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INSTRUCTION DE LA JEUNESSE

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avaient usurpe la ilireclion de toute la politique, il restait encore aux ambitieux, surtout en province, une large carrière. La vie provinciale el municipale ne fut jamais aussi active que sous l’Empire, et elle offrait à chaciuc instant l’occasion de beaux discours. Ceux mêmes qui demeuraient les plus étrangers aux affaires publiques trouvaient l’occasion de se faire entendre, car en aucun temps on ne fut plus amateur de la parole, et il sullisait de l’annonce d’une lecture, d’une déclamation ou d une conférence pour faire accourir toute une ville. On était donc aussi porté ([ue par le passé aux études de rhétorique. Les écoles où elles se poursuivaient étaient tout oratoires. On s’y exerçait à parler sur des sujets imaginaires proposés [larb^ maître, quifaisait ensuite lacritiqueet donnait pour ainsi dire le corrigé des discours. Les Coiilro%(’rses de Sénèque et les Di’clainatioiis de Quintilien nous ont gardé un écho probablement tidcle des discussions qui retentissaient autour de la chaire du rliéteur(Ies textes juridiques lui donnent indilVéremment le titre de rlietor ou i.Vorator ; dans les villes grecques il porte celui de sophiste) et faisaient de sa classe un tribunal ou un forum en miniature.

L’école de rhétorique était le degré suprême de l’enseignement romain : ses professeurs, nous apprend Ausone, occupaient un rang social très supérieur à celui des grammairiens (et les grammairiens eux-mêmes un rang supérieur à celui du maître primaire, à qui les lois interdisaient de prendre le titre de professor). Non seulement ils préparaient les futurs chefs de la cité, mais encore ils devenaient au besoin les représentants de celle-ci, car, dès qu’elle avait besoin d’un député auprès du gouverneur de la province ou de l’empereur, c’est le plus souvent parmi les rhéteurs en renom qu’elle le choisissait.

Disons cependant que cette forme assez creuse de l’enseignement supérieur, bien que la plus répandue, n’était pas la seule qui existât dans l’Empire romain. En quelques villes il y avait des cours de philosophie, quiétaientdistincls des écoles de rhétorique ; en d’autres, on enseignait la jurisprudence ; beaucoup possédaient des écoles de médecine. Parfois les mêmes étudiants fréquentaient à la fois ces divers cours : si bizarres qu’elles soient, les causes imaginaires plaidées dans les écoles de rhétorique supi)Osent le plus souvent quelque connaissance du droit et quelque habitude des procès réels ; on voit au IV’siècle un des plus brillants élèves des rhéteurs d’Athènes s’asseoir sur les bancs de l’école de médecine.

Jusqu’au ii* siècle, les écoles de tout ordre paraissent avoir été privées. Les empereurs des dynasties Flavienne et Antonine commencèrent à rétribuer celles de Rome, et à transformer ainsi en professeurs publics les hommes qui y enseignaient. A leur exemple et avec leurs encouragements, beaucoup de villes fondèrent des chaires municipales de grammaire, de rhétorique, de médecine, et accordèrent un traitement aux professeurs. Mais, en concurrence avec cet enseignement public, qui était largement rétribué (vingt mille francs à Rome, neuf mille francs en province), exista toujours l’enseignement privé. Tout citoyen que sa conduite n’avait pas disqualifié pouvait ouvrir une école de l’un ou l’autre degré, et, à défaut du traitement odiciel, recevoir une rétribution de ses élèves. Parfois la lutte fut assez vive entre l’un et l’autre enseignement. Souvent la concurrence faite au premier par le second demeura victorieuse. L’autorité ollicielle, quelles que fussent ses préférences, n’intervenait jamais en faveur de celui qui pouvait se réclamer d’elle. On voyait alors telle chaire de l’Etat ou des villes délaissée, et la chaire rivale du professeur libre entourée de la foule des

élèves. On connaît l’histoire du sophiste Libanius, qui, s’étant vu préférer ()ar les autorités de Gonstanlinople un autre professeur, ouvrit une école, et lit aussitôt le vide dans celle de son concurrent. « C’est l’empereur qui le nourrit, disait-il ; moi, ce sont les parents de mes élèves qui me font vivre. » (Libanius, De fita : éd. Reiske, t. 1, p. ag.) En réalité, c’était la valeur des professeurs, ou la vogue qu’ils avaient su acquérir, ou même un simple caprice de la mode, qui faisait le succès et assurait selon les lieux et selon les moments la prédominance de l’un ou de l’autre enseignement. Mais les empereurs accordaient aux représentants de tous deux, sans distinction, une même exemption des plus lourdes charges publiques : ce privilège apparteiuiit aux professeurs libres aussi bien qu’aux professeurs qui touchaient un traitement de l’Etat (ciim salaria vel sine salaria. MoDESTiN, au Digeste, XXVII, i, 6, § ! 1 1).

L’instruction, on le voit, était fort répandue et l’enseignement donné à tous ses degrés dans les villes importantes de l’Empire romain. Des textes juridiques prévoient trois rhéteurs ou soj)liistes et trois grammairiens dans les petites villes, cinq rhéteurs et cinq grammairiens dans les grandes. Mais ce nombre était parfois très largement dépassé. En certaines cités, le groupement des écoles de toutes les catégories était assez considérable pour former de véritables universités. Il en est ainsi, pour la Gaule, à Bordeaux, à Toulouse, à Autun (ces universités avaient un chef, correspondant à ce qu’est chez nous le recteur ; mais il était beaucoup plus chèrement payé : celui d’Autun recevait par an 600 mille sesterces, équivalant à 120 mille francs), à Poitiers, à Vienne, à Trêves, pour l’Italie à Rome, à Milan, à Crémone, à Bergame, pour l’Afrique à Cartilage, pour l’Egypte à.Alexandrie, pour la Grèce à Athènes, par la Tlirace à Constantinople. Certaines universités, tout en donnant un enseignement général, avaient une célébrité particulière pour une branche de l’enseignement : les étudiants en droit fréquentaient de préférence Arles en Gaule ou Beyrouth en Syrie, les étudiants en philosophie trouvaient les meilleurs maîtres à Athènes, l’enseignement médical donné à Alexandrie avait une réputation universelle. A Athènes, les étudiants se divisaient par nations, comme dans le Paris du moyen âge, et leur turbulence effrayait les gens paciiiques. A Rome, on dut les mettre sous la surveillance de la police et exiger le départ de ceux qui étaient âgés de plus de vingt ans (Cade Théodosien, XIV, iv, 1, année 870). En Orient, la tolérance était plus large, car on vit des travailleurs tels que saint Grégoire de Nazianze prolonger leur séjour jusqu’à la trentième année, et fréquenter même successivement plusieurs villes universitaires.

Ces rnpides détails suffisent à montrer quel fut le régime de l’enseignement supérieur jusqu’au V siècle. En 4^5, on aperçoit une tentative pour le changer. Théodose II essaie de fonder à Constantinople une véritable Université d’Etat, composée de trente et un professeurs, qui auront le monopole de l’enseignement : l’ouverture d’écoles privées est désormais interdite, et les professeurs libres ne pourront plus donner de leçons que dans les familles des particu liers (Code Théodasien, XIV, ix, 3). Mais cette réforme est bornée à la seule ville de Constantinople : la liberté de l’enseignement paraît avoir subsisté dans le reste de l’Empire. Au moins en fut-il ainsi de l’Occident : ce que nous savons des études qui se faisaient dans les pays latins à la veille des invasions barbares nous montre un régime resté tout semblable à celui que nous avons décrit. On peut dire qu’en Occident, et particulièrement en