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FOI, FIDEISME

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lions pourront être invoquées en témoignage île l’existence et de l’essence de Dieu. >> Eh I qui donc prétendrait le contraire ? Mois voyons où l’auteur veut en venir. « S’agil-il, par exemple, d’un miracle, d’un lait physique contrevenant aux lois de la physique, les savants ne devront l’admettre qu’à la dernière extrémité, s’ils ont pu provoquer ou observer accidentellement un fait semblal)le. » Page 331. Ici, les notions se brouillent. Qu’entend-on au juste par

« lois de la physique », et en quel sens veut-on que

le miracle contrevienne aux lois de la ijhysique ? Un miracle est contre le cours ordinaire des choses ; il impli<iue donc l’inlcrvention d’une force autre que celles qui interviennent d’ordinaire en cas senililablc ; mais cette intervention n’implique pas plus une contravention aux lois de la physique que l’intervention d’une main qui lance une pierre en haut ou qui l’emi)ôche de tomber en la retenant, par exemple, avec un CI invisible. C’est une force d’un autre ordre, c’est vrai, une force d’ordre spirituel ; mais puisque nous admettons des forces psychiques, une influence de l’àme sur le corps, pourquoi n’admettrions-nous pas l’action d’une cause spirituelle sur le monde des corps ? Toute la question, comme le disait fort bien Stuart Mill, et comme le proclamait aussi Huxley, revient à savoir si l’on peut admettre Dieu et les forces spirituelles. Tant qu’on n’aura pas démontré qu’il n’y en a pas, on n’aura pas de raison qui vaille contre le miracle.

La suite aussi a besoin d’explication : « Les savants ne devront l’admettre qu’à la dernière extrémité. » Soit, si par là on veut dire que le fait doit être vérifie avec soin : y a-t-il bien une pierre qui monte ? y at-il bien là une pierre qui ne tombe pas ? A cette vérification, le savant, le spécialiste sera quekfuefois plus apte qu’un profane ; il ne le sera pas tou.jours, pour un fait d’observation vulgaire, oùil sulhtd’avoir des 3’eux ou des oreilles ; qui ne sait les illusions naïves ou les distractions étranges des savants, qui seuls se trompent là où nul n’est dupe ? Mais accordons que le savant soit plus apte qu’un autre à vérifier le fait, et que le fait soit si étrange qu’il ne doive êlre admis « qu’à la dernière extrémité > comme quand il s’agit d’un mort qui revit, d’un aveugle qui voit. On ajoute : « S’ilsontpu provoquer ou observer accidentellement un fait semblable. » La condition n’est pas raisonnable. Le fait miraculeux n’est-il pas, par hypothèse, un fait qu’on ne provoque pas ? L’astronome ne provoque pas une éclipse pour l’étudier : il ne poU que l’attendre, et, s’il a pu la prévoir, se mettre en observation. A Lourdes, où le cas exceptionnel est devenu si fréquent, on a un bureau de constatations, tout prêta contrùlerles faits sur place. Mais pourquoi veut-on qu’un savant ait pu « observer accidentellement un fait semblable » ? De quelle science parle-t-on ? Faut-il’être médecin pour constater qu’un tel était aveugle de naissance ? Faut-il être médecin pour constater qji’un tel voit maintenant ? Et s’il n’est pas besoin d’être « savant » pour constater le fait par soi-même, de quelle science parle-t-on quand il s’agit de critiquer la certitude du fait ? Suivons l’auteur dans ses applications. « La mer s’est-elle retirée pour livrer passage à un groupe d’hommes ; des pains se sont-ils multipliés par la volonté de Dieu prenant la forme humaine, ils répondent : nous le croirions si nous l’avions constaté nous-mêmes, par nos moyens propres d’observation ; car il y a plus de chancespour que les récits de ces faits soient légendaires, inexacts (volontairement ou non) qu’il n’y en a pourqu’vine loi naturelle soit renversée en faveur de quelques hommes. » Accordons, ici encore, qu’on peut être plus dillicile pour les cascxceptionnels, ([u’il faut être en garde contre la légende et

l’amour du merveilleux. Mais ce sont là des conditions générales de critique historique ; et rien n’empêche a priori, pour qui ne repousse pas a priori le surnaturel, qu’un fait merveilleux puisse être constaté historiquement. Il ne s’agit pas ici de vraisemblances, mais de faits positifs ; ni de cas probables, mais de cas certains.

S’il est possible de constater de i’/s « un fait merveilleux, on ne peut nier qu’il soit possible de le constater aussi ex aiiditu, et par les moyens ordinaires du téuioignage humain : la nature du fait ne change pas, de soi, les conditions de transmission.

« La méthode scientifique, continue le critique, 

page 332, ne permet pas de tenir pour vraie une assertion qui ne peut être scienliliquement contrôlée. » D’accord, mais le contrôle scientifique n’est pas nécessairement le renouvellement personnel de l’expérience : les savants tablent continuellement sur les expériences d’un collègue, quand ce collègue mérite confiance dans tel cas donné. La science même est impossible sans ce crédit fait aux expériences d’au-Irui. On ajoute : « A supposer même que le fait affirmé soit réel, sa réalité n’a pas été démontrée scientifiquement et, partant, n’est pas valable pour des savants jusqu’à ce qu’ils aient pu eux-mêmes l’établir. » Il y a ici plus d’une confusion : confusion entre la question de constatation directe et celle de transmission ; confusion par là même entre la question de réalité scientifique et la question de certitude historique. Si nous supposons que le fait afiîrmé est réel, sa réalité, sans être pour /lous olijet direct de constatation expérimentale, a pu être « démontrée scientifiquement » pour lestémoinsoculaires. Ces témoins oculaires, s’il s’agit de faits anciens, ne sont pas des savants de notre siècle. Mais faut-il être un savant de notre siècle pour constater expérimentalement, dans un cas donne, tpie tel personnage était aveugle, que tel personnage voit, et que c’est le même qui était aveugle et qui voit ? Mais qui nous allîrme que le fait n’a pas été dénaturé ? C’est l’aivtre question, celle lie la transmission historique. Pourquoi tel fait particulier n’aurait-il pas pu nous être transmis aussi bien que tel autre pour lequel nul ne doute’? Mais il est merveilleux ! Cela ne fait rien à l’alTaire, et nous pouvons supposer des conditions telles que le merveilleux du fait soit plutôt une garantie pour la transmission. Rien ne met le fait merveilleux en dehors des conditions du fait scientifique ordinaire ; et nous ne demandons aux savants que d’appliquer leurs méthodes positives ici comme ailleurs sans a priori ni préjugé. Sully Prudhomme n’a donc pas le droit de conclure que « la voie par laquelle M. l’abbé Guthlin arrive à tenir pour vrai ce qui, à leurs yeux, demeure douteuxjvisqu’à plusample informé, n’est… pas la voie scientifique » ; et pas n’est besoin, pour soutenir le contraire, de prêter à ce n qualificatif un sens différent de celui qu’ony attachecommuncmcnt aujourd’hui ». Page 332.

Nous n’avons pas à discuter ici la question du miracle et de sa valeur probante en apologétique ; mais nous devions suivre Sully Prudhomme dans ses elTorts pour démontrerque « les deux voies vers l’inconnu, celle que suit la méthode scientifique et celle que suit l’acte de foi, ne se rencontrent pas et demeurent parallèles ». S’il ne parlait que de l’acte de foi proprement dit, nous pourrions laisser passer l’assertion. Mais comme sa pensée porte autant sur les préambtiles de lafoique sur l’acte de foi lui-même pour refuser à la foi tout appui et tout contact du côté de la science et de la raison, nous avons du examiner son dire. Nous venons de voir qu’il n’est pas justifié. Le critique ajoute des remarques utiles sur