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INERRANCE BIBLIQUE

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avec discrétion. Quand l’hagiographe se borne à rapporter les paroles ou les sentiments de Dieu, du Christ, de la sainte Vierge, des Anges, des Prophètes et des Apôtres dans l’exercice de leur mission divine, l’approbation est tacite, mais certaine. Cependant, encore ici, il sera besoin de discernement. Tous les discours des envoyés de Dieu n’ont pas une égale connexion avec l’objet de leur mission, et ne sont pas censés approuvés sans distinction par l’écrivain sacré. Tout rempli du Saint-Esprit qu’il était pour confondre les Juifs, S. Etienne a bien pu, dans son discours (.Ict., vu), faire un résumé de l’Liistoire d’Israël qui ne concorde pas absolument avec le texte hébreu, suivi par notre Vulgate. En tout cas, rien ne prouve que l’auteur des Actes ait entendu se porter garant de ce discours, qu’il rapporte, jusque dans les moindres détails. Cf. Chr. Pesch, De inspir. sacr. Script., p. 4’16. Il ne manque pas d’auteurs qui expliquent de la même façon le discours tenu par S. Paul aux presbytres d’Asie à Milet. Act., xx, 18-36, dans lequel il leur prédit qu’ils ne le reverront plus. Comme il y a de bonnes raisons de croire qu’en réalité r.pôtre repassa par Milet (cf. II Tint., iv, 20), on se demande si ce n’était pas là un simple pressentiment d’ordre humain, sans garantie d’infaillibilité. Quoi qu’il en soit, ce discours ne figure dans les Actes qu’à l’étal de chose rapportée.

A défaut de toute approbation de la part de l’hagiographe, la vérité objective et intrinsèque des discours rapportés est à déterminer par l’autorité propre de ceux qui les ont tenus. Et ici il est des cas difficiles. On connaît la controverse des anciens au sujet de certains propos des Patriarches, du vœu de Jephté, de la pythonisse d’Endor évoquant l’ombre de Samuel, etc. Cf. Fr. de Hu.mmelauer, Comment, in libr. Jtidic, p. 222-227 ; Comment, in libr. I Reg., p. 248-253. Les discours tenus par des personnages Ûclifs (comme seraient, d’après certain, les amis de Job) appartiennent en réalité à l’hagiographe ; c’est par les lois du genre littéraire du texte, et par une exégèse très attentive que l’on arrivera à distinguer dans ces discours ceux qui représentent la vraie pensée de l’auteur, d’avec ceux qu’il introduit par manière de question ou d’objection. Le P. Corluy, La Controverse (de Lyon), 1885, t. V, p. 305, en rendant compte du livre du D Schmid, De insp. Bibl. vi et ratiune, libr. III, a consacré une étude assez complète et très instructive à cette question. Cf. Pescu, De inspir. sacr. Script., n. 436 451.

e) Jusque dans les sentiments personnels de l’hagiographe, éprouvés au moment même qu’il écrivait, il y a des distinctions à faire. Si parce qu’ils ont été conçus et formulés sous l’influence de l’inspiration, nous sommes assurés de leur sincérité et de leur moralité, il ne s’ensuit pas que leur valeur objective (ou logique) dérive invariablement de cette circonstance une autorité divine. De ce point de vue, qui oserait mettre sur le même pied les deux propositions suivantes, ipii sont pareillement de S. Paul et se lisent à la même ligne : « Teipsiim castum custudi, et Noli adliuc aquam liibere, sed inodico vino utere propter stomachum » ?I Tim., v, 22-23. Le bon sens dit assez que l’inspiration n’a pas dû sup[jrimer la différence qu’il y avait, dans la pensée même de l’Apùlre, entre le précepte concernant la chasteté, et le conseil d’user d’un peu de vin. Le premier se fonde sur la morale chrétienne, qui est un point important de la prédication apostolique ; le second n’est qu’une suggestion d’ami, restant d’ordre humain ; pour laquelle S. Paul ne rpvendique ni mission, ni infaillibilité. En deliors du fait que, dans une lettre inspirée, l’Apôtre a donné à Timotliée un conseil conforme à l’iiygiène couramment admise, qu’y a-t-il ici que l’on

puisse raisonnablement regarder comme « parole de Dieu » ? S JÉuôMR, P.L., XXVI, col. (501, fait observer que la banalité d’un propos n’est pas une raison suffisante de nier l’authenticité ou la canonicité du texte où il se lit, mais il ne s’oppose pas à ce que l’on distingue entre sa réalité subjective et sa valeur objective ; au contraire il suggère cette distinction en rapprochant II Tim., IV, 13 de ! Cor., vii, 12. (Dans le même ordre d’idées, voir Ohigè.ne, P.l,., XIV, 27 ; XIII, 536, 1845 ; S. A.mbroise, P.L., XV, 176-3 ; S. JÉnô. ME, P. /,., XXV, 405.) Quel est le théologien qui oserait partir du texte de la première é])Ure à Timotliée pour soutenir qu’il est de foi ou même théologi(luerænt certain « qu un peu de vin est bon pour l’estomac » ? S. Paul écrit aux Romains (xv, 24, 28) : n Per vos proficiscar in Hispuniam », et pas un commentateur moderne qui se croie obligé, ni même autorisé, à en conclure qu’en elTet l’.^pùtre a dû aller en Espagne, puisque, sous l’inspiration divine, il avait non pas seulement projeté ce voyage, mais dit catégoriquement

« qu’il irait ». C’est par son objet que

nous jugeons ici de la portée véritable de la parole de S. Paul ; nous l’interprétons d’un projet et non d’une prophétie. Aujourd’hui, cette exégèse ne souffre pas de dilliculté ; mais il n’en a pas toujours été ainsi. Cf. S. Thomas et C. a Lapide in h. l. Telle phrase d’une allure uniforme, dite sur le même ton, veut être analysée en des assertions de valeur bien difl’érente. Dans l’oraison pour la fête de sainte Catherine, l’Eglise fait tout uniment mention de la Loi mosaïque donnée sur le Sinaï, du corps de la sainte transporté par les anges sur la même montagne, de ses mérites et de son intercession ; mais, pour respecter l’intention même de l’Eglise, on doit tenir compte des différences que bien certainement elle entend mettre entre les diverses propositions.

Envisagés en eux-mêmes, ces obiter dicta sont sans importance, mais leur analyse amène à préciser la nature de l’inspiration et de l’inerrance ; facilement ils deviennent la pierre de touche des théories, en obligeant de les considérer à la lumière du bon sens. Cf. Uainvel, De Script, sacra, p. 156-157.

/’) Puisque l’inspiration ne suspend pas le jeu normal des facultés humaines, il nous est permis d’analyser psycitologiquement l’attitude de l’hagiographe au regard de la vérité de son texte. Certains jugements ne sont susceptibles que d’une vérité approchée, et, dans ce cas, l’écrivain inspiré lui-même ne saurait prétendre à plus de précision. Quel est le moment précis de l’aube où l’on peut commencer de dire qu’il fait jour ? Sur ce point, chacun s’exprime d’après sa propre impression : l’un dit qu’il fait jour, tandis que l’autre trouve qu’il fait encore nuit. Qui a raison ? Cette observation aidera peut-être à résoudre la difficulté soulevée par les données divergentes de nos évangiles sur l’heure où les saintes femmes vinrent au tombeau de Notre-Seigneur, le matin de sa résuri-ection.

L’expérience quotidienne prouve qu’en racontant un fait un peu complexe, deux témoins, même s’ils ont été oculaires, ne s’accordent pas absolument jusque dans les moindres circonstances. Ne serait-ce pas parce que l’observation ne se fait pas dans des conditions subjectives identiques ? Si oui, il s’ensuit que les menues divergences d’un récit résultent, du moins en partie, d’une certaine impuissance psychologique de voir exactement les choses de la même façon. Le coefficient de réceptivité est très vai’iable. En outre, il faut compter avec les inlidélités de la mémoire. Il va sans dire que cette impuissance pratique croîtra avec le nombre et la qualité des témoins, surtout s’il s’agit d’événements capables d’émotionner en sens divers l’observateur, et de passionner les témoins.