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FOI, FIDEISME

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tention des théologiens. S’ils dispiUent sur quelques détails accessoires, ils sont d’accord sur les points essentiels. Ils font appel à la grâce pour expliquer cette certitude, c’est vrai ; mais cet appel même, ou n’est pas nécessaire pour entendre que, dans les conditions concrètes où se trouvent l’enfant, l’ignorant, le païen, il est, pour eux, raisonnable de croire ; ou, si l’on veut qu’il soit nécessaire, il juslilie sullisamnient, aux| yeux mêmes de la raison, l’assentiment de foi.

On dira que, dans les mêmes conditions, l’enfant devra croire sa mère hérétique, musulmane, païenne ; et l’ignorant, son ministre ou son gourou. Si les conditions étaient exactement les mêmes (conditions particulières et conditions générales, circonstances extérieures et secours de grâce), l’enfant et l’ignorant feraient alors des actes de foi, et ces actes seraient prudents, raisonnables, assentiments vrais. Si elles ne le sont pas, ils ne font pas des actes de foi surnaturelle, et notre foi n’est pas en jeu.

En autres termes, la grâce intervient dans un cas, soit pour faire mieux voir les raisons de croire, soit pour les présenter à l’esprit ; dans l’autre, elle n’intervient pas. Si bien que des actes commencés dans des conditions identiques, du moins en apparence, se continuent et s’achèvent dans des conditions toutes différentes, suivant qu’on propose à l’enfant et à l’ignorant l’erreur ou la vérité. La certitude de foi, ne l’oublions jamais, n’est pas une consi’quence de la certitude de crédibilité ; il faut que l’acte de foi soit raisonnable — et il l’est toujours — mais ce n’est pas un acte de raison ni de science : son objet propre est le mystère, inaccessible à la science ; son motif propre, l’autorité du Dieu infaillible ; sa certitude, une certitude proportionnée à la dignité inlinie de l’infaillible vérité ; son caractère psychologique, d’être une adhésion de l’esprit sous l’empire de la grâce et de la volonté.

2. Psychologie de la foi ; l’assentiment non prop rtionné aux motifs de crédibilité ni aux vues intellectuelles. — L’objection rationaliste peut sembler résolue. Elle l’est, en cit’ct, à regarder les choses du point de vue de la foi et des raisons de croire. Mais une <lilliculté reste, liée à la psjchologie de la foi, dilliculté qui tient surtout à une propriété spéciale de la foi, telle que l’entend l’Eglise elle-même. La voici. Tout en maintenant que notre foi est souverainement raisonnable, puisque nous avonsles meilleures raisons de croire, nous n’admettons pas cependant que notre foi soit le fruit des motifs de crédibilité, qu’elle soit donnée en vertu de ces motifs et à leur mesure, en vertu et dans sx mesure de la i)orcei>lion que nous en avons. Elle n’a rien de la conclusion d’un syllogisme comme serait celui-ci : « Il faut croire ce que Dieu dit. Or Dieu a dit qu’il est un en trois personnes. Donc il faut croire que Dieu est un en trois jiersonnes. » Cette conclusion est loin dctre identi que à l’acte de foi au mystère de la sainte Trinité. Et si l’on pousse l’argument, eu disant que s’il faut le croire, il faut que cela soit vrai, nous nions que cette nouvelle conclusion soit un acte de foi. Voir qu’une chose est vraie, ce n’est pas encore y croire ; ou, si vous voulez que ce soit y croire en quelque façon, c’est y croire d’une foi scienlilique et critique, qui, en dernière analyse, se ramène à la science ; ce n’est pas y croire de la foi d’autorité, qui seule est la vraie foi calliolique. Celle-ci n’est pas, comme l’autre, en rai)port direct aec la valeur du témoignage strictement contrôlée, et où la dignité du témoin n’intervient ([ue dans la mesure oii elle fait appoint à la valeur du léuioignage, où elle y influe comme élément d’appréciation, conmie c’est le

cas dans la critique historique ; elle est en rapport direct avec la dignité personnelle du témoin ; si elle regarde aussi la valeur du témoignage, c’est en tant que cette valeur ressort de la dignité du témoin. La foi chrétienne est avant tout un hommage à Dieu, obsequium : ce n’est pas, avant tout, un acte de saine critique, une juste reconnaissance de la valeur du témoignage divin, regardé comme en lui-même, et contrôlé sans égard à la personne qui parle.

Il est vrai, en Dieu, l’autorité du témoignage ne fait qu’un avec la dignité de la personne, puisque Dieu est, par essence, la Vérité même, et que le témoignage de la Vérité est nécessairement un témoignage vrai et véridique. Mais il reste que l’assentiment de foi proprement dite n’est ni commandé directement par la vue du vrai, ni mesuré à la perception que nous avons des motifs de crédibilité. Ceux-ci éclairent l’esprit en lui montrant qu’il est raisonnable de croire, que c’est un devoir dans la circonstance. L’esprit présente à la volonté le bien qu’il y a dans l’acte de foi, et la volonté, inclinée par la grâce à croire (plus credulitatis o//ec7((s), incline à son tour l’esprit â l’assentiment de foi. Celui-ci est donc donné sous la motion de lu volonté, mue elle-même par la grâce : c’est un actus imperuius : il est dès lors conditionné par la grâce et la volonté autant ou plus que parlintelligcnce, au moins pour ce qui regarde la fermeté de l’adhésion ; il est, suivant l’expression de saint TuoMAS, inspirée de saint Paul, captif d’une l)uissance étrangère, il n’y a pas son déterminant propre, l’évidence delà vérité, tenetur termmis atie ; / ; s’, et non propriis. Q. disp. de Veritale, q. 14, a. I.

Pour tel ou tel détail de cet exposé, quelques théologiens parlent peut-être autrement, s’expriment en termes plus intellectualistes ; mais pour le fond des choses, c’est bien là la notion catholique de la foi. Car toute théorie de l’acte de foi, même la plus intellectualiste, doit admettre que l’assentiment de foi est libre, et que cependant il prétend à une certitude, à une fermeté, que n’a pas l’adhésion intellectuelle la plus évidente : et c’est la condition même de cet acte, puisqu’il doit être proportionné à la dignité de la vérité ])remière, qui exige une adhésion souveraine, la plus ferme qui [misse être.

Maisc’est précisément ce qui fait dilliculté. Et même la dilliculté est double ; du moins elle se présente sous un double aspect. Tout d’abord nous sommes en pleine hétéronomie ; et si le mot ne l’ait pas peur, la ciiose ici paraît intolérable. N’est-il pas contre la nature même de res]iril d’adhérer sans voir, et, si l’on ])rétend qu’il y a une certaine vision, toujours est-il qu’on lui demande d’adhérer plus qu’il ne voit. L’acte de foi, ainsi fait, qu’est-il qu’un oui extorqué, un mensonge ? Adhérer fermement, c’est, pour l’esprit, dire : Je vois. Ici, on le fait adhérer sans voir ou plus qu’il ne voit.

lté|)oudre qiu’l’objection vaut contre telle explication de la foi, mais que cette explication n’est pas la seule, ce n’est que reculer la diflicullé. Telle est l’objection.

Quand même ces difRcultés seraient spécieuses, elles ne sauraient valoir contre les faits. Or les. faits sont là, et indéniables. Nous faisons l’acte de foi, nous le faisons sans violence, et nous sentons parfaitenu^nt, nous avons conscience que cet acte, fait comme nous le faisons, est parfaitement raisonnable, parfaitement naturel, en ce sens qu’il est, qu)iqtie surnaturel, en parfaite harmonie avec les légitimes exigences de notre nature raisonnable et les conditions normales de notre action, llref, l’acte de foi surnaturelle est analogm-, psychologiquement, à l’acte de foi naturelle, lequel est, de l’aveu de tous, suivant le jeu normal de nos facultés.