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INTELLECTUALISME

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exemple et dans la science politique. Ce retour n’a rien jusqu’ici qui ne doive plaire à l’Eglise. Que si, par un hasard que rien ne fait prévoir, il aboutissait à un renouveau de l’intellectualisme naturaliste à la 1860, la pensée catholique devrait se maintenir avec force dans son juste milieu de vérité : affirmant la compétence du concept dans ses limites propres, mais marquant aussi avec rigueur ces mêmes limites, et poussant la critique du concept dans le sens des deux principes thomistes ci-dessus formulés. Au reste, il est clair que ces deux principes ne suffisent ni à faire d’un homme un catholique, ni même à faire admettre la nécessité d’une révélation. Ils y disposent seulement l’intelligence, en la débarrassant de graves erreurs.

II. Intellectualisme garanti par la foi. — « Les modernistes, dit le Pape dans l’Encyclique l’ascend i, posent comme base de leur philosophie religieuse la doctrine appelée communément agnosticisme. La raison humaine, enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes, c’est-à-dire des choses qui apparaissent, et telles précisément qu’elles apparaissent, n’a ni la faculté ni le droit d’en franchir les limites ; elle n’est donc pas capable de s’élever jusqu’à Dieu, non pas même pour en connaître, par le moyen des créatures, l’existence. Telle est cette doctrine. D’où ils infèrent deux choses : que Dieu n’est point objet direct de science ; que Dieu n’est point un personnage historique. Qu’advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs de ciédibililé, de Ia révélation extérieure ? Uesl aisé de le comprendre. Ils les suppriment purement et simplement et les renvoient à l’intellectualisme, système, disent-ils, qui fait sourire de pitié, et dès longtemps périmé. » (Encyclique /’oiCPHt/i dominici gregis, 8 septembre 1907, traduction française officielle, dans les Questions actuelles, t. XCIII, p. 199 ; texte latin ibid., p. 198, ou dans Denzinger-Bannwart, Encliiridion’", n. ao^a.) L’intellectualisme figure ici comme le terme dont les modernistes se servent pour désigner le contraire de l’agnosticisme et, plus précisément, comme le système qui admet et la théologie naturelle (qu’on appelle plus ordinairement de nos jours théodicée), et la rationahililé de la foi prouvée par les signes extérieurs d’une manifestation divine, et enûn la possibilité d’une révélation extérieure, non point renfermée, par conséquent, dans les cœurs de ceux à qui Dieu s’adresse, mais exprimable en concepts et communicable par des mots.

Il ne saurait s’agir ici de traiter dans toute leur ampleur ces trois questions, déjà exposées aux articles Agnosticis.me (t. I, col. 66 sq.), Dieu (ib., col. 9^3 sqq.). Dogme (ib., col. 1135 sqq.), Foi (t. II, col. 65, etc.). Nous nous bornerons, pour chacun des trois points touchés par l’Encyclique, à ajouter certaines précisions, du point de vue particulier qui nous intéresse, et qui est celui de la critique du concept, c*est-à dire que nous essaierons de marquer exactement quelle suffisance de la connaissance conceptuelle l’Eglise affirme dans chacun des cas.

A. Théologie naturelle. — Le Pape parlait d’abord de la théologie naturelle. En affirmant le pouvoir qu’a la raison de connaître avec certitude l’existence de Dieu par le moyen des créatures, l’Encyclique Pascendi n’a absolument rien innové ; elle se réfère explicitement (quelques lignes après le passage cité) aux définitions vaticanes qui, d’accord avec une tradition constante, avaient déjà consacré ce grand point (concile du Vatican, sess. iii, chap. i et canon i de Revelatione, Denzi.ngeh, op. cit., n. l’jSô et 1806).

Observons seulement qu’un document postérieur, dont les premiers articles du Dictionnaire n’avaient pu tenir compte, a précisé encore, par une interprétation autorisée, la doctrine catholique. C’est la formule de serment prescrite par Pie X, le 1" septembre 1910, à certaines catégories d’ecclésiastiques (Motu proprio sacrorum Antistitum). Je professe, y lit-on, que Dieu, principe et lin de toutes choses, peut être certainement connu et même démontré par la lumière de la raison naturelle au moyen de ce qui a été fait, c’est-à-dire des œuvres visibles de la création, comme une cause par ses effets. » Deux traits méritent d’être signalés : l’insistance sur leselfets visibles de la puissance créatrice, et le terme de démonstration pour expliquer la connaissance certaine dont parle le concile du Vatican. Ce dernier enseignement, au reste, ne fait que consacrer une conséquence déjà tirée dans les écoles catholiques, où l’on jugeait

« théologiquerænt certaine » l’équivalence de ces

deux propositions : « Dieu est connaissable avec certitude à la raison naturelle)i et « l’existence de Dieu est démontrable ». L’affirmation delà démonstrabilité exclut toute incertitude dans la preuve tirée des effets visibles de la Puissance divine, elle n’exclut pas toute influence de la liberté sur les conditions de sa perception, et l’on n’est point obligé de croire que cette démonstration soit aussi évidente et contraignante qu’une démonstration géométrique pour toute intelligence en n’importe quel état. L’intellectualisme outré consisterait à croire que le discours agit ici, pour ainsi dire, ex opère operato, que l’clat moral du sujet n’y importe point. Au reste, quelle que soit l’importance qu’on attache aux bonnes dispositions libres en cette matière, il faut prendre garde que, si on les concevait comme suppléant à l’insuffisance de la preuve, il n’y aurait plus démonstration : pour qu’existe la démonstration que le Pape déclare possible, il faut que l’effort libre dispose seulement le sujet à percevoir une preuve valable objectivement. Ce rôle de la liberté consiste donc plutôt dans l’écartement des obstacles que dans une positive efficacité.

Les termes « lumière de la raison naturelle », employés par le concile du Vatican et repris par Pie X, ne méritent pas moins d’attention, et ont pour la question de l’intelleclualisme une importance capitale. Ils excluent les différents sjstèmes fidéisles, qui font dépendre de la foi ou même de la charité surnaturelles, la certitude de l’existence de Dieu. De quelque façon qu’on requière comme nécessaire une lumière intrinsèquement, substantiellement surnaturelle (pour employer le terme technique) à l’effet de procurer la certitude de l’existence de Dieu, on tombe certainement dans l’hérésie. On n’y échapperait pas, dans le cas présent, si, partant de la distinction très légitime entre la valeur rationnelle objective des preuves et la capacité de les percevoir, on accordait qu’assurément la démonsiralion de l’existence de Dieu est valable, mais qu’elle ne peut être saisie avec certitude que par une intelligence surnaluralisée. Le concile, en effet, n’a pas fait tomber directement sa définition sur lanaturalilé de la vérité connue, mais sur celle de l’organe de connaissance, du moyen qui fait connaître. Sans doute, pour ceux qui admettent la doctrine thomiste de l’objet formel, ces deux notions sont corrélatives. Mais celui qui nierait cette doctrine pour prétendre que la vérité nalurelle de l’existence de Dieu ne peut être connue que i ar la lumière surnaturelle, n’échapperait pas aux onathèmes du concile. Il suit de là que l’on ne jieut faire dépendre ladite certitude, de la conversion du cœur à Dieu, de la justification (qui introduit sur-le-champ dans l’àme la foi infuse).