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INSTRUCTION DE LA JEUNESSE

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II. — MAITRES ET ECOLIERS CHRETIENS AU TEMPS DE L’EMPIRE ROMAIN

Quel fui, relalivemeut à l’enseignement public et privé, le rôle des chrétiens pendant les picniiers siècles, et particulièrement à l’époque des persécutions ? Comment, en ce temps, les maîtres chrétiens purent-ils professer ? Comment les élèves chrétiens purent-ils apprendre ? Et dans quelle mesure, par quels moyens, dans quel esprit l’enseignement et l’étudede ce qu’on appelait dès lors « les humanités », hiimaniores litterae, furent-ils possibles aux uns et aux iiutres ?

La question ne se poserait pas en ces termes, ou même ne se poserait pas du tout, si les premiers chrétiens avaient composé une secte de réfraclaires, hostiles aux institutions et aux lois romaines, ou s’étaient uniquement recrutés dans les classes inférieures de la population, indifférentes à la culture de l’esprit et préoccupées surtout du pain quotidien. Mais on sait

— et les études les plus récentes le démontrent chaque jour davantage — qu’une telle vue de leur histoire, inspirée par les calomnies de Celse, est tout le contraire de la vérité. A part qjielques esprits excessifs, et plus ou moins séparés de l’Eglise, les chrétiens des premiers siècles ont tout accepté de la civilisation romaine, excepté l’idolâtrie et les mauvaises mœurs : ils se montrent en toute occasion les loyaux sujets de l’Empire, paient exactement les impôts, accomplissent le service militaire. exercent tous les métiers honnêtes, gèrent même les magistratures quand ils le peuvent faire sans trahir leurfoi. El cette altitude, que révèle chaque page de leur histoire, montre bien qu’ils ne se composent pas seulement de petites gens, d’illettrés : ceux-ci étaient accueillis fraternellement dans l’Eglise, mais ils y rencontraient aussi des riches, des nobles, des savants : de très bonne heure la plus haute aristocratie romaine y fulreprésentée. La société chrétienne, même à l’aurore de la prédication apostolique, n’avait donc rien de réfractaire ou de barbare ; ses membres éprouvaient les mêmes besoins intellectuels que leurs compatriotes païens ; appelés à vivre de la vie de tous, les enfants des chrétiens ne pouvaient être privés de l’éducation commune.

Mais comment y participaient-ils sans danger pour leur moralité ou pour leurs croyances ? Tel est le problème que nous devons examiner.

Pour le faire bien comprendre, il convient de dire en quelques mots comment était organisé l’enseignement dans le monde romain.

I. Liberté et organisation de l’enseignement.— Deux traits le caractérisent.

L’un est la complète liberté dont il a joui depuis la fin de la République. Les premières leçons des rhéteurs grecs et latins avaient soulevé les protestalions du Sénat d’abord, des censeurs ensuite, gardiens sévères de l’antique simplicité (Slétone, De Claris rhetorihus, i). Mais ces protestations étaient demeurées à peu près sans effet. Dans une page, malheureusement incomplète, de son traité De In /{<publique, Cicéron constate que, à la différence de ce qui se passait chez les Grecs, l’éducation des enfants n’était à Rome réglée par aucune loi, soumise à aucune direction de l’Etat, et astreinte à aucune uniformité : il considère cette liberté et cette diversité comme l’effet d’une sage prévojance et voit en elles une des causes de l’heureuse paix dont jouissent ses concitoyens. Considerate mine cetora qiiam sint protisa sapienter ad illam civium lieate et lionesle vivendi societatem… Principio disciptiimin pueritcni…niillam cote mit desliiuilam legibus, aut publiée expositam,

aut unain omnitnn esse yoluerunt…{De llepublica^W, iii). La liberté de l’enseignement ne reçut aucune atteinte jusqu’au jour ou Julien l’Apostat, au milieu du IV siècle, essaya sans succès de la restreindre.

L’autre trait earaclérislique est la division de l’enseignement romain en trois ordres : primaire, secondaire et supérieur. Celle division est si raisonnable, si bien apjjropriée aux besoins des esprits, qu’elle a traversé les siècles, et se retrouve à peu près identique dans la société moderne.

Le premier degré a même conservé le nom dont on le désignait sous lesRomains.car l’instituteur chargé de donner aux enfants du peuple l’instruction dont ils se contentaient alors et se contentent encore aujoiu’d’hui, s’appelait l’instituteur primaire, primus magister (ou encore ludi mcigister, ou même litterator, dans le sens de celui qui enseigne les lettres de l’alphabet). Dans ces écoles, qui paraissent avoir été mixtes, c’est-à-dire fréquentées à la fois par les deux sexes (il s’agit ici des écoles primaires, car il n’est pas probable que les jeunes filles aient eu accès à l’école du grammairien ou du rhéteur), on enseignait à lire, à écrire et à compter. Les écrivains latins, et même quelques peintures, nous permettent de nous faire une idée de la diseii>line qui y régnait : cette discipline était rude, et le fouet y jouait son rôle. Elle n’était point, d’ailleurs, sans résultats, car, bien que nous ne possédions sur ce sujet aucune statistique (les anciens n’en faisaient guère), cependant nous pouvons constater que l’instruction primaire était fort répandue, et qu’un grand nombre de gens savaient lire et même écrire. On n’aurait pas multiplié dans le monde romain les inscriptions officielles ou privées avec une extraordinaire profusion, si les foules n’avaient été capables de les comprendre : el la multitude d’inscriptions incorrectes, tracées grossièrement, pleines de soléeismes ou de fautes d’ortliograpUe, qui se voient à Pompéi et ailleurs, montre que beaucoup de gens du peuple et même d’enfants étaient capables d’écrire. Dans les armées romaines, le mol d’ordre, au lieu d’être donné de vive voix, était inscrit sur des tablettes que l’on passait de rang en rang : cela ne se serait pas fait si le plus grand noud)re des soldats n’avait pas su lire. Peutêtre les illettrés étaient-ils moins nond)reux dans l’armée romaine que dans nos armées modernes, bien que l’instruclion obligatoire établiechez nous n’existât pas à Rome. En réalité, le développement de l’inslruction dépend des mœurs, et non des lois.

Beaucoup s’arrêtaient à ce premier stade : mais les enfants de la noblesse et de la bourgeoisie. — même de la très petite bourgeoisie, comme celle à laquelle appartenait le père d’Horace — recevaient l’enseignement secondaire. Celui-ci était donné dans les écoles des grammairiens ; c’est sous ce nom qu’étaient connus ses professeurs. Il consistait surtout dans lu lecture et le commentaire des écrivains classiques grecs et latins, c’est-à-dire des poètes, deshisloriens et des moralistes : on y joignait quelques éléments de géométrie et de musique. Non seulement les exercices oraux, mais encore la rédaction, les devoirs écrits, entraient pour une grande part dans les études de cet ordre.

Cette formation un peu factice, et à laquelle manquaient beaucoup des notions que nous considérons maintenant comme nécessaires, conduisait les étudiants plus ambitieux jusqu’à l’école de rhétorique. Celle-ci avait principalement pour but la préparation inuuédiate à la vie publique par l’apprentissage pratique de l’éloquence. On s’élonnera qu’elle ait duré pendant tout l’Empire, époque oii précisément on s’imagine qu’il n’y avait plus de vie publique. Mais c’est là une idée très inexacte. Si les empereurs