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INSURRECTION

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selle et incondilionnelle, ils déconseilleraient aussi bien toute résistance légale, judiciaire ou autre, que toute résistance armée. C’est aussi bien sur le premier cas que sur le second que porterait sans restriction cette maxime : « Ne résistez pas au méchant, mais si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut vous appeler en jugement pour vous prendre votre tunique, abandonnez lui encore votre manteau. » Et tout de même ce reproche de saint Paul : « C’est déjà une faute que d’avoir des procès entre vous ; pourquoi ne pas plutôt vous laisser maltraiter ? Pourquoi ne pas vous laisser voler ? » — S’il est impossible d’ériger pareils conseils en règles absolues, même de perfection, pour tous les cas imaginables, pourquoi nous interdire de mettre les réserves et correctifs nécessaires aussi bien en matière de défense armée que de revendication légale ? C’est à l’une et à l’autre espèce que doivent s’appliquer, proportion gardée, les judicieuses distinctions que formulait, en termes excellents, le cardinal Perraud, dans une instruction pastorale écrite en 1880, surle^ circonstances dans lesquelles tes catholiques ont le droit et le devoir de se défendre. « S’agit-il d’intérêts ou de conflits tout privés, de questions ou de difficultés purement personnelles, n’engageant en rien les principes de la morale, les vérités de la religion, la liberté ou les droits de l’Eglise ? Nul doute qu’en de telles occasions il ne soit loisible au chrétien d’appliquer sans réserve les préceptes ou les conseils de la sainte douceur évangélique… Lors donc qu’il s’agit seulement de nos personnes, de nos affaires, de nos biens, voire même de notre vie, et si quelque obligation d’un ordre supérieur ne nous fait pas une loi de nous défendre, nous pouvons préférer le silence à la parole, la soumission à la résistance, la passion à l’action. Il importe toutefois à la vraie notion de la vertu qu’une telle attitude ait pour motif déterminant, non une faiblesse pusillanime et un manque de cœur, mais la surnaturelle et courageuse imitation de la patience, de la douceur, de la charité du Fils de Dieu… De ces préceptes, de ces conseils, de ces exemples, faut-il conclure qu’il n’est jamais permis aux disciples de Jésus-Christ de se défendre ? qu’ils ont toujours pour unique devoir de se taire et de se soumettre, sans dire une parole pour repousser la calomnie, sans tenter aucun effort pour revendiquer leurs droits ? Il n’en est rien. »

L’initiative des fidèles et l’autorité des pasteurs.

— Ces principes une fois admis, on peut se demander si les catfioliques, dans les cas où la conscience leur permet ou leur commande de résister, doivent nécessairement attendre une impulsion positive de leurs pasteurs, en vertu de ce principe que, dans l’Eglise, toute l’autorité est en haut, et en bas la dépendance. Que cette impulsion puisse venir légilimement, cela ne fait pas de doute ; maisest-ellenécessaire ?


Elle le serait, si nos évêques étaient des chefs militaires, ou que se défendre fût un acte directement religieux. Mais se défendre est en soi un acte de la vie civile, cl nos évêques sont proprement des chefs spirituels On ne voit donc pas qu’il y ait lieu d’attendre leur initiative, soit sovis forme d’ordre, soit sous forme d’invitation. Mais les consulter sur le cas de conscience reste toujours chose loisible, et même recommandable. Et, par ailleurs, puisque la légitimité de la résistance dépend de son opportunité, et que l’opportunité est régie par les intérêts religieux, dont les évêques ont la garde, il est clair que l’intervention delà hiérarchie, soit pour exclure, soit pour

modérer l’action, a droit à toute la déférence des catholiques.

Conclusion. — Prendre l’offensive contre le pouvoir, c’est de la sédition ; exercer des représailles, ou se livrer à des provocations, c’est de la violence. Mais se défendre — jusqu’à briser l’offensive adverse

— n’est ni sédition ni violence.

Cet exposé de principes peut ne pas être inutile, ni aux catholiques ni à leurs adversaires. Que ceux-ci sachent ce à quoi ils peuvent s’attendre, et ceux-là ce que, le cas échéant, ils peuvent oser : et il y a lieu d’espérer ou que les uns reculeront, ou que les autres vaincront.

Paix ou triomphe : c’est le fruit ordinaire des idées justes.

i’u propos de iaint Pierre Damien. — Dans une lettre à l’évêque de Fermo, saint Pierre Da.mirn stigmati>e en ces termes la conduite des prélats batailleurs da son temps :

« A une époque où, parmi tant d’autres maux, on voit

les hommes de violence s’attaquer impudemment aux Eglises, envahir leurs domaines, et Tioler tout ce qu’il y a de choses sacrées, certains en viennent à se demander si les chefs des Eglises ne devraient par se faire justice, et, comme les laïques, rendre le mal pour le mal. Et, de fait, à jjeine ont-ils été en butte à une injuste violence, que la plupart sur-le-champ ré[iondent par une déclaration de guerre, arment et finissent par faire plus do mal à leurs adversaires qu’eux-niéme » n’en avaient reçu. Chose éminemment déraisonnable, à mon avis, que les prêtres du Seigneur se permettent ce qui n’est jjas même permis à la foule et au vulgaire ; que leurs œuvres autorisent ce que condamne leur parole. Qu’y a-t-il en effet de plus contraire à la loi chrétienne que cet échange de violences.’Que deviennent tant de maximes des Saintes Lettres ? Que fait-on de cette parole du Seigneur : « Si on t’a pris ce

« qui est à toi, ne le réclame pas } » Si nous n’avons pas le

droit de réclamer cela même qui nous a été volé, comment pourrions-nous venger le vol par des voies de fait ?

(( Objeclera-t-on que le pape f., éon IX s’est souvent engagé dans des expéditions militaires, et que pourtant il est canonisé ?.lors, je dirai ce que je pense : Si saint Pierre est prince des apôtres, ce n’est pas parce qu’il a renié, et si David a été prophète, ce n’est pas parce qu’il a été adultèie. 1) (P. Z.., CXLIV,."ÎIS-SIG).

Bossuet, dans sa Defcnsin Cleri gaUicani, 1. II, c. viii, n’a pas manqué de signaloi’ce clocument, qui d’ailleurs fait le tourment des théologiens : le saint ayant bien l’air de déduire de ses ]>rincipes des conclu-ions nettement gallicanes. Aussi Baronius n’a-t-il pas craint d’écrire que la lettre à l’évéque de Kerino « est en pleine opposition avec les dogmes catholiques », cui catholica dogjttata penilus adi’crsantur (Annales, I. XI, an. 1053, p. IStO).

D’autres, plus bienveilianls. comme le bénédictin Constantin Cajétan (P. L., CXLIV, 317 sq, ), ne veulent y voir ! que des exagérations oi’aloires et de simples apprécialions de faits, s.ins prétention doctrinale.

Sur le point qui nous occupe, ne j^eut*on penser que le I saint a en vue les représailles plutôt que la résistance h I une agression ? Il s’attaque en effet à ce qui n’est « pas f même permis à des laïques)>. Il parle de « se faire jus- | tice », de « rendre le mal pour le mal », de « venger » [ l’injure reçue ; toutes expressions qui dénotent une mesure I ^indicative, ad sumeitdam firidictam. et non pas une 1 simple mesure défensive, od tniurratii propulsandam. Quanti à la boutade sur saint Léon IX, elle est sans conséquence, f ou nous autoriserait à dire que, si saint Pierre Damien I est docteur de l’Eglise, ce n’est jms pour cette page.

II. En face des gouvernements de fait. — ] L’Eglise prêche la subordination aux pouvoirs établis, même dépourvus de cette légitimité qui dislingue les gouvernements de droit des gouvernemenlsj de fait. Cependant elle ne met pas ceux-ci sur lej même pied que ceux-là. Tout en traitant avec eux, l et en les reconnaissant pratiquement, tout en indi-l quant la nécessité de s’y soumettre, et de les accepterl