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clarté, qu’une idée raisonnable de la divinité est nécessairement le ternie d’une longue évolution sauvage, d’un long voyage à travers l’absurde. D’où viendra, à un moment donné, l’idée raisonnable ?

Pour conclure, nous dirons que toute l’induction historique est contre les partisans de l’évolutionisme radical. Car l’histoire, et aussi l’ethnographie, montrent l’action parallèle o de deux facteurs, d’un côté l’induction sensible, d’autre part la raison pure », la première tendant à « ranthro])omorphisme pur, ou, pour eaiployer un terme ((ue d’autres préfèrent, à l’animisme », la seconde aljoutissant aisément à « des notions transcendantes, à une conception plus ou moins vague de la divinité comme étant au-dessus et en dehors du monde ». — « Comment faut-il, dans le plus lointain passé, se représenter l’action de ces deux facteurs ? » se demandait M. A. Bartu. Il n’y a, du point de vue scientifique, qu’une réponse à cette ([uestion, celle même qu’il y faisait : « J’imagine pour mon compte qu’ils ont été confusément à l’œuvre l’un et l’autre, depuis les premiers jours, comme ils le sont encore actuellement… Ce dont je suis persuadé, par contre, c’est que le Veda, pas plus que tout autre document du reste, ne nous fera pas faire un pas décisif vers la solution du problème. « (Bullftin des retirions de l’Inde, p. lo, extrait de la Revue d’Uist. des religions, 1885.)

II. Comparaison avec la religion révélée.

— Lorsqu’on examine ce qu’il y a de mieux dans les religions païennes, et notamment dans les religions hindoues, on rencontre des preuves parfaites de la noblesse de la pensée humaine, des arguments en faveur de la « religion naturelle » inscrite au cœur de tous les hommes. Mais quelques savants paraissent croire que la transcendance de la religion révélée est quelque peu obscurcie, voilée, compromise, par cette enquête. — On peut même se demander, et à bon droit, si le but de plusieurs adeptes de la science des religions » n’est pas de montrer que toutes les religons se valent ou, du moins, qu’elles sont toutes de même nature.

Un devoir très strict s’impose ici à l’historien. On ne peut raisonnablement exiger qu’il jjréfèrc la sagesse hindoue à la nôtre, qu’il melte sur le même rang les raisonnements corrects de notre tliéodicée et les inductions de la gnose brahmanique. Mais, pour comprendre les religions hindoues, pour leur rendre pleine justice et apprécier ce qu’elles valent comme instruments de progrès moral et spirituel, il faut se dépouiller, dans une juste mesure, de nos préjugés, disons mieux, de noire mentalité européenne.

1. Des exemples montreront combien ce détachement, cette soumission à l’objet, est ici nécessaire.

On représente souvent le bouddhisme comme une doctrine d’hébétement, de désespérance et de suicide. C’est lui faire tort, c’est ne pas le com])rendre. Les bouddhistes n’arrêlent pas de penser au bonheur, au bonheur absolu qu’ils nomment nirvana. Ils sont de parfaits hédonistes. Assurément, lenirvvna n’est pas, |)our eux, la plénitude de vie, d’intelligence et d’amour, qui est. de l’avis des Occidentaux, le bonheur absolu. Bien au contraire, le nir àna est la déliTance de l’existence, le terme de la vie et de la souffrance vitale ; à en juger d’après les principes de l’ontologie bouddhique ([)hénoménalisnie, inexistence de la chose en soi), c’est, à s’y méprendre, le néant. Mais il sullil <le lire les Stances des profi-s et des professes pour être fixé. Ces bons religieux aspirent au nirvana en pleine joie ; ils y aspirent comme au bien le plus positif et le plus concret

du monde ; leur jubilation est grande lorsqu’ils se sentent sûrs de l’atteindre ! Ce ne sont pas des désespérés anxieux du grand repos, qui parlent ainsi :

« Il y a une ambroisie : comment peux-tu boire les

cin(i plaisirs des sens qui sont si amers ? Il y a un sans-ennemi : comment peux-tu l’attacher aux plaisirs qui engendrent tant d’ennemis ? Il y a une délivrance : peux-tu le laisser enchaîner par les plaisirs ? Il y a un sans-vieillesse : peux-tu te satisfaire des désirs qui vieillissent vite ? Toutes les existences ne sont-elles pas liées à la vieillesse et à la mort ? Ce stade sans vieillesse, sans mort, sans rivalités, sans soulfrances, sans craintes, beaucoup l’ont obtenu ; aujourd’hui encore on iieiit l’olilenir : il sullit de s’appliquer sérieusement… » (Traduit librement des Therigdlluis, 503 et suiv. ; version de Mrs. C. Rhys Daviiis, l’sahns of ilie Early liuddliists. — Tlie Sisters, 1909 ; et de Neumann, Lieder der Mbnche und iXoiinen Gotamo Iluddho’s^ 1899.) Par le fait, les bouddhistes sont des mystiques intempérants. Audessus des mondes démoniaques, humains et divins,

— paradis à houris, — au-dessus des existences éphémères, agréables aux gens de bien, douloureuses aux pécheurs, auxquelles sont condamnés les hommes du commun, ils ont éditié des plans successifs d’existence atténuée, cieux inimatériels, où les profès de la méditation jouissent pendant des milliers de siècles de la joie des extases plus ou moins inconscientes ; — mais, insatisfaits des bonheurs qui ont un terme, ils placent au-dessus de toutes les contingences, au-dessus de tout l’imaginable, un séjour immobile qui échappe à toute délinition, qui n’est pas un séjour, ni un état, mais qui est meilleur <[ue tout le reste. Vers ce nirvana convergent tous leurs elforts, qui ne sont pas tous d’ordre moral et méditatif, — malheureusement l’hypnose intervient, — mais dont l’ensemble constitue une discipline spirituelle très digne d’estime.

Les bouddhistes croient au bonheur et ils le cherchent ; ils le trouvent, iei-bas, dans une contrainte asccti que bien équilibrée et charmée de beaux rêves ; ils cherchent à le délinir en fonction de l’inintelligible, en écarlant les ternies d’être et de pensée, ce qui est une entreprise désastreuse. Mais leurs vues sur ce point sont en parfaite harmonie avec leur tempérament ; ils s’y conij)laisent et ils en vivent, d’une vie morale et non dépourvue de toute vertu sociale.

2. De même faut-il essaver de comprendre le Vedànta, — doctrine de Braliman, « être unicpie, sans second », dont tous les êtres particuliers sont des émanations, des transformations ou des déguisements, — et les formes de Vedànta, de monisme tempéré, de « panthéisme personnel », aux(iuelles on donne le nom de liliaUi, dévotion. (Quelqucs indianistes ont cru que les religions de bhakti doivent beaucoup à lOccidenl. Voir ci-dessous, col. 697, note 2.)

On dit très bien que le retour en Brahnian est la destruction de la personnalité ; et les indianistes accordent en effet que l’Indien n’attache aucune importance à la survivance de la personnalité. Il jilæe précisément le bonheur absolu et l’existence vraie dans la suppression des limites qui constituent l’individu, touj(nirs incomplet et caduc ; et il se complail à imaginer une pensée exempte de sujet et d’(d>jet, une jouissance sans organe et sans aliment. Le brahmane ortho<loxe remplace la vision béaliliiiue de notre théologie par le retour en Brahman ; lorsque l’individu <i prend conscience » de son identité avec l’être universel, c’csl-à-dire [)erd conscience de soi, on peut dire qu’il disparait, — la perte de la personnalité équivalant, à notre avis, ù l’anéantissement ; — mais les