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FOI, FIDÉISME

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mots 711jTi ; et TTiTTîJu n’ont pas toujours en grec le sens précis que nous attachons au mot foi. Souvent ils ne signilient pas autre chose cliez eux que corn-iction, persuasion, opinion, ou iJéesanalogues, sans que l’attention porte de façon déterminée sur l’origine et la source de cette croyance (car nous employons les mots croire cl croyance en un sens analogue). Ni Clément ni les autres qui emploient les mêmes expressions, n’ont en vuede distinguer entre connaissance de foi et connaissance de raison. Si plusieurs d’entre eux font dériver de la Bible les connaissances des philosophes grecs sur Dieu, sur 1 ame, sur le bien et le mal, etc., ce n’est pas qu’ils déniassent à la i)liilosophie tout pouvoir d’arriver à une première notion rudimcntaire de ces vérités fondamentales : ils le supposent, avec saint Paul, dont ils rappellent et commentent les paroles sur l’invisible de Ùieu manifesté dans la création visible, sur la loi gravée par la nature dans le fond de leur cœur. Mais ou bien ils faisaient allusion à des textes qui impliquaient effectivement une doctrine spéciliqucment juive ou chrétienne, ou bien ils mettaient cette doctrine dans des textes qui n’avaient pas par eux-mêmes le sens net et précis qu’ils leur attribuaient. Dans le premier cas, les textes étaient apocryphes, et s’inspiraient vraiment d’idées juives ou chrétiennes ; dans le second, les Pères se trompaient. Mais, si le désir d’exalter la Bible et la Révélation a pu être pour quelque chose dans leur erreur, ils étaient loin dépenser à déprimer la raison. La doctrine même de Justin sur le jiyji unEp/jiy.Tm : , tout en impliquant une révélation partielle de Dieu dans la raison humaine, ne saurait en aucune façon être invoquée contre la raison humaine en faveur du lidéisine.

Seconde objection. — On lire une autre dillicullé plus spécieuse peut-être, mais non plus solide^ de la doctrine des Pères sur la raison et la foi. C’est pour eux un principe indiscutable qu’il faut commencer par croire ; on comprendra ensuite. La foi précède, la gnose ne vient qu’après. Obigéne va jusqu'à dire qu’il faut d’abord croire sans raison (k/^/ms ttitti^îiv), pour avoir ensuite la raison de sa foi. C’est également la maxime de saint.-Vigustin, qui, comme on sait, a tant insisté sur le texte que lui oll’rait sa Bible, Aisi credicleritis. non intelligetis, pour UKmtrer qu’il faut croire d’abord pour comprendre ensuite, et non attendre pour croire que l’on ait d’abord compris. (Test exactement la doctrine des Grecs sur la loi avant la gnose. Ils s’entendent donc à nous dire : Croyez d’abord, vous verrez ensuite. Maintenant, au contraire, on ne jiarle quedc raison avantla foi, et la maxime de saint Thinnas : Il ne croirait pas, s’il ne voyait d’abord, semble avoir supplanté la maxime palristique. — lléponse. Lu contradiction n’est qu’apparente. Saint Thomas et les Pères n’ont pas le même objet en vue. Rien d'étonnant si leur langage diffère. Une chose a beaucoup frappé les Pères grecs, quand ils comparaient les procédés de l’apostolat chrétien avec ceux de la philosophie greccjue. Les philosophes grecs prétendaient ne rien avancer qu’ils ne prouvassent, dont ils ne donnassent des raisons convaincantes. C’est à la raison qu’ils en appelaient ; c’est en raisonnant qu’ils soutenaient leur système. Tout autre était la dialectique de l’apostolat clirctien. et déjà saint Paul en avait fait la théorie. C’est la foi quc l’on demandait, et la foi à des mystères incroyables à la raison humaine : un Dieu l’ail homme, un Dieu ipiinous sauve en mourant sur a croix, un mort ([ui ressuscite. El l’on ne prétend pas i)rouver cela par raisons intrinsèques, par démonstrations syllogistiques, par la force de la diæclique, par aucun en un mot des procédés et des moyens dont usaient les philosophes du temps. Cette

différence de procédé ne laissait pas de créer un préjugé contre la doctrine nouvelle aux yeux des doctes et des raisonneurs. Les Pères montraient que, malgré tout, les philosophes, eux aussi, commençaient par demander la foi : ils aimaient notamment à rappeler le fameux Ajto ; syy. de la discipline pythagoricienne, la maxime de la foi docile, qui se tait et ne raisonne pas. Est-ce à dire que les Pères demandassent une foi aveugle, sans raison de croire ? Il s’en faut. Mais ce n'était pas la raison des choses dites, la démonstration de la doctrine. Il fallait croire d’abord ; plus tard on leur expliquerait les choses, on leur en donnerait la raison, s’ils étaient capables de la comprendre ; Origène, dans le contra Celsum, insinue sans cesse qu’il pourrait, lui aussi, philosopher sa foi, et qu’il y a une science du christianisme, une gnose de la foi. Mais ce n’est pas par là qu’on commence. Leurs raisons sont d’un autre genre : pour arguments, ils ont des faits qui montrent el labienfaisante iniluence du chi’istianisme, et la nécessité d’une intervention divine. Cette démonstration parles faits, à laquelle Origène se réfère sans cesse, ce sont nos motifs de crédibilité. Il ne propose donc pas à tous la science du dogme, la gnose, la théologie ; mais à tous il propose des raisons de croire, les faits divins qui accréditent les apôtres et par là même la doctrine, le fait chrétien qui est à lui-même la doctrine, sa justilication et sa preuve. Voir notamment le Préambule, c. i et le livre I, c. i sqq.

Tout analogue est la position de saint Augustin. Les Manichéens lui avaient promis que chez eux on lui donnerait la raison des choses, et il s'était laissé prendre à leurs promesses. Déçu dans son espoir, il était revenu enfin à la foi de sa mère, et c’est en devenant croyant docile qu’il avait trouvé la lumière comme la paix. Son ami Honorai restait enlacé dans les filets du manichéisme, n’espérant plus guère avoir enfin ces raisons des choses qu’on promettait toujours, qu’on ne donnait jamais, mais éloigné des catholiques parce que ceux-ci demandaient la foi au lieu de donner ou de promettre des raisons. Il s’agit, on l’entend bien, de raisons philosophiques des choses, de preuves directes des mystères auxquels on nous demande de croire. C’est pour dissiper le préjugé de son ami el compagnon d’erreur, pour vaincre cette antipathie contre une religion qui exige avant tout la foi, qu’Augustin écrit sa lettre à Honorât, J)e utilitale crecleniU. Ces circonstances expliquent l’insistance de l’auteur sur la nécessité de croire d abord, sans attendre des raisons que ceux-là seuls sont capables d’entendre qui ont déjà la foi. Mais, non I)bis qu’Origènc, Augustin ne demande la foi aveugle cl sans discernement ; il i)réten(l bien qu’on ne donne sa conliance qu'à bon escient, qu’on ne croie que sur garanties. Le Christ a demandé la foi, mais il l’a méritée par son autorité, et son autorité il l’a conquise par ses miracles : miracutis conciUavit auctoritatem, auctoritate nierait fidem. L’Eglise exige également la foi ; mais n’est-elle pas la plus grande autorité qui existe, autorité fondée, comme celle du Christ lui-même, sur la prophétie et sur le miracle ? Augustin lui aussi donne donc à son ami des raisons de croire, des motifs de crédibilité, et il explique lui-même que ce serait crédulité téméraire et non docilité sage, de croire au premier venu el sans garantie. Bref, la doctrine d’Augustin, comme celle d’Origènc, est la doctrine même du Concile du Vatican sur la foi qui ne [ji-étcnd pas raisonner les mystères, sauf à la lumière même de la foi, jiiL’s quærcns inlcllectum, nuiis qui, pour être raisonnable, doit avoir ses garanties, ses raisons de croire. Avec nos jiréoccupations actuelles, ai>ologéliques plus que Ihéologi-