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INDIVIDUALISME

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le temps d’informer, en personne ou par délégué, la S. Congrégation de sa disposition à se soumettre. Que si non seulement il promet Je uioditier, dans une seconde édition, les passages incriminés, mais veut et peut retirer la première de la circulation, la sentence sera purement et simplement supprimée. S’il est impuissant à arrêter le mal, bien qu’il le désire lu condamnation sera maintenue, mais avec la mention : i Auctor laudaliililer se subjecit. » Enfin, absolu ou tempéré parun adoucissementquelconque, le verdict de proscription doit encore cire, avec molils à l’appui, communiqué auSouverain Pontife, qui prononce souverainement s’il est opportun de le publier. On voit comment les précautions ont été multipliées alin d’éviter jjisqu’à l’apparence de la précipitation ou dune sévérité exagérée, comment aussi on n’a rien épargné pour concilier la liberté et l’honneur des écrivains méritants et orthodoxes avec les exigences de l’hygiène publique. S’il s’agissait d’un livre dénoncé au Saint-Otlice, les formalités et garanties imposées par Benoit pour une sage lenteur et pour la sûreté de la procédure, sont plus rigoureuses encore et plus compliquées. Il faudrait, pour les détailler, citer ou résumer presque toute la constitution Sollicita ac provida : je ne puis qu’y renvoyer les lecteurs sincèrement désireux de s’édifier sur l’inanité de certains préjugés. Mais relevons encore, en terminant, les règles que l’illustre Pontife trace aux consulteurs et aux rapporteurs de l’un et l’autre tribunal : qu’ils se considèrent, dit-il, comme chargés non d’obtenir piir tous moyens la condamnation du livre à eux soumis, mais seulement d’éclairer la Congrégation sur sa valeur véritable ; s’il arrivait, quoiqu’on choisisse toujours et consulteurs et rapporteurs suivant leurs aptitudes connues et en harmonie avec l’ouvrage à examiner, que l’un d’entre eux ne se sentit pas la compétence nécessaire, ce serait pour lui une obligation grave d’en avertir la Congrégation, afin qu’elle le remplace ; tous apporteront à leur lâche un esprit et une volonté non prévenus, c’est-à-dire sans préjugés de nation, de famille, d’école ou d’autre sorte ; qu’ils se gardent de jamais juger d’une phrase ou de quelques phrases sans avoir lu tout le livre et sans replacer ces parties dans le cadre que leur fait l’ensemble ; enfin, qu’ils aient pour principe d’interpréter autant que possible en bonne part les expressions équivoques qui auraient pu échapper à un écrivain d’ailleurs connu comme catholique et bien intentionné. Nous voilà loin, si je ne me trompe, de la conception que quelques-uns paraissent s’être faite des Congrégations romaines préposées à l’examen des livres, comme d’institutions qui condamneraient, sinon avec plaisir, du moins à la légère et sans mesurer leurs coups.

BiBLloGR.PHiB. — Ferraris, Prompta hibtiotlieca canonica. eil>o Libri : Zaccaria, Sturia polemica délie proibizioiii dn’lihri, Foligno, 1777 ; Œvoti, Institutiones canonicae, Gand. 1836, t. 11, p. 276 ; Bouix, De Curia liomana, 1880 ; Petit, L’Index, son histoire, ses lois, sa force obligatoire, Paris, 1888 ; Wernz, Jus Decretalium, Rome, 189y, t. II : Jus constitulionis Ecclesiæ caihuiicæ : Grimahli, Les Congrégations romaines. Sienne, 1890 (condamné par le Saint-Oiliceetà consulteravec précaution) ; Pcriès, Du droit de l’ICglise de prohiber les livres dangereux, dans Journal du droit canon, iSjuil. 1892 ; Ojetti, /le Itomnna Curia, Rome, 1910 ; Guiraud, Histoire partiale et histoire vraie, t. II. Pari.î, 1912 ; Monin, De Curia liomana, Louvain, 191 2. Cf. en outre les commentaires récents sur la constituticm 0/ficiorum ac munerum, spécialement : IloUweck,

Das kirchliche Bilcherverhot, Mainz, 1897 ; Vermeersch. De prohibitione et censura librorum, edit. 4", Rome, 1906 ; Périès, L’Index, Paris, 1898 (fournissant, outre le commentaire, beaucoup de renseignements historiques et de données apologétiques) ; Hilgers, Der Index der Verbotenen Biicher, Freiburg-im-Breisgau, 190^, et Die Bticherverbote in Papsibriefen, ibid., 1907. On consultera aussi utilement, concernant la portée des condamnations, Clioupin, Etude sur la valeur des décisions doctrinales du Saint-Siège, Paris, 1907.

J. FORGET.


INDIVIDUALISME. — L’individualisme est un état d’esprit anormal, quoique de plus en plus régnant, qui se caractérise par la méconnaissance systématique des liens et des devoirs sociaux, et par le culte du « moi r>.

Cet état est anormal et contre nature, parce que la nature de l’homme est essentiellement sociale ; il ne peut vivre qu’à l’état social. Le genre humain s’appelle la société humaine, l’humanité. Elle est solidaire non seulement dans le temps, mais dans l’éternité.

Ce n’est pas ici le lieu de traiter du dogme, mais celui de considérer les faits.

La première parole historique de l’individualisme fut celle de Cain : a Suis-je le gardien de mon frère ? »

— La plus fréquente est la dernière qui échappa à ce bandit dont l’arrestation tragique défraya la malsaine curiosité publique : » J’ai voulu vivre ma vie. r>

— Vivre sa vie, c’est toujours vivre pour soi aux dépens d’autrui, alors qu’on ne saurait en réalité vivre que par autrui et pour autrui. Le seul attribut que l’homme possède en propre et sous son unique responsabilité, c’est sa conscience. Pour tout le reste de ses attributs, il est dépendant, et cette interdépendance entre tous les hommes fournit le point de vue auquel il faut se placer pour jugerde l’individualisme, de la doctrine qu’il inspire — le libéralisme, et de l’aboutissement de cette doctrine à l’anarchie, dans toute l’économie de l’humanité, e’est-à-dire dans la société religieuse, la société domestique, la société civile et la société politique proprement dite.

La société religieuse repose chez tous les peuples et dans tous les temps sur la notion de solidarité non seulement entre les vivants, mais entre eux et les morts. Ce n’est nulle part ailleurs aussi accentué que dans le dogme catholique par celui du péché originel, de la communion des Saints, de la constitution de l’Eglise. On trouve par contre l’individualisme dans l’esprit des Eglises réformées. Méconnaissant dans leurs conséquences ces dogmes fondatuentaux, elles rejettent la notion d’une auti>ritc s’exerçant sur l’individu dans ses rapports avec la Divinité. Aussi prêtent-elles à la naissance de sectes innombrables, (]ui ont toutes ceci de commun que l’individti y est son propre juge. Elles s’acheminent visiblement de l’individualisme à l’anarchie par le libéralisme.

Le fait le plus saillant de cet ordre est, dans la société moderne, ce qu’on appelle In liberté de conscience, en couvrant de ce nom la conception de la Religion comme chose purement individuelle et personnelle. Beaucoup de chrétiens font de très bonne foi cette profession, sans s’apercevoir qu’elle est la négation même de l’Eglise, c’est-à-dire de l’ordre social établi par le chrislianisnie. Le phénomène est si général et si facilement admis que le nom même de a chrétienté a disparu du langage public, comme ses mœurs ont disparu de la vie publique.

C’est l’individualisme au point de vue religieux.