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INQUISITION

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toutefois leur faire perdre un membre ou mettre leur vie en danger. » (HuUarum amplissima tullectio, III, p. 3-26.) Celle conslitulion promulsfuanl plusieurs règles de l’Inquisition en Homagne, Loiubardie et dans la Marche de Trévise, fut conlirniée par Albxan-DRB IV, le 30 novembre 1269, et Clkmknt IV, le 3 novembre 1265 (PoTTiiAST, 1-714 et ir)433). Les inquisiteurs, d’ailleurs, n’avaient pas allendu ces décisions pontiticales pour faire usage de la torture, puisque nous en avons des exemples dans le midi de la France dès 12^3 (Douais, Ducnments, p. ccxi.).

L’emploi de la torture dans les procès d’hcrcsie est d’autant plus étonnant que jusqu’alors l’Eglise s’était efforcée de faire disparaître de toute procédure criminelle cet usage barbare. Dès le ix" siècle, le pape Nicolas 1=, répondante une consultation des Bulgares, avait réprouvé ce moyen cruel d’enquête (Labbk, Concilia, VIII, 5/|4) qui. disait-il, » n’était admis ni par les lois divines ni par les lois humaines ; car l’aveu doit être spontané et non arraché par la violence » ; et reprenant cette formule, le Décret de Gralien, code de la procédure canonique du xii" siècle, disait : « Confe.isio non eitorqueri deliet scd potins sponte profiteri. »

Deux raisons expliquent historiquement la réapparition de la torture dans le droit canonique. Elle était déjà d’un usage courant dans les tribunaux séculiers. .Vvec la renaissancedu droit romain, dit Lk.i, " les légistes commencèrent à sentir le besoin de recourir à la torture comme à un moyen expéditif il’informalion. Les plus anciens exemples que j’ai rencontres se trouvent dans le Code Véronais de 1228 et les Constitutions siciliennes de Frédéric II en I231 » (Histoire de l’Inquisition, 1, p. 4j’)- L’Inquisition du xiu" siècle ne lit donc qu’emprunter la torture aux juridictions laïques ; elle subit sur ce point l’induence de son temps. Ce qui l’y poussa, ce fut la gravité du péril que l’hérésie faisait courir à l’Eglise et à la société, et la nécessité d’y remédier avec eflicacité et rapidité. Sans prétendre le moins du monde justifier ce cruel usage, rappelons que des siècles fort civilisés, tels que le xvii’et le xviii’, l’ont trouvé naturel, et qu’il a fallu arriver jusqu’à Louis XVI pour le voir enfin disparaître de nos lois françaises.

A la décharge de l’Inquisition il faut dire qu’elle employa la torture, non pas avec cette cruauté rallinée que lui prêtent ses adversaires, mais avec les plus grandes précautions et dans des cas tout à fait exceptionnels. Les papes répétèrent à plusieurs rejirises que la torture ne serait jamais poussée jusc)u’à la perte d’un membre et encore moins jusqu’à la mort, citra membri diminntionem et mortis periculum, et ainsi ils fixaient une limite à ses rigueurs.

D’autre part, les manuels des inquisiteurs faisaient tous remarquer que la question ne devait être inlligcc que dans des cas fort graves et lorsque les présomptions de culpabilité étaient déjà fort sérieuses. i< D’une manière générale, pour mettre quelqu’un à la torture, il était nécessaire d’avoir déjà sur son crime ce qu’on appelait une demi-preuve, par exemple deux indices sérieux, deux indices véhéments, selon le langage inquisitorial, comme la déposition d’un témoin grave, d’une part, et, d’autre part, la mauvaise réputation, les mauvaises mœurs ou encore les tentatives de fuite (de Cadzons, op. cit., II, p. 287, d’aprèse Dircdoriuni d’EYMFRTc). Elle n’était infligée que lorsque tous les autres moyens d’investigation étaient épuisés. Enfin on ne laissait pas à l’arbitraire de l’inquisiteur, excité peut-être par la recherche de la vérité, le soin de l’ordonner. Le concile de Vienne de 13Il décida qu’un jugement devrait intervenir pour cela et que l’évêque diocésain participerait à la

sentence qui serait rendue dans ce cas (Clément. V, m, 1) et aurait à lui donner son consentement.

Dans ces conditions, l’Inquisition n’eut recours que fort rarement à la torture. Dans le midi de la France où elle fut si active au xiii* et au commencement du XIV’siècle, elle l’employa si peu que les historiens ses ennemis en ont été désagréablement surpris, et ont dû supposer — sans en fournir la moindre preuve

— que l’emploi de la torture était mentionné dans des registres spéciaux aujourd’hui perdus. « Il est digne de remarque, déclare Lea, que dans les fragments de procédure inquisitoriale qui nous sont parvenus, les allusions à la torture sont singulièrement rares… v DAnsles s i.r cent trente-si j-senlences inscrites au registre de Toulouse, de 130y à 1323, la seule mention qui en soit faite est dans le récit d’un seul cas. Il est possible que des cas de torture aient été omis dans ces procès-verbaux ; car quoi qu’en dise Mgr Douais (Documents, p. ccxi.) Bernard Gui parle de la question dans sa Practica, et s’il conseille d’y avoir parfois recours (talis potest questionari… ut t’eritas eruatur), c’est apparemment qu’il a dû lui-même s’en servir de iSog à 1323. Mais le laconisme des documents nous est un indice fort sérieux du caractère tout à fait exceptionnel de l’emploi de la torture en Languedoc. On a fait les mêmes constatations en Provence, en France et dans les pays du Nord. Que deviennent alors les déclamations traditionnelles et les gravures sensationnelles sur les tortionnaires de l’Inquisition ?

On a vivement reproché à la procédure inquisitoriale l’interdiction qui était faite aux avocats de prêter leur ministère aux hérétiques, et on en a pris prétexte pour s’apitoyer sur ces prévenus qui étaient seuls sans défense, en face d’inquisiteurs retors et de tortionnaires ratlinés. Là encore, une mise au point est nécessaire. Quelles qu’aient été les raisons qui ont fait interdire aux avocats d’assister les hérétiques, nous n’hésitons pas à déclarer qu’elles constituaient une atteinte au droit sacré de la défense, et par cela même un grave abus. C’est aussi ce que l’on ne tarda pas à comprendre, et peu à peu dans la pratique, en fait sinon en droit, les avocats parurent à côté des accusés, devant les tribunaux de l’Inquisition. C’est ce que déclare Eymeric dans son Directorium en parlant de l’accusé : Dejensiones juris sunt ei concedendae et nultatenus denegandae. Et sic concedentur sibi adxocatus. probus tamen et de legalitate non suspectas, c/r utriusque juris peritus et fidei zelator, et procurator pari forma (Directorium, p. 446). Ce passage est précieux : car Il nous prouve qu’au xivc siècle, les prohibitions faites par Boniface VIII et le droit inquisitorial du xiii* siècle aux avocats et aux procureurs (avoués), étaient tombées en désuétude et qu’ils pouvaient assister les prévenus accusés d’hérésie. Les registres de l’Inquisition nous montrent des procès où figurent des avocats. Dans un procès fait à un moine de Saint-Polycarpe, Raymond Amiel, par Guillaume Lombard, inquisiteur délégué par le pape Benoît XII, le prévenu demanda un avocat et le juge le lui accorda ; et c’était quelques années à peine après la prohibition portée par Boniface VIII ! (de Cauzons, III. p. 190 note.) Dans les comptes de procès d’Arnaud Assaillit, se trouve la mention des honoraires dus aux défenseurs de l’accusé : ».Magistris Guillelmo de Pomaribus et Francisco Dnminici adi’ocatis, pro labore el patrocinio ipsorum (Doat, XXXIV, f 217). Ces textes nous prouvent qu’il ne faut pas prendre toujours à la lettre les prescriptions rigoureuses du Code et que l’équité naturelle des inquisiteurs sut souvent atténuer, dans la pratique, les articles qui heurtaient le bon sens et l’humanité.

Ils y furent entraînés par les assesseurs qui les