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INQUISITION

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secret de réunions occultes. Ils étaient hérétiques manifestes ; car ils manifestaient leur hérésie par des actes chaque fois qu’ils en avaient l’occasion ; mais le plus souvent, ils dissimulaient ces manifestations par crainte de poursuites et ainsi, tout en étant des hérétiques manifestes, ils devaient être recherchés et convaincus lorsqu’ils niaient les faits relevés contre eux.

Ainsi reste vraie la distinction établie par M. de Cauzons à la suite de la plupart des historiens de l’Inquisition : la pensée hérétique restait libre ; mais la manifestation de l’hérésie dans le domaine religieux et social était punie, parce qu’elle constituait un danger public.

On s’est élevé avec indignation contre l’Inquisition parce qu’elle refusait de livrer les noms des dénonciateurs et des témoins à charge, et de les confronter avec l’accusé. i< L’accusé, écrit Lea, était jugé sur des pièces qu’il n’avait pas vues, émanant de témoins dont il ignorait l’existence… L’inquisitem- pouvait se permettre sans scrupule tout ce qui lui semblait conforme aux intérêts de la foi. i- (Ilisloire de l’In<j ! iisitiuii, I, p. iyS. Voir aussi l’indignation deM.Cu. V. L.^^NGLOis, dans L’Inquisition d’après des traïaiijrécents. )

< Celte coutume, observe avec raison M. de Cadzons, n’avait pas été imaginée pour entraver la défense des prévenus ; elle était née des circonstances spéciales où l’Inquisition s’était fondée. Les témoins, les dénonciateurs des hérétiques avaient eu à souffrir de leurs dépositions devant les juges ; beaucoup avaient disparu, poignardés ou jetés dans les ravins des montagnes par les parents, les amis, les coreligionnaires des accusés. Ce fut ce danger de représailles sanglantes qui lit imposer la loi dont nous nous occupons. Sans elle, ni dénonciateurs ni témoins n’eussent voulu risquer leur vie et déposer à ce prix devant le tribunal. » Quand on pense aux nombreuses vendettas que les dépositions en justice amènent en Corse et en Italie, à la difficulté que les tribunaux rencontrent parfois à obtenir des dépositions de témoins oculaires refusant de parler par crainte de la vengeance des accusés, de leurs amis et de leurs parents, on s’explique, dans une certaine mesure, cette pratique de l’Inquisition ; cars’il est bon de respecter les droits de la défense, il n’est ni moins bon ni moins juste de sauvegarder la sécurité des témoins dont les dépositions permettent à la justice de s’éclairer. Il y a, dans ces cas, conflit entre deux inlcrcts également graves ; notre législation sacrilie l’un à l’autre, en livrant à la défense les noms des accusateurs et des témoins à charge ; l’Inquisition a essayé de les concilier.

Ce n’était pas enelîel en toute circonstance, comme semble l’indiquer l’affirmation absolue de Lea, que l’Inquisition gardait secrets les noms des dénonciateurs et des témoins : c’était seulement lorsque, à le faire, il y aurait eu danger pour eux ; et c’est ce que reconnaît Lea lui-même, quelques lignes plus loin.

« Lorsque Boniface VIII incorpora dans le droit canonique

la règle de taire les noms, il exhorta expressément les évêques et les inquisiteurs à agira cet égard avec des intentions pures, à ne point taire les noms quand il n’y avait point de péril à les communiquer, et à les révéler si le péril venait à disparaître. En i ^gg, les Juifs de Rome se plaignirent à Boniface que les inquisiteurs leur dissimulaient les noms des accusateurs et des témoins. Le pape répliqua que les Juifs, bien que fort riches, étaient sans défense et ne devaient pas être exposés à ropi)ression el à l’injustice résultant des procédés dont ils se plaignaient… en lin de compte, ils obtinrent ce qu’ils demandaient, n (Lka, op. cit., p. 494-) Il en était de même des confroutations ; elles étaient supprimées quand il j- avait,

à les faire, péril pour les témoins j on y procédait lorsque le danger n’existait pas ou avait disparu. C’est ce qui explique que, dans le procès de Bernard Délicieux, en 131 g, seize témoins sur quarante furent mis en présence de l’accusé (Ihid.).

Même pour les cas où il n’y avait ni confrontation des témoins ni communication de leurs noms, il est injuste de dire, avec Lea, que « l’inquisiteur pouvait se permettre sans scrupule tout ce qui lui paraissait conforme aux intérêts de la foi ». D’abord, l’inquisiteur n’était pas seul à connaître les noms, même quand il ne les livrait pas aux accusés. U les communiquait forcément aux notaires, aux assesseurs, en un mot, à tous les auxiliaires qui avaient le devoir de contrôler les actes de l’inquisiteur et de les dénoncer, s’ils étaient coupables ou irréguliers, au pape, aux évêques, aux dignitaires des ordres mendiants. Dans sa bulle Licei ex omnibus, du 16 mars 1261, Urbain IV faisait un devoir de donner ces noms à un certain nombre de personnes qui devaient assister le juge dans la procédure et le jugement : ipsoi um nomina non publice sed secrète, coram aliqiiibus personis providis et honestis, religiosis et aliis ad hue tocatis, de quorum consilio ad sententiam vel condemnationem procedi ohimus, exprimentur (Corpus juris canonici ; Sexte, , il, io). Ces personnes honnêtes et discrètes formaient une sorte de jury qui appréciait la valeur des témoins el de leurs témoignages ; leur appréciation suppléait, dans une certaine mesure, au contrôle de la publicité. Enfin, Mgr Douais fait remarquer, d’après les documents qu’il a lui-même publiés, « que le prévenu était invité à faire connaître s’il avait des ennemis mortels ; si oui, il devait le prouver, dire pourquoi et les désigner par leur nom ; ils étaient aussitôt récusés et écartés de la cause » par l’inquisiteur ou a les personnes honnêtes et discrètes » qui l’assistaient (L’Inquisition, p lyS). Afin d’enlever aux témoins la tentation de profiter du m38tère où on les tenait pour chargerdes innocents, de graves pénalités frappaient les fausses dépositions, a Quand on démasquait un faux témoin, dit Lea, on le traitait avec autant de sévérité qu’un hérétique. » Après toutes sortes de cérémonies humiliantes, a il était généralement jeté en prison pour le reste de sa vie… Les quatre faussaires de Narbonne, en 13a8. furent considérés comme particulièrement coupables parce qu’ils avaient été subornés par des ennemis personnels de l’accusé ; on les condamna à l’emprisonnement perpétuel, au pain et à l’eau, avec des chaînes aux mains et aux pieds. L’assemblée d’experts tenue à Pamiers, lors de Yauto de janvier iSag, décida que les faux témoins de raient non seulement subir la prison, mais réparer les dommages qu’ils avaient fait subir aux accusés » (Lea, op. cit., 1, P- 499).

Pour ameuter contre l’Inquisition les fureurs de l’opinion publique, on a insisté de toutes manières sur la torlure qu’elle infligeait aux prévenus ; les romanciers, les historiens anticléricaux, les artistes eux-mêmes nous ont montré les bourreaux s’acharnant avec des raffinements de cruauté contre les malheureux prévenus, sous les regards haineux de prêtres et de moines. II faut nous garder à ce sujet de toute exagération, et pour cela, il nous suflit de laisser parler les textes.

Il est certain que la procédure inqiiisitoriale a fait appel à la torture pour arracher des aveux aux accusés. Elle fut ordonnée par la bulle ^4d extirpandu du pape Innocent IV, en date du 15 mai ia5a. « Le podestat ou le recteur de la cité, disait-elle, sera tenu de contraindre les hérétiques qu’il aura capturés à faire des aveux el à dénoncer leurs complices sans