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INTELLECTUALISME

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Ceux qui s’en prennent à l’intelleclualisme en matière morale et religieuse s’en prennent donc à une doctrine qui reconnaîtrait, soit une absolue suffisance, so’t une compétence qu’ils jugent exagérée, à lapensc’e jonceptuelle et discursive en matière morale et religieuse. — Nous dirons dans quel sens la doctrine catholique rejette l’intellectualisme (I), dans quel sens elle le consacre (II), dans quel sens elle le laisse affaire de libre discussion (lU).

On ne s*étonnera pas du caractère fragmentaire que présentera notre étude, si l’on veut bien se rappeler que les plus grands aspects du sujet ont déjà été considérés ailleurs <voyez Agnosticisme, Dieu, DoGMS, Foi). Pour la même raison, cette étude sera résolument, impudemment technique : elle eût fait double emploi avec les articles cités, si elle n’eût visé avant tout à montrer quelle est la position de la doctrine catholique vis-à-vis de la critiqne moderne du concept et du discours ; elle suppose donc constamment un lecteur déjà familiarisé avec cette critique.

— Nous la faisons précéder d’une Note où nous avons tâché de distinguer nettement les principaux sens d’un mot dont remploi irrétléchi a créé et crée souvent encore les plus lamentables confusions,

A. — Le terme à.* intellectualisme est pris par des historiens de la pensée scolaslique pour désigner la doctrine métaphysique d’après laquelle l’opération intellectuelle est la fin dernière de l’Univers, et nous fait saisir l’être absolu, en nous faisant, au Ciel, posséder Dieu. Ainsi, M. Khebs écrit dans son étude sur Maître Dietrich (Theodorus Teulonicus) qu’a il proclame expressément l’intellectualisme comme sa conception du monde quand il dit : Maxime et poiissime est liomo propter operaiionem, qiiac est intellectus per essentiant ; igitur per ipsani talis intelleetus operaiionem maxime et immédiate habet homo uriiri Deo in illa bcatifica fisione u (Kkebs, Meister Dîetrich^ sein Leberiy seine Werke, seine M’issensc/ta/ï [dans les Beilrd^e de Bæumker, Miinsler » Aschendorff, v. 5-6], p. 78. — De même Rousselot, L’intellectualisme de saint Thomas, p. IX et suiv.). En ce sens, saint Augustin est un grand intellectualiste, parce qu il met la fin de 1 homme dans la vision de la Vérité. — Or, il est très important de le noter, plus une philosophie est dominée par l’idée de l’Intelleclion subsistante et divine dont elle fait la mesure de l’être, ou par l’idée de l’intellei-tion bealifique et divinisée, dont elle fait le modèle idéal et le but de toute intellection, plus aussi son mouvement natui’cl la porte à développer une critique sévère et méprisante des formes d’intelliçenco inférieure, et particulièrement de l’intellection rationnelle, qui ostjiropre ici-bas â l’animal humain [rationnelle, c’est-à-dire par concepts abstraits et par discours). C’est à quoi n’ont pas manqué les Scolastiques, et surtout saint Thomas d’Aquiu.

B. — Quand c’est aux philosophies issues du Cartésianisme que le mot d’intellectualisme est appliqué (on l’emploie souvent à propos de Descartes lui-même, de Maleoranche et de Leibniz), la uotiin est déjà tout autre. C’est que les Cartésiens ne tiennent pas le même compte que les Médiévaux, et surtout que saint Thomas, des conditions corporelles de notre présente intellcction. Il s’ensuit que ces philosophes, quand ils prennent l’intelligence pour mesure de l’être, risquent souvent d’entendre par là l’intelligence humaine. Tout croyants qu’ils sont, ils inclinent inconsciemment par là vers le rationalism^e. L’intellectualisme cartésien, *t anthropomorphique)>, est caractérisé par une tendance, en métaphysique, à isoler les êtres, et par l’exaltation de l’évidence comme critère de la vérité. M. CotTURAT écrit de Leibniz, qu’il prend comme principe fondamental de sa pliilosophie, le « principe de raison, dont le sens exact et précis est celui-ci :

« Toute vérité est analytique. » En conséquence, poursuit-il, 

tout dans le monde doit être intelligible et démontrable logiquement par de purs concepts, et la seule méthode des sciences est la déduction. C’est ce qu’on peut appeler le postulat de l’universelle intelligibilité. La philosophie de Leibniz apparaît ainsi comme l’expression la plus complète et la plus systématique du rationalisme întellect laliste : il y a accord parfait entre la pensée et les

choses, entre la nature et l’esprit ; la réalité est entièrement pénétrable à la raison, parce qu’elle est pénétrée de raison. Pour caractériser cette métaphysique d’un seul mot, c’est un panlogisme » [La logique de Leibniz, Paris, 1901, p. II).

G, — L’intellectualisme cartésien, en faisant de l’esprit le miroir adéquat de l’être, supposait un irréductible dualisme entre l’être et l’esprit. Les philosophies issues du Griticisme proclamèrent Vaffînité de lEspiit et des choses, et, en unissant ces dernières, par leurs racines mêmes, à l’âme, les firent aussi sortir de leur mutuel isolement. On prend sur le fait la critique de l’intellectualisme à la Descartes, dans cette assertion de Hegel : « Le dogmatisme delà métaphysiiiue de l’entendement consiste à m.aint « nir les déterminations exclusives de la pensée dans leur isolement, tandis que l’idéalisme de la philosophie spéculative, saisissant le tout, s’élève au-dessus de cette exclusivité. » (Hegel, Logique, trad. Vera, Paris, 1874. t. 1, p. 265.1 Cependant Hegel tombait lui-même dans une idolâtrie de lentendemenl, de l’intellection particulière et conditionnée, bien pire que celle qu’il reprochait à Descartes, parce que, ne comprenant plus la nécessité du Dieu Créateur et personnel, il en venait à faire de la connaissance philosophique humaine, — qui reste toujours conceptuelle et animale, — la connaissance absolue. Ou ne doit donc pas s’étonner si des esprits pénétrés de Hegel, — et d’ailleurs éblouis par les beaux progrès des sciences naturelles aux xviii* et xix* siècles,

— tentèrent d’expliquer le monde suivant les méthodes de lintellectualisme rationaliste, c’est-à-dire en acceptant sans examen le concept comme instrument de connaissance adéquat au monde, en identifiant chose avec réalité . C’est le postulat inconscient de 1 intellectualisme qui fleurit vers 1850-1860, et qui attaque de front la religion.

D. — En 1860, c’est l’a intellectualisme » qui est antireligieux ; comment donc est ce, au temps de l’Encyclique Pascendi, l’anti-intellectualisme qui est condamné par l’autorité religieuse ? — La défense religieuse avait été menée en terre protestante (d’une manière très conforme à l’esprit de Luther, mais surtout depuis Kant, après Schleîerniachcr et Ritscbl) en séparant déplus eu plus le doiiiaine de la vérité spéculative, qui appartient à la raison, du domaine de la religion, réservé au cœur. Le protestantisme conséquent a, de la sorte, successivement abandonné : 1° lantique prétention de démontrer rationnellement la crédibilité de la révélation chrétienne, — 2" l’ancien système dogmatique lui-même. Tenir, non seulement aux anciennes démonstrations, mais même aux anciens dogmes, c’est donc, à ses yeux, pécher par « intellectualisme », et ce péché est celui de presque toute l’Eglise chrétienne, depuis les iii « et iv* siècles au moins. M. Hkb>ack, par exemple, en parlecomme il suit : a Unter ïntc^Ilektualisnius ist hier aber vor allem zu verstehen, dass hinter die Gebote der christlichen Moral und hinter die Hoffnungen und den Glauben der christlichen Religion die wiisenschaftlicbe Erkenntniss der Welt gestellt wurde und man dièse mit jenen so verkntlpfte, dass sie als das Fundament der Gebote und der Hoffnungen erschien. Damit ist die zukUnftige Dogmatik geschaffen worden » [Dogmengeschichte, I’, p. 550). — On sait comment, pur l’infiltration de ces idées dans certaines intelligences latines, le modernisme se forma, et quels flots de haines et d’insultes il déversa, pendant quelques années » sur I’u intellectualisme » de la dogmatique et de la théologie catholiques.

En même temps qu’à lintellectualisme théologique, on s’en prenait aux conceptions philosophiques qu’il supposait. En présence des théories idéalistes, sentimentalistes, volontaristes, mobilisfes des novateurs, les défenseurs de l’orthodoxie ont souvent accepté le mot â*in/ellec(ualisme pour désigner le réalisme et le dogmatisme qu’ils professaient, en y ajoutant telle on telle nuance particulière que ces doctrines prenaient dans leurs systèmes. C’est ainsi que le P. Garrigou-Lagrange, O. P., voulant définir I’k intellectualisme » qui est commun à saint Thomas avec Platon et Aristote, le caractérise par la priorité de l’être sur rinieJligence (Hefur des Sciences philosophiques et théologiques, janvier 1908, p. 30). Lea controverses modernes reflètent même leur vocabulaire sur celles du passé : par exemple, à propos des origines philosophiques du protestantisme, De » ii le- Weiss appelle zn^r//cc<uA/<jm «