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INQUISITION

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encore plus dans les conséquences sociales qui en découlaient logiquement et qu’on en tirait pratiquement, qu’il faut chercher la raison de cette répression des hérétiques par le pouvoir séculier.

Le néo manichéisme a été la grande hérésie, ou plutôt la doctrine antichrétienne des xi", XII’et xiir siècles. Ce sont toujours ses adhérents qui sont désignés, selon les pays, par les noms variés d’AriunI, de Passagii, de Poplicani, de Patareni, de Josephini, etc. ; c’est leur secte qui est visée quand on parle de ces hérétiques qui nient l’Eglise, le baptême, les sacrements et surtout le mariage, et déclarent criminel l’usage de la nourriture animale. Il est à croire que, si leurs docteurs avaient erré sur l’Eucharistie comme Bérenger de Tours, sur la grâce ou tel autre dogme particulier, l’émotion qu’ils auraient causée n’aurait pas dépassé le cercle des théologiens et l’enceinte des écoles.

Mais le calharisme n’a pas été, comme les hérésies qui l’ont précédé, l’interprétation hétérodoxe de tel ou tel dogme chrétien ; il a été un système religieux complet, avec sa conce[ition propre de la vie présente et de la vie future, du monde, de l’homme, de la divinité et de la destinée humaine, avec sa morale individuelle et sociale, avec ses idées politiques. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait heurté de Iront l’ordre social du moyen âge, établi sur le christianisme. Bien plus, sa conception profondément pessimiste de la vie l’a dressé contre tout ordre social.

Quelles que soient les manières diiféi’entesdont les chrétiens ont essayé de mettre en pratique leur idéal, selon la diversité des tempéraments, des vocations et des circonstances, on peut cependant résumer en quelques propositions la tliéorie que l’Eglise nous présente de la vie, de sa valeur et du but vers lequel elle doit tendre. A ses yeux, l’homme est de passage sur cette terre ; le temps qu’il } vit est une épreuve. Incliné vers le mal par les mauvais instincts de sa nature viciée, les séductions et les inlirmités de la chair, les tentations du démon, il est appelé au bien par la loi divine, les bons instincts que la chute originelle n’a pas pu faire complètement disparaître en lui ; et dans cette lutte, il est soutenu [lar ce secours divin tpi’il sullit de demander pour l’avoir, cpii multiplie les forces de la volonté humaine sans détruire sa liberté et sa responsabilité, et qu’on nomme la grâce. La perfection consiste â triompher des mauvais instincts, de manière que le corps demeure ce qu’il doit être, lé serviteur de l’àme ; à subordonner tous les mouvements de l’âme â la charité, c’est-à-dire à l’amour de Dieu, de sorte que Dieu soit le principe et la (in de l’homme, de toutes ses énergies, de toutes ses actions. Pour cela, il faut accepter avec’résignation les épreuves de l.i vie et faire de toutes les circonstances au milieu desquelles on se trouve des occasions de perfectionnement et de salut. Qui ne voit, dès lors, (|ne [)onr le chrétien la U : a un prix inllni, puisipi’elle lui fournit le moyen d’acquérir la sainteté et la vie éternelle qui en est la conséquence ?


Tout autre était l’idée de la vie que le Manichéen tirait de sa conceplicm de Dieu et de l’Univers. Procédant à la fois des ilcux jirincipes éternels, le Bien et le Mal, par une double création, l’homme est une contradiction vivante : l’âme et le corps ne peuvent jamais se concilier, cl prétendre les mettre en harmonie est aussi absurde que île vouloir unir des contraires, la nuit et le jour, le Bien et le Mal, Dieu et Satan. Dans le corjis, l’àme n’est i|u’une ca])tive, et son supplice est aussi grand (|nc celui de ces malheureux qu’on altachnil jadis à des cadavres ! Elle ne retrouve la paix <iu’en repnuianl possession de sa vie spirituelle, et elle ne peut le faire que par sa sépara tion d’avec le corps. Le divorce de ces deux natures inconciliables, c’est-à-dire la mort, la mort non seulement subie et acceptée avec résignation mais embrassée, mais provoquée connue une délivrance, est le premier pas vers le bonheur. Tout ce ijui la précède et la retarde n’est que misère et tyrannie.

Avançant l’heure de la liberté et faisant disparaître au ])liis tôt le cauchemar aussi vide qu’odieux de l’existence, le suicide était la conséquence directe de pareils principes ; le grand devoir de la vie, et à vrai dire le seul, était de la détruire Chez les Cathares, dit Mgr Douais (Les Albigeois^ p. 203), le suicide était, pour ainsi dire, à l’ordre du jour. On en vit qui se faisaient ouvrir les veines et mouraient dans un bain ; d’autres prenaient des potions empoisonnées ; ceux-ci se frappaient eux-mêmes. VEndura semble avoir été Je mode de suicide le plus répandu chez les Albigeois. Nous en avons cité un certain nombre de cas, dans notre préface du Cartutaire de Prouille, d’après les documents publiés par Dôllin-GKn. Ils étaient assez fréquents pour que la Practica de l’inquisiteur Bernard Gri contint une sentence p, articulière de condamnation contre les hérétiques qui avaient tenté de se tuer et d’ajouter ainsi au crime d’hérésie, le crime de suicide. L’Endura n’en resta pas moins une exception. Dans le catalogue des erreurs cathares dressé par les Inquisiteurs, la pratique du suicide n’est pas même mentionnée ; d’autre part, elle est rarement citée dans les dépositions, et nous devons en conclure que les docteurs cathares, tout en proclamant la beauté du suicide, n’osaient pas en prêcher à tous l’usage. L’instinct de la conservation, cl peut être aussi une certaine conception fataliste de la vie, tempéraient chez la j)lupart de leurs adeptes la brutale logique qui les aurait portés à la mort.

Si tous les Cathares ne se tuaient pas, ils n’en croyaient pas moins de leur devoir de tarir le plus possible en eux et dans l’humanité tout entière les sources et les manifestations de la vie.

Le fakir de l’Inde qui, par l’intensité de sa contemplation, tombe ilans le nirvana, perd la conscience de sa propre existence. Si son âme est encore unie à un corps, du moins elle ne le sent pas. Elle a un avantgoiit des jouissances purement spirituelles qu’elle goûtera lorsque, redevenue esprit, elle sera séparée de lui. Les Cathares ne pensaient pas autrement : s’abstraire de la vie corporelle au point d’en perdre la notion, et ainsi, consommer déjà sur cette terre le divorce de l’àme et du corps, pousser jusqu’à l’insensibilité l’abstention déjà prêchée par les Sto’iciens, arrêter en tpielque sorte la vie physique, voilà le dernier tcrnii^ de la doctrine cathare, doctrine de mort s’il en fut ; car, si elle s’était généralisée, le principe même de la vie humaine aurait été détruit.

Assurément, tous les Cathares n’en arrivaient pas à un aussi haut degré de perfection manichéenne ; ils vivaient et même s’agitaient. Mais c’c’Iait i)ar une contradiction due à leur faiblesse. Ils n’en regardaient l)as moins comme leurs modèles et leurs saints ceux i)ui avaient touché les profondeurs du nirvana. Il s’en trouvait en Languedoc. Berbeguera, feiunie du seigneur de Puylaurens. alla voir par curiosité un de CCS Parfaits. « Il lui apparut, racontait-elle, comme la merveille la plus étrange. Depuis fort longliinps, il était assis sur sa chaise, immobile connue un tronc d’arbre, insensible à ce qui l’entourait. » (Douais, op. cil., p. 10.)

Piéprouvaut la vie de l’humanité, les Cathares la détruisaient, en condamnant le mariage, la famille et la génération.

Ce sont ces articles de leur doctrine que les documents signalaient unanimement : légitima cuniiidiii :