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INSTRUCTION DE LA JEUNESSE

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croire que soit directement, soit par rinterraédiaire d’un pédagofïueclirélien, sorte de répétiteur ail’ranchi ou esclave, qui dans les maisons riches accompagnait l’enfant en classe, beaucoup de parents suivaient de plus ou moins loin cet exemple.

Cependant, là où manquait l’inlluence de la famille, le paganisme dont l’enseignement était tout imprégné pouvait avoir ses dangers. Le père de saint Augustin n’était pas cbrétien ; son admirable mère, Monique, ne comprit que peu à peu l’étendue de ses devoirs, et dirigeaimparfaitemenl la jeunesse de l’étudiant. Ainsi livré sans contrepoids aux leçons du grammairien, puis du rhéteur, Augustin s’excuse d’avoir pris un plaisir trop vif aux impuretés de la mythologie et aux vanités de réloquence. Cependant, quand on regarde de près les passages de ses Confessions où il raconte ainsi ses études, on reconnaît que celles-ci ne produisirent dans son âme que des trjfcbles passagers, et que ni ses grandes erreurs d raëes, ni ses coupables écarts de conduite, ne leur sont dus. C’est même en faisant connaissance, à l’école du rhéteur, avec V/Iortensiiis de Cicéron qu’il commença à rentrer en lui-même et à désirer une vie meilleure. L’exemple de saint Augustin ne va donc pas contre ce qui vient d’être dit. Le milieu dans lequel il avait grandi était trop imparfaitement chrétien pour corriger et purifier l’enseignement public. Mais dans les familles plus com|)lètement réglées par la loi évangéliquc, celui-ci, à l’époque surtout où vécut saint Augustin, ne pouvait être bien dangereux.

Il l’était d’autant moins qu’après la cessation des persécutions et le triomphe de l’Eglise le nombre des maîtres chrétiens avait beaucoup augmenté. Parmi eux, il y avait des’chrétiens fervents, dont les leçons, bien que prenant leur texte dans les classiques païens, devaient tourner plutôt à l’apologie de la vraie religion. Tel fut certainement le père de saint Basile, qui enseignait la rhétorique à Césarée de Gappadoce, en même temps qu’il plaidait au barreau de cette ville ; tel fut Basile lui-même, que les habitants de Césarée appelèrent, après son retour d’Athènes, à la chaire de rhétorique oùavait professé son père ; tel fut son frère Grégoire de Nysse, qui, lui aussi, sera quelque temps rhéteur ; tel paraitavoir été pendant quelque temps aussi leur ami Grégoire DB Nazianzb ; tels les deux Apollinaires, dont l’un enseigna la grammaire, l’autre la rhétorique. On comprend quel était l’enseignement de tels hommes : à la fois très littéraire ettrès chrétien ; très littéraire, car ils avaient le sentiment de leur devoir envers leurs élèves, et d’ailleurs ils aimaient passionnément les lettres et l’éloquence ; très chrétien, puisque eux-mêmes étaient des chrétiens de premier ordre, engagés déjà dans la voie delà sainteté. Basile a d’ailleurs tracé le programme de cet enseignement dans son admirable homélie Sur ta manière de lire les auteurs profanes. Il apprend à ses auditeurs et à ses lecteurs comment on peut tirer des grands écrivains de l’antiquité non des leçons de volupté ou d’orgueil, mais celles de la plus haute morale, en faisant servir la sagesse humaine à commenter les préceptes ou les conseils de l’Evangile. C’est cet accord de la raison et de la foi qui doit être le but suprême et le fruit le plus précieux de l’éducation.

Non seulement à cause du grand nombre des professeurs chrétiens, mais plus encore peut-être à cause de la nature de leur enseignement, Julien l’Apostat essaya d’en restreindre la liberté. Il incrimine, dans son édit de 302, les gTammairiens, les rhéteurs et les sophistes qui expliquent les auteurs classiques sans en partager les croyances. Il leur reproche les propos qu’ils tiennent, dans leurs leçons, au sujet d’Homère, d’Hésiode et des autres poètes ouécrivains

du paganisme. Il les montre taxant ces auteurs (I d’impiété, de folie et d’erreur religieuse ». Ces reproches nous font juger delà nianièredont beaucoup de professeurs chrétiens faisaient leur classe. Ou a découvert un devoir d’élève, qui réfute la fable d’Adonis ; c’estévideinmentrécho de leçons de ce genre (voir Emile Jullien, Les Professeurs deliitéruturedans l’ancienne Home, iSSb, p. 305). Acette manière d’interpréter les classiques, Julien va déclarer la guerre. Il le fait d’abord d’une manière détournée, par une loi reconnaissant aux villes le droit, qu’elles ont toujours eu, de nommer les professeurs municipaux, mais exigeant que leurs choix soient soumis à sa ratification (Code Théodosien, XUl, iii, 5). Et il le fait ensuite ouvertement dansl’édit de 36a (Julien, /Tp. xlii), qui interdit l’enseignement aux professeurs qui persisteront à demeurerchrétiens.Cet édil fut réellement exécuté, car on voit après sa promulgation beaucoup de professeurs descendre de leurs chaires, et parmi eux des hommes illustres comme le rhéteur Victori-Nus, à Rome, et le sophiste Proh.4.eresius, à Athènes. On sait avec quelle éloquence saint Grkgoihb DE Nazianzk a llétri cette blessure portée à la liberté de l’enseignement : « Sur aucun point, dit-il, Julien ne s’est montré plus haïssable : qu’avec moi s’indigne quiconque aime l’éloquence et appartient comme moi au monde de ceux qui la cultivent 1 » (Oralio IV, loo.)

La loi de Julien eut un double effet : elle montra une fois de plus la nécessité des classiques pour les études des élèves chrétiens, et elle prépara un nouveau triomphe de la liberté de l’enseignement.

Voyant les maîtres chrétiens privés du droit de commenter désormais dans leurs chaires les auteurs qui avaient fait, jusque-là, le fond de l’éducation, deux anciens professeurs, dont nous avons parlé, Apollinaire le père et Apollinaire le fils, entreprirent de les remplacer, à l’usage des chrétiens des pays grecs (car une tentative de ce genre ne fut pas faite dans le monde latin), par une littérature nouvelle. Ils s’associèrent pour mettre en odes les Psaumes, en épopée les livres de Moïse, en dialogues à la manière de Platon l’Evangile, et emprunter aux sujets sacrés la matière de tragédies et de comédies dans le style d’Euripide et de Ménandre. Mais ils apprirent à leurs dépens qu’une littérature classique ne s’improvise pas, qu’il y faut la consécration du temps et le suffrage de l’admiration universelle. Leurs essais furent vite oubliés : il faut lire sur ce sujet les belles et sages rélle-xions de l’historien ecclésiastique Sochate (Hist. eccL, III, xvi).

Vingt ans après la loi de Julien et la tentative des Apollinaires, saint Jérôme déclare que la lecture des comédies antiques, c’est-à-dire surtout de Térence, et celle des poèmes de Virgile est « nécessaire à l’éducation des enfants ii, in jiueris necessilatis est (saint Jérô.me, £/ ?. XXI, ad Damasum). Quand lui-même, en 386, fonda une école annexée à son monastère de Bethléem, il y commenta à ses élèves les poètes latins, et spécialement Virgile. Il y avait longtemps que la loi de Julien avait disparu. Elle ne dura qu’un an, et la mort de l’empereur apostat l’abrogea de fait. En 364, Valentinien la retira otriciellement.

« Quiconque, écrit-il, est par ses mœurs et son talent

digned’enseigner la jeunesse aura le droit, soit d’ouvrir une école, soit de réunir à nouveau son auditoire dispersé. » (Code Théodosien, XIII, iii, 6.) Il n’y eut pas de réaction : on laissa aux païens le droit d’enseigner ; mais on le rendit aux chrétiens. Et, en S’jô, l’empereur Gratibn rappela aux villes qu’elles avaient le droit de choisir librement leurs grammairiens et leurs rhéteurs, sans soumettre ce choix à la ratification impériale (Ihid., ii).