partie, chap. iii, p. 4a8 de l’édition complète. )

A première vue, cette proposition ne paraît pouvoir échapper aux qualifications d’ « erronée » et de

« proche de l’hérésie ». Par a pratique religieuse », 

l’auteur n’entend-il pas la pratique religieuse catholi <iue ? par la connaissance qui l’atteint, n’entend-il pas la connaissance ferme et surnaturelle qu’en donne la foi ? Or l’Eglise enseigne que la démonstration certaine de Dieu (qui suppose nécessairement une connaissance certaine de l’être) peut être perçue en dehors de cette lumière surnaturelle. Il est certain qu’avant de s’être résolu aux observances chrétiennes, et même avant d’avoir adhéré par la foi aux dogmes chrétiens, on peut avoir de Dieu une connaissance certaine, démontrée, qu’on n’aura pas à corriger, et qui donc est « légitime ».

Prise telle quelle et isolée, la formule tomberait donc justement sous les censures que nous avons dites ; ajoutons que, même replacée dans son contexte, elle choque encore par sa malencontreuse rédaction. Mais le contexte, croyons-nous, suggère un sens acceptable.

Toute légitime qu’elle est en tant que proposition rationnelle et conclusion authentique d’un discours, l’allirmation certaine de Dieu, dans la raison blessée par le péché originel et non encore réparée par la grâce, a-t-elle sa pleine valeur de vérité ? En dehors même de l’école de M. Blondel, plusieurs se refusent à le croire. Si la recherche philosophique, disent ils, ne s’arrête pas aux seuls éléments représentatifs de l’idée et à la seule valeur de représentation de l’acte intellectif, elle aboutit à la découverte d’une nouvelle sorte de connaissance, plus intime et plus pénétrante, et fondée sur un plus parfait accord <lu sujet et de l’objet. Cette connaissance est du genre de celles que saint Thomas appelle per cunnaturalitatem, et imite plus excellemment l’intellection parfaite, qui, d’après ce saint docteur, n’est pas seulement représentation d’un objet, regard sur une essence, mais conquête, étreinte, prise d’un être. Or, dans l’espèce, cette connaissance sympathique requiert un consentement libre et surnaturel. Mais dans quel sens peut-elle être dite seule connaissance « légitime » de quoi que ce soit ? En ce sens, que seule elle met le réel en équilibre, en « adéquation » non seulement avec le sujet visant déterrainément tel objet, avec le sujet

restreignant le champ de sa vision à un problème partiel, mais avec le sujet total, présent tout entier (puis<iu’il est spirituel) dans chacune de ses intellections, avec le sujet qui, sous tous les problêmes partiels, poursuit la solution du problème premier qui s’identifie avec la vie même : gagner son âme et gagner Dieu. — On le voit : ce point de vue dépasse celui de la « critcriologie » courante, duquel on examine la valeur des certitudes particulières, partielles, et auquel on s’est souvent placé pour critiquer la formule citée plus haut.

On arrive à peu près au même résultat par une voie dill’érente, comme il suit. Dans l’exercice le plus primitif et le plus spontané de la raison, l’analyse décèle aisément une certaine triomphante confiance en soi, une certaine assurance qu’elle peut tirer l’être au clair, une conviction que l’homme peut arriver à avoir le cœur net de lui-même, du monde et de la vie. Cette présomption (j’emploie le mot sans aucune nuance péjorative) est naturelle, essentielle à l’intelligence, est condition a priori de son exercice, et forme comme l’àme de chacune de ses intellections particulières. Or, encore une fois, dans l’état actuel de nature déchue, et par suite de la ruine en Adam de la race entière, cette présomption, en dehors d’une grâce qui illumine l’intelligence, se trouve injustifiée. Sans une révélation d’en haut, sans uneguérison qui ne lui est point due, l’intelligence ne peut arriver à la vérité touchant sa destinée réelle. Il s’ensuit un déséquilibre dans le sujet connaissant comme tel, déséquilibre qui désoriente toutes ses connaissances, qui, sans rendre chacune d’elles mensongère ou « illégitime », les sépare toutes de ce qui devait leur donner leur plein sens et leur pleine vérité. Or, de même que l’ignorance proprement dite est guérie par l’enseignement de l’Eglise, qui nous catéchise à l’extérieur et nous fait connaître notre destinée, de même cet élan vital de la raison, cette présomption naturelle qui est à l’origine de tout son mouvement, est guérie dans sa source par la vertu de foi infuse, qui rectifie la raison en l’élevant. En entendant les choses de la sorte, on comprend comment seule la foi surnaturelle, considérée comme perfection du sujet, rend son assiette à la raison naturelle, et à la connaissance de quelque objet que ce soit, sa pleine légitimité.

B. Motifs de crédibilité. — Au sujet des motifs de crédibilité, l’Encyclique Pascendi renvoie encore au concile du Vatican (De Fide, canons 3, 4)- Le Motu proprio que nous avons cité contient derechef sur ce point une précision importante ; il afiirme la rigoureuse suflisance, même pour les simples, des motifs extérieurs (tels que miracles, prophéties, fait de l’Eglise). Une représentation conceptuelle, communicable, peut donc être le moyen choisi par Dieu pour amener l’esprit de l’homme à l’assentiment raisonnable au christianisme ; si c’est intellectualisme, l’Eglise catholique est intellectualiste en ce point ; elle se refuse absolument à restreindre les légitimes motifs de crédibilité aux seuls phénomènes intérieurs, et a déclaré cette doctrine dans une définition infaillible.

Mais dans l’interprétation des documents, et faute d’une distinction philosophique nécessaire, il pourrait y avoir excès d’intellectualisme, c’est-à-dire affirmation d’une certaine suffisance du concept, plus étendue que celle que le Magistère a définie. C’est ce qu’il nous faut expliquer.

La révélation supposée faite aux hommes, et étant admis que Dieu n’en a pas graliûé, comme d’un don inné, notre intelligence, mais la fait parvenir à chacun de nouspar la tradition, par l’autorité, et, comme